Chapitre 19.2

M A L E K

          La conversation s'interrompit, et dans le silence de la table, mon téléphone vibra. Maladroitement, je l'arrachai une nouvelle fois de ma poche.

ISABELLE : Je te remercie de ton attention. Mets ta famille en sécurité dès aujourd'hui. Ils ne doivent pas rester chez eux — le gouvernement sait où ils habitent. Trouve un endroit bien gardé.

Je déglutis. Un endroit en sécurité... dès aujourd'hui. Oh, bordel. Merde. Mince. Bordel !

Ici ? Non... pas le bol de ma grand-mère comme patron. Il n'accepterait jamais ! Et puis, je ne savais toujours pas ce qu'ils comptaient me faire... Peut-être la planque du groupe d'Agnes ? A priori, elle était partante pour nous aider...

Une main se posa sur mon épaule et un air glacial se propagea le long de ma colonne vertébrale. Sèchement, je me retournai vers le propriétaire de cette poigne intense — un des gardes qui m'avait sorti de prison.

— L'Angélique exige un procès équitable dans lequel vous pourriez vous expliquer face aux hauts gradés. Votre présence est obligatoire. En attendant, vous êtes conviés au bureau de l'ange suprême. Maintenant.

— Maintenant ? Sérieux ! Mais...

L'ange suprême ? Quelle blague !

— Levez-vous, me réprimanda-t-il. Oh, salut, Celes.

— Salut... Franck.

Non... Pas maintenant, putain ! Je ne pouvais même pas appeler mes parents avec ce satané réseau ! Ah, c'était intelligent, de construire leur super base technologique en sous-sol !

Personne ne s'opposa à cet enlèvement. Il m'enlevait, ouais. L'aversion qui me retournait l'estomac me fit grincer des dents. Qu'allait-il me dire ? Pourquoi me convoquait-il ? Son crâne ne m'inspirait pas confiance. Il avait brillé de tyrannie lorsqu'il avait dispersé la foule pour faire passer Isabelle, l'autre fois.

Le gros tas m'enveloppa un tissu opaque autour du crâne. Je déglutis. Me bander les yeux était la goutte d'eau qui ferait déborder le putain de vase. Malheureusement, lutter m'entraînerait de nouveau derrière les barreaux, et cette fois, je l'aurais choisi — je laisserais Eneko seul. Plutôt crever. On me traîna sans bruit, loin, pas loin, je l'ignorais, mais on passa dans l'ascenseur. Ça, j'en étais sûr, mais après ?

Nada.

Le bandeau glissa hors de ma vue. Une vision d'horreur m'attendait. Son sourire béat, ses dents lisses, brillantes comme l'Angélique... le chef, qu'importe son nom, m'accueillit dans son bureau terne et triste — ennuyant, même. Pas de photos, de dossiers, juste... un bureau et deux chaises de part et d'autre.

— Il semble que tu sois au centre de toute attention en ce moment, mon cher Malek !

— J'suis habitué, faussai-je un amusement.

Je soufflai du nez. Au lycée, j'étais le gars populaire qui s'entendait avec tout le monde. J'aimais ça. Ces années furent pour moi les meilleures, car chaque jour, je baignais dans l'excitation d'être vu, admiré. J'amusais la galerie, et loin de moi l'idée de me lancer des fleurs... mais se retrouver «au centre de toute attention» pour des raisons négatives me perturbait. Surtout que mon sang en était la cause et que je ne l'avais pas choisi ! Ça m'était tombé dessus. Tout me tombait toujours dessus !

— Nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde, toi et moi... Isabelle non plus. Je trouve cela assez intéressant, mais je dois t'avouer que je ne m'attendais pas à ce que tu deviens... L'hybride.

Ce mot me cloua contre le mur.

Qui est au courant ?

Seulement moi, je l'espère.

Il savait des choses que l'on ignorait — moi, Eneko, Isabelle. Des informations importantes qu'il s'amusait à me prendre au nez d'un air cynique. Il me narguait sans gêne avec toute la conviction du monde. Il savait qu'il avait les anges à ses pieds. Mais il n'avait pas Arkan...

— Que dirait ta famille s'ils apprenaient que tu étais un démon ? s'apitoya-t-il sur mon sort.

— Ça serait rien d'nouveau.

Le ton narquois de sa voix se libéra dans un ricanement à en donner la chair de poule. Rien chez lui ne m'ôtait le moindre doute quant à sa culpabilité. Pourtant, il semblait irréprochable — méchamment carré, piqué comme un bâton, il tournoyait dans sa chaise avant de joindre ses poings arides sur le bureau.

Quoi qu'il en soit, malgré les circonstances extrêmes qu'Arkan subit en ce moment, je ne peux pas te laisser libre dans l'immédiat... pas avant que nous ayons une longue et sans doute barbante discussion et que nous trouvions une solution pour régler ce malentendu.

Et de solution, on n'en trouva pas. J'aurais donc droit à mon procès d'ici à quelques semaines. D'ici là, j'aurais le privilège de me répéter cette horrible conversation remplie de sous-entendus morbides et de menaces murmurées, la plupart concernant évidemment ma famille. Des vagues de désastres s'empilaient les unes sur les autres, sur ce que j'étais, ce que ça signifiait. Voulait-il me faire croire qu'il était de mon côté ? Conneries. Son ego difforme le rassasiait bien assez, ça en crevait les yeux.

Alors comme ça, le «choix» de Sonja l'avait pris de cours. Sans blague ? Avait-il cru l'avoir au creux de sa main, elle aussi ? S'il avait su... L'âme de la guide ne s'était jamais retrouvée soumise, et moi, je refusais de me plier à ces exigences ou de me soumettre à son petit doigt fripé. Je lui fis comprendre. Si jamais ils touchaient à ma famille, il pouvait dire adieu à son crâne chauve — et le reste de son corps. Mais le gars ne riait que sournoisement à mes répliques. Un comportement de blanc ennuyant dans un bureau blanc et ennuyant. Aucun goût, aucune couleur — les meubles ternes se languissaient de cette atmosphère étouffante. Comment s'était-il retrouvé ici, putain ?

Je t'avoue n'être que peu satisfait de ce rendez-vous, se lamenta-t-il. Je te convoquerais bien un autre jour, qu'en dis-tu ? Je suis pressé, aujourd'hui.

J'ai le choix ?

Non. Cependant, j'apprécierais si tu cessais de m'adresser ainsi. Je n'aime pas que l'on me manque de respect.

Et je n'aimais pas que l'on menace mon sang, pauvre con. Mais ça, je ne pouvais pas lui cracher à la gueule. Pour une fois, les limites se dressaient haut. Ils m'avaient déjà lâché en prison et j'ignorais ce dont ces gens, que je considérais autrefois comme des anges gardiens, étaient capables.

Reviens demain.

— Quoi ? m'exclamai-je. Mais j'ai...

Reviens demain.

Tchip. Ouais. On verra ça.

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