Chapitre 19.3
M A L E K
Une fois jeté de son bureau, une torsion maladive enchaîna mon estomac et je me ruai à la surface pour appeler maman, puis papa — sans réponses. Il m'avait retardé, mais le message d'Isabelle s'était forgé dans mes neurones. Mes bras et mes jambes tremblaient. Il ne faisait pas froid, mais... sérieusement ! Je ne pouvais pas les protéger sans leur coopération ! S'vous plaît... Ça serait cool de pas mourir, non ?
Fais chier.
Malgré la fraîcheur environnante, je me ruai en direction de notre immeuble. Au moins, je n'avais pas à rester cloîtré dans une cellule à plusieurs mètres sous terre. Toutes ces informations récentes se bousculaient dans ma tête, mais je devais vérifier si mes parents allaient bien. À moins qu'ils soient exceptionnellement occupés, rien n'expliquait leur silence à cette heure de la journée !
Le paysage défilait autour de moi. Les palpitations de mon cœur s'intensifiaient au fil des pas.
La porte de l'immeuble s'ouvrit dans un grincement. Je grimpai les escaliers. Des perles de transpirations glissaient sur mon front, je suais de partout où un homme pouvait suer. Les clés bondirent sur mes doigts maladroits, mes pas résonnaient et frappaient les murs granuleux.
Faites qu'il ne soit pas trop tard... Bordel, s'te plaît, fais pas le con !
La porte de l'appartement. Devant moi.
La clé grinça contre la serrure. Paralysie. J'avais beau puiser dans mes forces, une décharge électrique m'immobilisait. Pourquoi n'arrivais-je pas à déverrouiller cette merde ? Putain ! Pourquoi ça marche pas ?
Elle crissait, se cognait, mais n'entrait pas. Une pulsion crispa mes doigts. La clé tomba à terre et mes poings tonnèrent contre la porte. Le vacarme me perçait les tympans.
Zéro réponse.
Je devais respirer, histoire d'éviter la crise cardiaque. Mon front était trempé. La vision floue et obscurcie par mes craintes, je retrouvai difficilement la clé. Je l'enfonçai. Un déclic retentit. Je défonçai l'entrée et entraînai l'intérieur dans ma tempête.
— Maman ? Papa !
Non. Rien. Pas une âme qui vive pour me répondre, pour me réconforter dans cette torture démoniaque. Je fauchai chaque porte, meuble, mur, comme s'ils se cachaient dans l'un d'eux.
Mes yeux s'affolaient.
Le canapé vide.
La niche du chien aussi.
La télé allumée.
Le couloir bousculé par ma folie.
La chambre de Nayla, déserte.
Celle de mes parents, aride. Les rideaux flottants au vent.
L'escalier à deux doigts de céder. Il s'allongeait face à moi, étendu jusqu'à l'infini, au paradis inexistant. Je l'escaladai à quatre pattes. Rien à foutre. Son bois résonnait dans mon crâne. Ce dernier tanguait comme une balançoire. Il exhumait une chaleur ardente pour que j'abandonne.
Mon poing concassa la rambarde à laquelle il s'accrochait... ou la craqua-t-il ? Ou bien, étaient-ce mes os qui craquaient ? J'enchaînai les marches, et enfin, la dernière.
La salle de bain.
Ma chambre... Ma chambre.
Rien.
Même pas un fantôme. Même pas un spectre. Même pas celui de Sonja.
Sonja...
Sonja.
Sonja !
Avait-elle voulu m'avertir ? Me prévenir de ce que j'endurerais, comme elle avant moi ?
Non...
Non.
Mes paumes suantes tapotaient le parquet poussiéreux. Le sol s'écroulait. Malgré tout, j'attrapai mon téléphone.
Nayla.
Bip, bip, bip... ça sonne.
— Oui ?
— Nayla ? haletai-je.
— Tu te réveilles que maintenant ? gronda-t-elle, maternelle.
— Tu sais où ils sont, maman et papa ?
— Pourquoi tu me demandes ? C'est toi qui vis avec eux ! Ah non, attends... C'est vrai que t'es jamais à la maison et que tu les préviens jamais de ce que tu fais.
— Que... Quoi ?
J'étais à terre, mais ces mots m'enfoncèrent un peu plus. Une boule dévora mon estomac. Je n'avais rien pour le remplir.
Juste un vide. La famine que causait ma détresse.
