Chapitre 14.1

C E L E S

          Je n'avais plus la force d'empêcher mon crâne de s'écrouler. Il glissa hors de mes mains et se cogna contre la table. Heureusement que nous y avions posé des chaises. Je n'aurais pas tenu aussi longtemps. Un bâillement me trahit et je m'étirai contre tous les documents que j'avais éparpillés près des hologrammes. Le bon côté des choses — peu de monde me verrait dans cet état. L'affluence à l'Angélique était minime.

Hier, nous avions tous témoigné des événements. Tout était couché sur papier et je venais de passer plusieurs heures à chercher des solutions, mais au fond, je n'attendais qu'une seule chose — que mon téléphone sonne et que son prénom apparaisse. Non seulement elle restait une personne clé de cette enquête et nous aurions besoin de sa version des faits également... mais je voulais m'excuser.

Demain, l'Angélique mettrait en place une nouvelle sécurité à l'entrée du sous-sol. Cela avait été décidé ce matin, le patron avait approuvé l'idée. En plus du champ magnétique qui rendait la flamme de l'individu automatiquement visible de tous, nous allions instaurer un système qui avait longtemps été en préparation — tout le monde devrait être analysé en détail afin d'approfondir la base de données. Chacun y passera une unique fois, lors de leur première visite à compter de demain. Au programme : numérisation du corps, du sang, de la flamme et du cerveau — pour s'assurer de l'absence de lien avec notre ennemi.

À la fois, cela paraissait radical, mais lors de la réunion, nous avions également abordé le sujet d'une possible alliance avec des démons, bien qu'un grand nombre y restaient réticents. Nous devions prendre exemple sur ces personnes qui se cachaient et leur faire comprendre que leurs opinions et idées étaient valides. Vu comme Steve avait frappé Agnes après sa possession, il était clair que la déesse ne discriminait pas entre anges et démons.

Mon téléphone vibra et m'arracha de ma léthargie.

C'était elle.

C'était elle !

Les battements de mon cœur s'intensifièrent. Ce n'était pas un message. Elle m'appelait. Malgré les tremblements, je réussis à décrocher.

— Allô ?

Seuls des grésillements me répondirent.

Bon sang... J'allais devoir remonter à la surface.

— Attends deux minutes, je te rappelle !

J'enfilai mon manteau et me ruai hors du Quartier Général. Il pleuvait, alors je restai à l'entrée du café. Je n'eus pas le temps d'appuyer d'ouvrir mes contacts que son prénom s'accapara l'écran de mon téléphone. Une nouvelle fois, je décrochai.

Désolée, j'étais au sous-sol, nous prononçâmes à l'unisson.

Je tentai d'étouffer un rire, mais mon corps refusa d'obéir. Une chaleur m'emmitoufla sous sa couverture duveteuse, et pourtant, je tremblotais toujours.

T'peux revenir comme on s'est dit hier. J't'attends.

— D'accord, merci !

Elle raccrocha aussi vite, mais au moins, je pouvais partir. Malgré le temps orageux, je me devais de rendre une visite propre à ces inconnus, et de réellement comprendre leur objectif.

C'est avec soulagement que je remarquai que le cadavre ensanglanté de Steve avait disparu de la maison insalubre.

Je tâtai mes paumes moites — sûrement la chaleur et l'humidité. J'essorai une poignée de mes cheveux roux lorsque le tonnerre gronda. Au sous-sol, j'empruntai le minuscule tunnel qui menait à la caverne d'Agnes. Au bout de ce dernier, je frappai sur la trappe métallique qui bloquait la sortie. On me demanda un mot de passe.

Attends... Mince. Elle nous l'avait dit, mais j'avais oublié !

— Agnes m'a demandé de venir ! Est-elle là ?

— Mot de passe.

Mais — non. Ce n'était pas le moment pour m'énerver. Dans le noir, enfoui sous terre à quatre pattes, je ne désirais que rentrer. Leur chef m'en avait donné l'autorisation, pourtant !

— Je... Je n'ai pas le mot de passe, soufflai-je. Agnes est-elle présente ?

— Désolée, pas de mot de passe, pas de...

— C'bon Kyle, laisse-la rentrer, entendis-je.

Je reconnus la voix peu articulée de la démone, mais cette fois, elle semblait moins enjouée que d'habitude. Dans un vrombissement, le disque métallique roula sur le côté et la lumière m'atteignit. La fille aux cheveux noirs et un homme qui me regardait de travers m'accueillirent.

— Merci, voulus-je montrer ma gratitude.

— C'juste parce que j't'aime bien, soupira-t-elle en retroussant chemin.

— Je prends note.

Elle m'appréciait. Cela était un bon signe, autant pour l'Angélique que pour...

Que pour quoi ?

— Me permets-tu de te tutoyer ? osai-je, interrompant mes pensées.

— Fais comme chez toi.

— Tu vas mieux, depuis hier ?

— Ouais, ça passe tranquille.

Elle m'amena près de l'éternel feu de camp où elle s'assit sur un tronc d'arbre qui servait de banc. Consciencieuse, je la rejoignis et contemplai le brasier. Je devais prendre les rênes de la discussion.

— Je suis navrée, pour ce qui s'est passé.

— C'oublié.

Pardon ? Déjà ?

