Chapitre 15.2
M A L E K
Par message, Eneko demanda où je me trouvais. Il m'attendait sûrement devant la salle d'audience. Je slalomai à travers les couloirs étincelants jusqu'à les retrouver au milieu d'une foule qui se dispersait. On se réfugia dans un recoin pour quelques minutes de répit, même si deux gardes collaient Agnes au cul comme si elle préparait un attentat.
Eneko me sourit à pleines dents, ce dont je n'étais pas habitué. Je balbutiai.
— C'est quoi, cette histoire de séraphin ?
— Ils m'appellent comme ça parce que j'ai vécu deux E.M.I.. Je sais, moi aussi, ça me complique la tâche...
Tout le monde était désormais au courant du phénomène de combustion spontanée, et l'on pesa le pour le contre : devrait-on faire confiance en Prairie ?
La démone refusa de répondre. À la place, elle jacta :
— Vous savez c'qui pourrait vous décoincer et vous rendre plus agréable à vivre, à part baiser ?
— Quoi ? lui répondis-je pour pallier la méfiance d'Eneko et la gêne écarlate de Celes.
— S'en mettre plein la barrique. Boire. Sérieux ! J'sais pas si c'était Hel ou Ilça, mais y ont pas créée l'alcool qu'pour faire hurler les couches-culottes qu'tombent à vélo. J'connais un super coin. C'soir, un pote ange y travaille.
— Sérieusement ? cracha le châtain.
— T'vas pas m'dire que t'as pas envie d'oublier tout c'merdier, l'temps d'une nuit ?
Je ne refusais jamais une occasion de boire un peu... et puis, elle n'avait pas tort.
À ma surprise, Celes montra son engouement. Seul Eneko paraissait récalcitrant, à juste cause. Sa dernière soirée l'avait traumatisé. Cependant, je lui rappelai qu'il pouvait rester avec moi et que boire n'était pas obligatoire pour s'amuser et pour oublier nos problèmes — vivre dans la peur, ce n'était pas vivre. Ceci dit, fuir à tout prix les boîtes de nuit ou les fêtes ne le guérirait pas non plus et il le comprit. Moi, en attendant, je comptais bien prendre une cuite — la dernière avant la fin du monde. Il céda à une condition : « que personne ne meurt. »
Je ne m'étais jamais autant forcé à rire avant.
Le soir, on se rendit dans l'une des rares rues d'Ayan qui restait occupée une fois la nuit tombée. Malgré la faible luminosité renvoyée par la lune, elle brillait, animée par des murmures et des éclats de rire. Quelques bars s'éparpillaient, tout comme cette boîte de nuit, approuvée par Agnes. D'après elle, il y aurait pas mal d'anges et de démons... dans la file, les discussions improbables fusaient.
— L'genre est un spectre. La sexualité est un spectre. T'peux aimer les garçons sans jamais vouloir coucher avec eux. C'mon cas, se vanta Agnes. Les filles, par contre...
Elle imita un ciseau avec ses doigts. Mon esprit pervers me perdit et j'explosai de rire. Comment Eneko ne pouvait-il pas l'aimer ?
— C'comme les vêtements, continua-t-elle en tirant sur son costume à piques. C'mixte si tu t'en bas l'couilles.
À l'intérieur, les gens semblaient heureux, excités ; ils papotaient, souriaient, dansaient déjà, sous la lueur rouge qui servait d'ambiance. Ça me rappelait les fêtes du lycée, que les potes confondaient avec des concours de comas éthyliques, sauf que cette fois, personne ne m'acclamait.
En tout cas, les gens semblaient très tactiles...
— C'quel genre d'endroit ?
— Un endroit pour ceux qu'en ont rien à foutre ! s'écria la démone qui se dandinait autour de la grande Celes, décontenancée. Hétéro, bi, pan, gay, fauché, ruiné, même ceux qu'mettent l'lait avant les céréales et ceux qu'le mettent après. On va tous crever, donc autant en profiter !
