Chapitre 15.1
M A L E K
Je martelais le clavier de mon ordinateur, histoire de rattraper les cours que j'avais ratés, à cause de ces anges, ces démons, du sauvetage d'Eneko et cie, etc. On me les avait gentiment envoyés, et j'étais censé être à la fac aujourd'hui, mais... je séchais pour rattraper les cours que j'avais séchés. Pas de ma faute ! Je ne contrôlais pas le monde autour de moi.
Personne ne le pouvait. Pas avec Hel.
Eneko était persuadé qu'Isabelle nous avait menti à ce sujet, il pensait qu'elle voulait nous induire en erreur. J'avais envoyé un message à la concernée et elle s'était défendue. Elle ne pouvait pas expliquer pourquoi la fille avait survécu malgré la libération de la déesse.
Je baissai les yeux.
11 h 57.
Merde. Le rendez-vous !
Je glissai mon appareil sous mon oreiller et bondis du lit. La porte de la chambre se verrouilla automatiquement après mon passage.
Quel con ! Bon, je n'aurais plus qu'à demander à Eneko de me la rouvrir, tout à l'heure... J'ignorais s'il assisterait à la séance également. J'en avais simplement conclu que oui. Après tout, si le patron avait une annonce à faire, ça le concernait aussi.
Je me rendis à la salle d'audience de l'étage principal, qui avait accueilli les funérailles de Sonja. On l'avait tout juste débarrassé de celles de Steve, le guerrier blond, qui avaient eu lieu plus tôt dans la matinée. J'avais refusé d'y aller et avais privilégié l'étouffement sous la couette. Retrouver son corps, le revoir s'écrouler sans vie, ses yeux rouler en arrière, le sang couler entre eux...
À cause de moi ?
Je ne l'aurais pas supporté. J'aurais gerbé sur place. L'autre blonde qui m'avait agressé après l'incident avait sûrement enflammé la coupe dorée pour lui rendre hommage et m'aurait botté le cul. Malgré son tempérament, je n'avais pas le droit de l'accuser — même si je n'avais qu'obéi à Agnes.
J'arrivai à midi pile. Plus de cercueil, à l'horizon, rien qu'une foule d'anges attentifs. J'avais beau bondir et me frayer un chemin comme une taupe encerclée par des marteaux prêts à l'assommer, j'y trouvai ni Eneko ni aucune connaissance. Seul le vieux au crâne dégarni se tenait sur la plate-forme principale, devant le pupitre. Il se racla la gorge dans un microphone et le silence s'installa. Il imposait le respect. Du moins, en surface.
— Bonjour à tous.
Un grincement strident déclencha de nombreux râles dans l'assemblée. Il devait puer de la gueule pour qu'un micro se plaigne ainsi...
— Ce matin, annonça-t-il d'une voix rauque, l'Angélique a accueilli son premier démon, dont je tairai pour l'instant le nom, en dépit des sécurités installées à l'entrée. J'ai décidé de faire une exception, bien qu'elle soit placée sous haute surveillante.
Quelques murmures pullulèrent. Il parlait d'Agnes. Même s'il refusait d'accorder démon au féminin, ce «elle» était la seule qui avait suscité autant d'intérêt depuis avant-hier, lorsque...
Non, on savait tous ce qui s'était passé. Pas besoin de le ressasser.
— La raison en est simple : nous venons de faire une découverte qui pourrait annoncer le début d'une nouvelle ère.
Les sourcils broussailleux de l'homme vivaient leur propre vie, sous son long front ridé. Ils s'agitaient plus que ses lèvres ombrées par sa moustache grisâtre et hasardeuse.
— Les démons ont toujours été source de questionnements et de craintes, mais il y a quelques semaines, un événement inattendu s'est produit : la base forestière d'Aversion a été détruite, et avec elle, la déesse des morts, Hel, a été libérée. D'après nos anges, une femme la renfermait.
Il regardait tout le monde sauf moi. J'étais là, hein. C'était en partie grâce à moi, ça !
— Nos guerriers ont prouvé leur force et leur courage en traquant la déesse lorsque cette dernière s'est réfugiée dans le corps d'une jeune humaine innocente. Ce qu'ils y ont découvert est... incroyable. Cette jeune femme a pris feu, comme par magie. Hel lui a fait prendre feu. Et lorsque l'on pourrait penser qu'elle ne s'en réveillerait jamais, elle nous a prouvé le contraire. Elle s'est réveillée... en tant que démon.
Hein ? Attends...
Ça, on ne me l'avait pas dit ! Oui, elle avait survécu, mais de là à devenir une... démone ? Elle était devenue une démone ? Putain ! Était-ce réellement possible ? Je croyais que le seul moyen était de...