— Quoi, « quoi » ? Fais pas l'innocent, Malek. J'avais confiance en toi. Ça a été dur, après ta... ton expérience, mais j'ai réussi, et tu n'as fait que la jeter...
— T'es chez toi ? balbutiai-je.
— Tu redeviens comme avant, j'suis sûre que tu vas même pas à la fac !
— T'es chez toi ?
— Oui, mais qu'est-ce que ça peut te...
— J'arrive.
Je soupirai et décollai l'écran de mon oreille. Les grincements colériques de ma sœur criant mon nom s'étouffaient jusqu'à ce que je raccroche.
Encore un petit effort.
Mes poings frappèrent le sol et je les utilisai pour me relever. Sans attendre, je dévalai l'escalier de l'appartement, puis du bâtiment.
Juste un petit effort...
« Mets ta famille en sécurité... »
« Trouve un endroit bien gardé. »
Agnes... Agnes.
Je devais les cacher dans la grotte, avec les autres anges et démons. Pas de doutes. Rien à branler des conséquences et des règles angéliques, je voulais juste qu'ils survivent, moi !
Nayla...
Au moins, je savais où elle était.
C'était déjà ça...
Les bâtiments flous qui s'effilaient ressemblaient à une peinture à l'huile. Une lumière pulsait dans mon iris au rythme de mon pouls. Balafré par le vent, je me grouillais. Des tâches humaines me barraient la route, mais pas assez pour m'interrompre.
Le centre-ville.
L'interphone.
Nayla... Nayla...
Je repris connaissance devant son paillasson à attendre la preuve qu'elle était toujours en vie. Je devais avoir l'air misérable, mais je m'en foutais. Je voulais voir ma grande sœur.
La porte s'entrouvrit.
Elle était là...
Elle était là. Quel soulagement. Je me réfugiai dans ses pauvres épaules. Elles supportaient à peine mon poids. Pas grave.
— Mais... Malek ? marmonna-t-elle. Qu'est-ce qu'il se passe ? Je t'ai jamais vu dans cet état !
— Il faut qu'on parte.
— Pardon ?
— Fais-moi entrer.
Je titubais dans son nouvel appartement. Ma première visite serait brève et peu contemplative. Mes genoux flanchaient et me tiraient vers le canapé. Sa voix avait changé depuis l'appel. Elle m'avait incendié, et son ton m'avait brûlé à travers la ligne, mais il s'était apaisé — il m'apaisait, comme un vent frais sur ma peur ardente. Agréable... mais loin d'être suffisant.
— Malek !
Elle s'agenouilla près de moi, les yeux perlés et une main sur ma jambe. Le souffle rauque, j'articulai quelques mots :
— J'ai peur que maman et papa soient morts.
— Quoi ?
— La situation... avec les anges. Ça empire. On me vise. On...
Ma terreur catalysait des bouffées de rage foudroyantes. Elles touchaient ma mâchoire lourde, mes bras déchaînés comme des lignes d'électricités décrochées. Je n'y arrivais pas. Mes phalanges se fracassèrent sur mon front.
— On vous vise !
— Malek...
Sa mine se frigorifia et son regard fuit la falaise de laquelle je m'imaginais pendre. J'allais tomber, et elle aussi.
Me croirait-elle seulement ? Ses iris s'étaient affaissés, mais n'avaient toujours pas perdu l'éclat que j'avais fait disparaître après mon E.M.I.. Non... Ces derniers remontèrent vers moi et elle susurra :
— Qu'est-ce qu'on doit faire, Malek ?
Ma main se posa sur la sienne et l'amour fraternel qui nous unissait me hérissa les poils. Tout ça m'en cramait le cerveau au point que les larmes se vaporiseraient au moindre contact de mes joues. Nayla, je t'aime, je ne veux pas te perdre.
— T'es sûr que tu sais pas où ils sont ? grommelai-je.
— Non, non... Je ne leur ai pas parlé aujourd'hui. J'aurais peut-être dû ? J'aurais dû...
— Il faut qu'on parte. Maintenant. Mets un pull et laisse tout derrière si tu veux pas crever.
Je me relevai non sans mal, une seule destination en tête — le seul endroit qui assurait sa survie, loin d'anges ou de démons malfaiteurs, loin d'enculés incompréhensibles, de meurtriers, d'inconnus qui ne cherchaient qu'à nous pourrir la vie !
Mannah.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top