Étonnement, Eneko me proposa une bière — ouais, l'Eneko que l'on connaissait tous ! Deuxième bonne nouvelle : d'après Agnes, les pintes coûtaient deux fois moins cher si l'on était un ange ou un démon ! Je m'esclaffai. J'avais bien fait de crever, moi ! On était tombés au paradis, en particulier le koala. Sous les basses qui fracassaient les murs royaux, il m'admirait comme si mon sourire lui suffisait pour jouir. Il s'humecta les lèvres pour avaler la mousse qui épaississait sa moustache. J'ignorais si l'alcool coulait déjà dans mes veines, mais j'avais envie de lui enlever cette mousse moi-même.
Je découvris mon petit ami d'un nouvel angle et je compris pourquoi il restait éloigné de l'alcool. Quelques chopes suffisaient pour le transformer. Il se déhanchait, peut-être trop — je n'étais pas le seul à le dévorer du regard. Heureusement, la musique transe lui permettait de s'abandonner à mon corps, qui je le savais, l'attirait. Nos fronts se collaient, nos sueurs en dégoulinaient, et toute la chaleur faisait fondre mon sang jusqu'à mon entrejambe. La foule se frottait trop pour le remarquer. Une fougueuse envie de faire tomber la chemise m'entraînait. Mes doigts palpaient le cou charnu et piquant du serpent devant moi. Il débordait de confiance. Ça m'excitait. Au bout d'un moment, Agnes nous surprit, suivie de Celes.
— Il vous faut une chambre ?
— Eneko, tu es sûr que t'es pas possédé ?
— Quoi ? Possédé par ce rythme endiablé ? A fond, ma poule !
Il était aux anges — littéralement. Un groupe de filles monta sur un piédestal, prêt à chanter et à cracher un message de tolérance, sur le fait que contrairement à nos croyances, nous avions tous des ailes : anges, démons, humains ; que l'on devait apprendre à voler de nous-mêmes.
Mais je ne voulais voler qu'avec lui.
— Il vous faut une chambre ?
La demande d'Agnes résonna dans mon crâne pendant une bonne heure jusqu'à ce que je ne tienne plus debout — j'avais besoin, non ; j'avais envie de lui, maintenant. Je le tirai par le poignet et l'emmenai aux toilettes de l'étage inférieur, libéré de la touffeur dansante, entre des lavabos et des urinoirs d'or. Je le poussai dans une pièce minuscule et verrouillai la porte derrière moi. Le nez et les joues rosies, il ricana et je m'approchai, tel un prédateur.
Mes paroles m'échappèrent. J'ignorais ce que je lui demandais, mais des mains volaient. Personne ne nous regarderait. Il pouvait se déshabiller. Mes bras enveloppés autour de son dos, son crâne cogna le carrelage et je lui dévorais le cou sous ses gémissements.
— Malek ! répéta-t-il alors.
Mince.
Non.
Je ne devais pas le forcer. On en avait déjà parlé.
— Pourquoi t'es si sexy ? lança-t-il. Avec ta voix suave, tes cheveux bouclés qui retombent, là, j'arrive pas à penser.
— T'as envie ?
— Ici ?
— De moi.
— Euh... O-Oui.
— Cool.
— Mais... T'as pas de capotes, si ? hésita-t-il.
— Euh... bah non, hoquetai-je, mais tu t'es fait dépisté, non ?
— Non, je... Non. Non ! C'est trop embarrassant.
Quelques secondes s'écoulèrent.
— Tu voudras que j't'y emmène ? murmurai-je.
— C'est pas le sujet.
— J'suis négatif, moi, t'inquiète. Ou sinon, j'peux aller demander des capotes, doit y avoir des gens qu'en ont.
— Sérieusement ? s'esclaffa-t-il. Mais t'es malade !
— Malade de toi, ouais. Regarde c'que tu m'fais.
Je plongeai sa main dans ma poche. Ses doigts s'enroulèrent autour de mon sexe. Mes yeux roulèrent en arrière. Je m'enflammai. La puissance de ce contact...
Le reste serait inscrit dans les futurs livres d'histoire.
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