Merde.
La vérité me frappa de pleine face.
— Nous ignorons comment cela fonctionne, mais nous comptons bien creuser cette découverte. La libération de Hel signifie peut-être la restauration de l'équilibre de notre monde qui nous échappait petit à petit. Nous n'avons aucune trace de la dernière fois que la déesse avait régné sur l'île. Cela signifie que la femme en question qui la refermait détient beaucoup de réponses à vos questions.
— Malek !
Une voix masculine retentit derrière moi. Je virevoltai aussitôt, étouffé par la foule, et aperçus la frimousse d'Eneko, pâle et duveteuse.
— Ah, les voici ! Chers anges, merci de laisser passer les pionniers, coupables de cet exploit. Je vous en prie, venez !
Le châtain m'indiqua la sortie. Je l'y retrouverais tout à l'heure. Accompagné de la rousse Celes et de la mi-gothique Agnes, ils rejoignirent le défraîchi.
S'il ne racontait pas des conneries, alors Steve... Pourquoi l'avais-je tué ? Cette combustion fonctionnait-elle si elle s'attaquait à un ange ? Notre ancienne thérapeute était persuadée que non, mais je ne pouvais décidément pas la prendre au pied de la lettre.
Hel pouvait nous posséder. Je l'avais appris à mes dépens. Mais si c'était le cas, ce qu'Isabelle m'avait raconté à propos de Sonja n'avait aucun sens non plus. Putain. Je devais tout mettre au clair avant que je devienne fou pour de bon.
— Voici Agnes, la guerrière Celes et le séraphin Eneko.
Séraphin ? Et puis quoi, encore ? J'en avais marre, d'apprendre du vocabulaire, et personne ne pouvait répondre à mes questions, ici ! Le boss continua son discours, mais j'en avais assez entendu. Sans m'excuser, je bousculai quelques personnes, me cognai contre un banc, jusqu'à m'échapper de cette salle. Je m'en branlais, des plaintes — eux, ils n'avaient pas du sang inutile sur les mains.
Le temps que la conférence se termine, je voulus prendre l'air, mais aux portes argentées du hall, des hommes baraqués et déguisés en chevaliers fouillaient toute personne entrante. Ils analysaient la flamme d'une femme qui se débattait tant bien que mal, mais rien n'y faisait.
Ouais, non merci. J'éviterais de sortir pour l'instant. Tout de même, je m'y m'approchai pour retrouver du signal et appeler Isabelle.
Par chance, elle ne se fit pas prier.
— Bonjour, toi ! s'enjoua-t-elle de sa voix naturellement hypocrite. Il y a du nouveau ?
— Tu t'fous de moi, y'a du nouveau ? lui arrachai-je. C'est quand qu'tu vas arrêter d'nous mentir ?
Les gardes m'accablaient de regards malhonnêtes. Je me collai au mur entre deux ascenseurs en baissant le ton. Isabelle ne répondit que quelques secondes plus tard :
— De quoi parles-tu ? Je ne vous ai pas menti !
— Ah ouais ?
— Oui ! Je t'ai dit tout ce que je savais ! Je t'ai même parlé de la tréant alors que c'est un objet interdit !
— Qui m'dit qu'il existe, ton truc, même ? Écoute, tu sais que la meuf a survécu. Celle qui était possédée. Figure-toi qu'Hel a fait d'elle un démon ! Un démon ! À quel moment ? craquai-je. Tu le savais, non ?
— Un quoi ? Non, non, balbutia-t-elle. Malek, je t'assure ne pas savoir de quoi tu parles, tu... Je ne suis jamais devenue un démon ! Quand Hel m'a quittée, je suis restée humaine !
Un soupir, de soulagement ou d'agacement, qu'importe, m'échappa. Au fond, qu'elle me dise qu'elle n'en savait rien me rassurait, mais elle nous avait tellement menti que lui faire confiance épuisait mes ressources. Sincèrement. J'en avais marre.
D'un autre côté, c'était facile, de l'accuser, pour cette même raison – et également parce l'on avait personne d'autre sur qui rejeter la faute. Cependant, son comportement me poussait à croire qu'elle nous disait la vérité. J'y avais assisté... Hel pouvait nous faire dire des choses que l'on n'aurait jamais dites autrement.
Puis, elle n'avait plus aucune raison de mentir... si ?
— Malek ?
— Ouais, j'suis là.
— Ça avance, de mon côté. Je vais voir ce que le gouverneur cache, mais fais-moi confiance, s'il te plaît.
Mon téléphone se décolla de mon oreille et mon bras retomba, las. Je raccrochai. Je ne pouvais pas ajouter quoi que ce soit. J'ignorais quoi faire.
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