Non, elle blaguait sûrement, comme elle en avait l'habitude. Je ne la connaissais que très peu, mais je l'avais cernée... à moitié, du moins.

— Non, et je voulais m'excuser au nom de l'ensemble des guerriers angéliques...

— C'oublié, j'te dis, répéta-t-elle.

Pourtant, son œil au beurre noir la contredisait.

— Au moins, tu n'auras plus besoin de maquiller cet œil...

Mon âme s'envola. Je n'avais rien prononcé. Ce n'était pas moi, absolument pas moi ! Hel ? Es-tu là ? Dis-moi que c'est toi !

Le visage enflammé par les reflets du feu, elle me défigura, la mine impassible. Ses yeux vitreux me fixèrent dans le silence pendant de longues secondes. Je n'aurais pas dû ouvrir la bouche — même si je n'y étais pour rien, j'aurais dû enfouir cette mauvaise blague loin dans mon esprit !

Je soupirai.

Je croyais que ça l'amuserait. Je pensais...

Elle éclata de rire.

— J'savais pas qu'les anges avaient d'l'humour !

Je ne pus m'empêcher de sourire. Mon inconscience ne m'avait pas enterré, finalement ! Mon ventre s'agita, mais je ne pus mettre la main sur la raison. Je n'avais pas faim, mais il me lançait tout de même. Agnes se racla la gorge.

— Bref, t'veux savoir quoi ?

— Eh bien... Tout ce que tu peux me dire ?

— J'espère qu't'aimes les romans ! s'esclaffa-t-elle.

J'adore ça.

— Ç'a commencé quand un ange et un démon sont tombés amoureux... à c'qu'on dit.

Oh, une romance ? Mon cœur écarlate en raffolait, même si je ne m'étais pas encore remise de la dernière que j'avais lue...

— L'ange en a parlé à ses amis, vu qu'il en était fier, l'bougre, se moqua-t-elle. Quelques jours après, sa meuf était r'trouvée morte. L'Angélique l'avait fait. Alors, il l'a quitté et l'est plus jamais r'venu. Il a traqué des démons et des anges qui pourraient bien s'lier à lui. Au fil du temps, d'plus en plus de gens ont avouer qu'ils f'saient pas confiance au système, puis l'temps est passé pour former c'petit groupe. On raconte que c'te caverne était l'ancienne base où Aversion invoquait des démons.

— Tu parles des démons comme si tu n'en étais pas une, montrai-je ma perplexité.

— Oh, j'suis une démone, mais j'reste toujours humaine. Là, j'parle de tout c'qu'est pas humain. Spectres, créatures...

— Je vois.

Nous n'avions pas la même vision des choses. Pour moi, «démon» englobait tous ces êtres au sang sombre, tout comme «ange» englobait tous ceux détenant une flamme.

— Du coup, v'là, lança-t-elle. Y'a toujours au moins une personne ici. Y'a qu'là qu'on peut parler en liberté. C'est là qu'j'avais envoyé Yuri, l'première fois qu'on s'est vus. On pensait pouvoir découvrir quelques trucs... et tu vois, finalement, c'est c'qui s'est passé !

Yuri... Était-ce le prénom de la jeune femme que nous avions traquée ? Celle qui avait résisté à la combustion spontanée dont Eneko m'avait parlé ?

— Que s'est-il... passé ? Tu parles bien de la fille qui...

— Ouais, celle qu'a brûlé. T'sais pourquoi elle a survécu ?

— Non... Pourquoi ?

Ses cernes s'accentuèrent, relevés par des joues pâles et boursouflées lorsque ses lèvres gercées s'étirèrent. J'attendais une réponse à tout moment — après tout, hier, nous avions dû partir aussitôt, mais elle ne m'aurait pas laissé venir sans raison... non ?

— Vous m'épatez, v'z'êtes vraiment drôles les anges, d'cidément !

— Que... comment ça ? balbutiai-je.

Son sourire disparut et elle décolla ses fesses du bois pelé. Par réflexe, je l'imitai et secouai mon pantalon. Je replaçai mes mèches derrière mon oreille dans l'attente d'une réponse. Agnes s'enfonça dans la caverne.

— J'te rappelle que dès qu'j'suis partie hier, vous v'z'êtes permis d'attaquer mes compères parce qu'ils obéissaient à mes ordres. J'suis censée vous faire confiance ?

Toute la chaleur qui avait recouvert mon cou s'effrita et l'atmosphère de la cave se frigorifia. Le regard froid de l'homme qui m'avait accueilli me poignardait le dos.

— Je n'étais pas d'accord avec cela, me défendis-je.

Elle ne me répondit pas. À la place, elle se réfugia au fin fond de sa cachette, là où les torches ne brûlaient plus. Des tintements métalliques retentirent en de sueurs froides. Mes os tremblotaient, à deux doigts de basculer.

La silhouette sombre de la démone s'illumina de nouveau lorsqu'elle revint vers moi, deux épées à la main. Elle m'en jeta une que je ne pus attraper. Je bondis en arrière pour ne pas finir blessée. Je refusais de l'empoigner, j'étais venue les mains vides ! Que me proposait-elle ?

— Bats-moi dans un combat à armes égales, tonna-t-elle. Et juste s'tu réussis, j'te dirai c'que j'sais et comment Yuri a survécu.

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