Chapitre 19.1
M A L E K
— Malek, dis-nous ce que tu sais. Absolument tout ce que nous ignorons, que cela vienne d'Isabelle ou des parents de Sonja.
Bordel. Rebelote.
Cette demande de Celes ne m'arrangeait pas. Je ne pensais qu'à ma famille et à ce qui pourrait leur arriver si je ne décollais pas mon cul de ce siège... mais on ne pouvait pas foncer tête baissée, et surtout, je ne pouvais pas les aider seul.
Je fouillai la cafétéria du regard. Un guerrier se pointait dans un coin. Il me surveillait. En espérant qu'il ne m'ait pas posé un micro quelque part...
Je pris une grande respiration.
— J'vous ai quasiment tout dit. Les soi-disant parents de Sonja m'ont expliqué qu'le gouvernement avait assassiné sa vraie famille quand elle est devenue cette... hybride. Qu'ils se permettaient aucune bavure. Et Isabelle nous a dit qu'elle connaissait le gouverneur et qu'elle allait essayer d'trouver une solution parce qu'apparemment c'est lui qui l'a obligé à libérer Hel.
— C'est ce qu'elle a dit tout à l'heure... donc tout le monde le sait, maintenant, mâcha Eneko.
— J'ai vraiment pas autant d'infos que ça, c'est Isabelle qui sait l'plus de trucs. J'sais à peine tout ce qui m'concerne, me désolai-je. J'sais juste que... l'épée m'a donné la flamme de Sonja et qu'c'est Agnes qui m'a donné son sang. J'sais pas comment elle a fait, mais j'me souviens d'sa voix...
— Agnes ? m'interrompit Celes.
Ouais, Agnes... Elle m'avait aidé, j'en étais persuadé. Les regards qu'elle me portait en ma compagnie ne trompaient pas. Elle savait que je savais, mais n'en parlait pas, comme aux aguets de ma situation. C'était pour ça que je ne l'avais jamais crainte comme les autres.
— Peux-tu... donner plus d'explications ?
J'entrai en détail sur la nuit où cette force m'avait poussé à revenir en forêt. J'y avais vu la Skogsra, puis m'étais... endormi. Non — évanoui. Mes veines s'étaient élargies, j'avais entendu son timbre si singulier, grave, mais fluet.
— Si elle savait comment te trouver, cela ne pouvait pas être par hasard, conclut la guerrière. Elle savait où tu irais et pourquoi.
— Bah, elle sait des choses, ça, c'est clair.
— Isabelle... Isabelle l'a peut-être envoyée pour mettre en place cette transfusion.
Le châtain avala difficilement sa portion de riz :
— Isabelle ? Mais elle connaît tout le monde ?
Tu m'étonnes... J'avais encore du mal à comprendre son lien avec Sonja, mais Agnes venait forcément de quelque part. Elle avait dû connaître au moins l'une d'entre elles.
— J'en sans rien, grommelai-je. J'devrais le demander directement à Agnes.
Comme s'il lisait dans mes pensées — et même si nous n'avions plus la même flamme, j'avais toujours peur que ce soit le cas —, Eneko posa sa fourchette :
— Le fait qu'Agnes ait trouvé la première possédée était peut-être pas une coïncidence. Enfin, je peux me tromper, mais elle avait l'air d'en savoir plus que nous sur Hel... et je vois pas trop où elle aurait pu apprendre ce genre de trucs qu'avec les deux.
— Eh bien, je pourrai le lui demander moi-même. Je suis sûre qu'elle acceptera d'apporter sa pierre à l'édifice, s'embellit fièrement la rousse.
C'est bien gentil, ça, mais Agnes n'était pas une mauvaise personne. Moi, j'avais besoin d'un plan concret.
— Et pour ma famille ?
— T'as dit que c'était le gouvernement ? reprit le jeune homme, attentif à ma détresse.
— Ouais.
— Bah, on en a déjà parlé, notre seul... pont pour nous guider jusqu'à lui, c'est Isabelle... ou le patron.
Il reporta son attention sur Celes.
— Tu m'as dit une fois qu'il pourrait être en train de créer ou de tuer des anges, je sais plus... que personne serait au courant tellement il était secret.
Elle se raidit sur sa chaise et clama :
— C'était une blague.
— Ouais, c'était.
— Ce qui m'inquiète le plus, je vous en ai déjà fait part : Hel. Même si nous sauvons la famille de Malek et que nous arrêtons le gouverneur, ce que j'espère, bien évidemment — à la fin, Hel sèmera toujours le chaos.
