Chapitre 15.3

M A L E K


          Pour résumer ma nuit de sommeil : j'avais fermé les yeux et mon réveil avait sonné.

Je claquai mon téléphone et tripotai son écran pour le taire, la tête enfoncée dans mon oreiller mouillé. Berk. J'avais bavé dessus.

Je n'avais pas dormi. Impossible. Pourtant, quelques heures s'étaient écoulées depuis que j'étais rentré. Mon crâne se balançait dans tous les sens et un picotement bouffait mes yeux déjà bousillés. La sécheresse craquelait ma gorge. J'empoignai la bouteille d'eau de mon lit et l'engloutis, quitte à ce que ma vessie explose.

Je me dégageai de la couverture et allumai la lampe torche de mon appareil pour le poser près de moi. Bordel, se lever à sept heures, ce n'était pas une vie ! Pourquoi m'étais-je inscrit à la fac, même ?

Bon... Sécher ou ne pas sécher ?

D'un côté, pas sécher. J'en avais besoin pour avoir un avenir.

De l'autre, sécher. La fin du monde approchait, alors je n'avais pas besoin d'avenir.

Argh !

Mes paupières alourdies se fermaient toutes seules. C'était un appel à allonger ma nuit, de la part de mes muscles, pas de mon cerveau. Je n'avais pas le choix, un corps comme ça s'entretenait comme il le fallait !

J'ignorais combien de minutes je laissai s'écouler, assis sur mon lit, mais un fluide luminescent tournait sur lui-même. Il attira mon esprit divaguant comme une poussière dans un aspirateur. Les couleurs étaient jolies, la forme aussi, quoique floue. Les fils de lumières se mêlèrent les uns aux autres afin de créer l'illusion d'un corps qui flottait dans ma chambre obscure.

Bordel de merde. L'alcool ne me réussissait pas. Heureusement que je n'avais pas vomi — je crois. Dans quoi m'étais-je fourré, déjà ?

Ah, ouais... Eneko. Littéralement.

Des bribes de la scène resurgirent. Mince. J'avais réellement demandé des capotes à des inconnus... et le pire, c'était qu'on m'en avait donné. Avait-il trouvé le sommeil, de son côté ? Mon téléphone me brûla les rétines, mais je lui envoyai un message. Par dessus, l'aura lumineuse s'éclaircit, plus proche d'un corps gracieux que jamais. Elle arborait même un visage uniquement composé de traits fins, bleutés et brillants, comme un dessin animé en néon. Le nez grec, les lèvres pulpeuses, les yeux amande, les joues...

— Sonja ? Oh putain, soupirai-je.

Plus jamais, l'alcool. Voilà que je voyais des morts ! Et puis quoi, encore ? C'était la même forme qui m'avait surpris après l'attaque du Helhest, quand Eneko était blessé. Un spectre d'ange classique, mais sans la flamme...

Je devais la rejoindre. Mon âme s'échappa de mon corps avec une aise déconcertante et celle devant moi devint plus nette. Bordel... Pas de doutes, même en cas d'effets secondaires des gueules de bois angéliques, c'était elle.

— Tu deviens quoi ? blaguai-je.

— C'est saoulant, la mort, l'imaginai-je me répondre. On s'fait chier.

Encore une raison suffisante pour aller en cours... non ? Je m'étais promis de rester assidu malgré ces aléas angéliques, mais, qui dans ce monde atteignait réellement ses objectifs ? Mon esprit aimait les rébellions. Je n'obéissais à personne, ni même à moi. D'ailleurs, si je m'obéissais, je n'aurais jamais accepté les lèvres d'Eneko.

Être rebelle et indépendant avait du bon.

Dans le silence, je partis prendre une douche froide. Une fois sec, je m'habillai en vitesse et sortis un peu l'air. Je retrouverais peut-être mes sens.

Le vent matinal glaçait mes cheveux encore humides et de la vapeur s'échappa de mes lèvres. J'aimais ça. La lune brillait dans le ciel sombre et nuageux qui dominait les rangées de bâtiments. Je marchai quelques instants. Mes pas me dirigèrent vers l'arbre où Eneko m'avait embrassé pour la première fois, juste derrière.

Je voulais le rejoindre, comme si je ne l'avais pas assez bécoté hier soir. Et si je lui déclenchais un rêve érotique, comme il m'avait déjà fait ? Ou était-ce trop pour sa petite nature ? Je nettoyai mes pensées et me baladai un peu plus, jusqu'à rentrer une dizaine de minutes plus tard, la tête vidée, le sang pur — ou presque — et immaculé de tous péchés.

Quelqu'un m'attendait dans ma chambre.

Mes paupières papillonnèrent. Deux minutes... Non, j'allais bien, là ! Ma petite promenade avait dégorgé les restes d'alcool qui m'avaient souillé, pourtant, le spectre de Sonja me dévisageait toujours.

T'existes vraiment ? T'es...

— T'es encore là ?

Elle était morte, merde ! Les morts étaient-ils condamnés à errer entre deux dimensions pour l'éternité, ou quoi ? Se trouvait-elle dans une autre ? Un purgatoire, parallèle à notre monde ? Je soupirai. Peut-être qu'elle voulait nous protéger, comme d'habitude. Peut-être qu'elle voulait nous guider. Me guider.

— J'ai toujours du mal à comprendre comme tu nous as cachés cette histoire de démon, ricanai-je, persuadé qu'elle m'entendait.

Mais sérieusement, que fabriquait-elle ici ?

Je devais me tromper.

J'étais mort. Pas pendant mon E.M.I., non, mais lorsqu'Eneko m'avait tiré dessus. J'étais mort, pendant plusieurs jours ! Pourtant, je n'avais aucun souvenir de me balader à travers Arkan, sans enveloppe charnelle et sans flamme... et ce n'était pas comme si Ilça m'avait retenu. Revenir à la vie avec une balle dans le corps aurait dû s'avérer ardu, mais le sacrifice de Sonja l'avait fait disparaître. Il m'avait soigné, et d'un coup, si le tir n'avait jamais eu lieu – alors en tant que Dieu ou je ne sais quoi, Ilça aurait pu faire un effort... mais non !

Alors qu'est-ce que tu fous là ? Tu veux me dire quelque chose ? Bon... C'est pas comme si t'allais me répondre, hein. Tu t'contentes de m'fixer avec tes yeux invisibles...

— Tu peux partir ? J'vais m'déshabiller, j'suis fatigué.

Je m'exécutai. Le spectre avait disparu. Avais-je une case en moins ou était-elle venue me surveiller ? Cela signifierait qu'elle errait toujours dans notre monde et qu'elle n'était sûrement pas la seule.

Je m'écroulai contre mon lit afin de laisser le marchand de sable réparer ma nuit.



J'ingurgitai le Bloody Angel, de nouveau frais et bien dans mes baskets, si l'on zappait toutes les questions qui m'embrouillaient depuis mon réveil. À qui pouvais-je les poser ? Celes, peut-être ? Eneko avait son numéro, mais il n'était pas là. J'ignorais si je pourrais la retrouver.

Je dévalai les escaliers, mais deux gardes m'empêchèrent de pousser les portes du sous-sol.

— Il se passe quoi ?

— Contrôle de sécurité, gronda l'un, musclé pour deux. Vous êtes ?

— Malek. Malek Hallami.

Il vérifia mon prénom dans l'annuaire de sa tablette. Évidemment, il y était. J'étais enregistré, hein ! Pendant ce temps, le deuxième déroulait un hologramme étrange sur mon visage ; il m'identifiait — une détection faciale. Ils n'avaient pas chômé, pour ces nouvelles sécurités. J'avais oublié leur existence...

On me laissa entrer, mais une mauvaise surprise m'attendait de l'autre côté du seuil : encore guerriers. Bordel, ça finissait jamais ? J'allais m'énerver, à force ! C'est vrai que ce midi, ils bataillaient avec une jeune femme pour étudier sa flamme. J'espérais qu'ils s'arrêtaient à là...

L'un d'eux, avec son armure jusqu'aux dents, analysa celle qui brûlait dans ma poitrine. L'autre m'agrippa le poignet et approcha une tige pointue de ma main.

— Hey, vous faites quoi ? m'alertai-je.

— Bouge pas, on vérifie le sang.

Mon rythme cardiaque bondit.

Non. Non, non, je crois pas, non !

— Malek, bonjour !

Je relevai la tête, paniqué, face à Celes. Bordel, il ne manquait plus que ça ! Le soldat m'empêchait de fuir. Mon cœur se détruisait, il palpitait à en exploser. Je tremblais, tirais timidement ma main, de peur des représailles, mais il me la broyait.

Putain ! On ne m'avait pas prévenu !

— Du calme ! m'engueula-t-on. Après, tu seras libre !

Le garde me pénétra de ses yeux et l'aiguille piqua mon index. La tige enveloppa ma cage thoracique dans une terreur glaciale. Des sueurs froides grondèrent sur mon dos.

Une goutte de sang coula, de mon doigt jusqu'à la lamelle de l'homme. Il s'immobilisa. Moi de même. Puis le monde. Son regard d'acier m'écrasa. Il rangea ses affaires dans un sac banane. Il me plaqua contre le mur sans plus attendre. Sa poigne me broya la tête. Mon sang envahit mon crâne. Le choc m'électrisait les muscles.

J'étais foutu.

De l'autre côté du couloir, la guerrière rousse me dévisageait, paralysée, floue.

Ils l'avaient vu.

Elle l'avait vu.

Putain... Désolé Sonja. Désolé, mais t'aurais dû me laisser crever. Tu n'aurais pas dû te sacrifier.

Jamais, oh, jamais je n'avais signé pour ta flamme, et encore moins ton sang de démon de merde !

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