— Bah qu'est-ce que tu proposes, alors ? haussai-je le ton afin de montrer mon agacement.
J'avais beau me répéter que ce n'était pas son objectif et qu'elle partait d'une bonne intention, j'en avais marre qu'elle dévie le sujet dès que je tentais d'adresser ma famille. Ne pas en avoir ne lui permettait pas de survoler la mienne ! Certes, elle considérait les anges d'ici comme un substitut, mais... connaissait-elle tout le monde ?
Tsss. Qu'ils s'amusent à prendre Ilça comme leur père. Il n'était pas matériel, contrairement au connard qui leur mentait depuis des lustres — même à elle, une guerrière réputée, il ne lui disait quasi rien !
— Justement, j'ai peut-être une idée, avoua-t-elle sombrement, contrairement à ce que j'imaginais. Mais j'aurais besoin d'Eneko.
Allelujah.
Ce dernier, visiblement rassasié, s'arracha de son assiette et accorda un soupçon de pitié à la géante, qui le lui rendit. Mais ça n'avait pas l'air d'altérer ses pensées.
Donc, eux, ils s'occupent d'Hel, et moi, faut que je trouve un moyen de sauver ma famille avec Isabelle, c'est ça ?
Le gouverneur, c'était le boss final. On ne pouvait pas tout faire en même temps !
— Je suis censé faire quoi ?
La voix perdue entre la lassitude et la détermination, il fronça des sourcils en attendant la réponse de Celes :
— Eh bien... Ce n'est qu'une idée pour l'instant. Quelques mots sur une feuille, rien de concret. Cependant, je pense... enfin, je ne dois pas être la seule à y songer, mais afin de combattre Hel, nous aurions besoin d'une puissance équivalente.
— Équivalente à une déesse ?
Pendant leur conversation, je me perdis. J'envoyai un nouveau message à Isabelle, lui demandant de ne pas prendre de risque seule. Je voulais mettre un terme à tout ça, si jamais le plan intégrait le sauvetage de ma famille.
— Oui, c'est ça.
— On est quoi, censés trouver Dieu ? s'interloqua-t-il.
— Ilça.
La flamme dans ma poitrine s'embrasa à ce nom.
Ilça... Le fameux Ilça, étroitement lié à Hel. Ennemis jurés, ou ex-même entité ? Personne ne le savait. Où voulait-elle en venir ? Pour me rassurer, mon esprit tenta de trouver des preuves qu'il n'existait pas, qu'il ne pouvait pas se mêler à notre monde. Cependant, si on le voyait tous pendant notre E.M.I., il devait bien être quelque part.
— Et comment ? Ilça est pas comme Hel, réfuta Eneko, perplexe. Il est dans chacun d'entre nous... non ?
— La vérité est plus complexe, avoua Celes. Les démons qui nous pourchassent lorsque l'on ne va pas bien, la silhouette que l'on voit lorsque l'on meurt... ce sont des images d'Hel et d'Ilça, mais ce ne sont pas véritablement eux. La vérité, c'est que, de la même façon dont Hel était renfermée dans le corps d'Isabelle, Ilça, ou du moins, son cœur, sa puissance, est renfermé dans deux corps différents, pour éviter tout débordement.
— Attends, depuis quand ? me réveillai-je. T'étais au courant pour Hel ?
— Cela fonctionne ainsi d'aussi loin que je me souvienne, et non, je n'étais pas au courant pour Hel. Cependant, nous les anges, fonctionnons de façon quasi identique... Je m'en suis rendu compte il y a peu. La véritable puissance d'Ilça est séparée en deux et est scellée dans les corps des deux archanges qui reposent bas dans les sous-sols.
— Pourquoi tu nous l'as pas dit avant ? m'interloquai-je.
— Vous... Vous n'aviez aucun intérêt à savoir que ces personnes existaient avant ! Ce ne sont pas des gens que nous abordons tous les jours...
Oh, bordel... Une force équivalente. Comptait-elle libérer Ilça de ces deux « archanges » pour anéantir Hel ? Lâcher deux divinités dans la nature ?
Eneko gratta sa joue fraîchement rasée. Son visage fin et fatigué pointait la jeune femme du nez.
— Et pourquoi tu as besoin de moi, exactement ?
— Eh bien, grinça la guerrière, si Hel se bat dans le corps de quelqu'un, il faut qu'Ilça fasse de même. Cependant, d'après le bestiaire, seule la flamme des séraphins peut supporter Ilça et...
Les séraphins, ces anges qui avaient vécu plus d'une E.M.I..
— Tu es le seul vivant.
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