Chapitre 11.3
M A L E K
La jeune femme roulait contre le sol rocheux, le corps embrasé et calciné par les flammes. Ces dernières se mélangeaient au brouillard violacé qui nous indiquait la présence d'Hel et qui leur permettait de se propager sur une surface pourtant inflammable.
Je restais planté là, tétanisé, dans cette caverne, sous les hurlements incessants des anges à mes côtés, et de la possédée. Son corps n'en était plus un. Ce n'était plus qu'une boule de lumière incandescente.
Le tourbillon maléfique autour d'elle me giflait. La chaleur des flammes ravivait des souvenirs que j'avais cru éteints. Devant moi, je ne voyais plus personne hormis Nayla. Nayla essayant désespérément de sauver son amie, au beau milieu des flambeaux de notre ancienne maison.
Les cloques qui avaient fait bouillir ma peau cette nuit-là surgirent de plus belle. Ma salive s'évapora, asséchant ma gorge amère. Ma grande sœur s'en était sortie avec plusieurs brûlures au troisième degré. Son amie ne s'en était pas sortie du tout. Depuis, les incendies me terrifiaient. J'avais réussi à apprivoiser cette peur à condition d'une certaine distance entre eux et moi, mais là, quelques pas suffisaient pour brûler en enfer avec elle.
Ses cris s'évaporèrent et une nuée de fumée épaisse s'échappa de son cadavre. Cette brume forma un corps inhumain dont les pattes gigantesques s'accrochèrent aux parois. De la bile me menaça, couplée à des maux de tête. Je ne devais pas regarder.
— C'est Hel !
— Empêchez-la de s'enfuir !
Les guerriers prirent sur eux et tinrent bon malgré la tornade qui saccageait la cave. Elle avait éteint la majorité des torches et épuisait les flammes du corps de l'ancien réceptacle, nous plongeant peu à peu dans l'obscurité.
Une dizaine de langues de feu se mélangèrent en un arc-en-ciel à l'entrée, et en leur centre, celle d'Eneko, qui m'avait échappé.
— Malek ! hurla Agnes.
La démone me frôla. Une détonation retentit. L'une des flammes qui protégeaient l'entrée s'effaça aussitôt et son propriétaire s'écroula à terre.
— Elle les possède ! enchaîna-t-elle. Désarme-les !
Je m'exécutai sans plus attendre. Les cons, putain ! Ils avaient tous amené des flingues ! Quels timbrés !
Des ricochets fracturaient la roche. Pourvu qu'ils luttent contre l'emprise de la déesse comme je l'avais fait avant de tirer sur Eneko ! J'arrachai l'arme de la main de plusieurs guerriers, aidé par l'espèce de gothique. Ils se laissaient faire. Toutefois, l'entrée se déblayait, elle allait pouvoir s'échapper...
Mais c'était sans compter sur lui.
Devant le tunnel, Eneko hurla de rage. La brume se fit soufflée vers le fond de la grotte et un déchirement stridulent lui répondit. Mon cœur battait la chamade. Je devais halluciner.
Venait-il... de repousser la déesse de la mort ? Pardon ?
Cette dernière revint à l'attaque et m'enveloppa. Elle voila mon champ de vision. Tu ne me posséderas pas aujourd'hui, pétasse.
Agnes. Où était-elle passée ? Je l'avais perdu de vue.
Étonnement, mes intestins ne se ramollirent pas, ou autre. Aucun des symptômes de la fois où Hel avait tenté de se faufiler sous notre peau ne me brouillait. Étais-je... immunisé ?
Pas le temps d'y réfléchir.
J'empoignai un des flingues que l'on m'avait donné. Les rafales s'amenuisèrent. J'avais la chair de poule, mais pris une longue inspiration pour réguler les battements de mon cœur et l'embrasement de ma flamme.
Le vent disparut en quelques secondes.
Le nuage également.
Pouf.
Hel était partie.
Putain !
— Je l'ai pas sentie passer, toussa Eneko. Elle est toujours là ! Mais je...
La silhouette de ce héros tomba à genoux. De nouveau sur pieds, je détalai vers lui sans réfléchir, mais Agnes appela au secours. Sa voix se brisa en de multiples râles de douleur.
— Malek ! beugla-t-elle. Aide-moi !
Je balayai la caverne du regard. J'étais le seul debout. Tous les guerriers gisaient à terre, inconscients. Seul le feu de camp avait résisté à la tempête. J'ordonnai à la démone de s'en approcher pour que je puisse comprendre ce qui l'apeurait. Une silhouette se fit projeter vers la source de lumière. Putain. C'était elle.
La carrure du guerrier blond se développa au-dessus de son corps meurtri. Désolé, Eneko. Je fis quelques pas en leur direction. Ses yeux étaient noirs. Ne me dites pas que...
— Tue-le ! cria-t-elle.
Je dégainai mon arme. Non, je ne voulais pas le tuer. Je ne voulais pas tuer qui que ce soit ! Cependant, j'assistais impuissant à un rouage de coups. Le teint blafard d'Agnes se peintura de rouge.
Le possédé releva la tête vers moi.
Mon doigt pressa la détente.
La détonation brisa mes tympans. Je sursautai. Le guerrier s'écroula par terre et la tornade violacée reprit de plus belle.
Je déglutis. Putain de réflexe ! Il ne bougeait plus, je... venais-je encore d'assassiner quelqu'un ? Non ! Je... Je n'avais pas eu le choix. Il s'agissait de la déesse.
— Hel ! toussa Agnes à même le sol.
La démone peigna ses veines d'une couleur aussi sombre que ses vêtements et les envoya contre la brume. Cette dernière, de nouveau corps difforme, meugla. Des sueurs froides me glacèrent le dos.
Agnes tentait de la retenir avec ses pouvoirs de démon !
La flamme d'Eneko brûla de nouveau lorsqu'il se releva. Malheureusement, les veines de la brune cédèrent et Hel se propulsa sur lui.
Non... Non, non, non !
— Eneko ! hurlai-je à la mort. Dégage !
L'amas frappa son corps angélique de plein fouet. Sa souffrance se faisait entendre, mais il tenait bon, mains contre le mur. Sa flamme obstruait le tunnel qui menait vers l'extérieur.
Il avait déjà résisté au contrôle de Hel.
Il résisterait de nouveau — avec mon aide.
Tant pis si tout le monde me voyait. Je puisai dans mes muscles, ordonnai à mon cerveau de métamorphoser le sang qui coulait dans mes veines. Par chance, l'obscurité empêcherait les gens de le remarquer. Je projetai mes mains en avant et les filaments frappèrent la forme tumultueuse d'où la fumée s'échappait. Je tirai d'une force indicible, grognant de douleur. Elle drainait le sang de mon corps, je perdais en force chaque seconde.
— Malek ?
La voix de Valck attira mon attention. Le guerrier rampait, la main sur un pistolet qui traînait par terre. Le canon masqua son visage. Il me visait.
— C'est quoi, ça ? m'accusa-t-il d'un ton grave.
Mon cœur loupa un battement. Il m'avait grillé. Il allait m'abattre sans me laisser le temps de lui répondre. Mes lèvres s'entrouvrirent. Une déflagration provenant du magma de fumée me souffla. Une brûlure se généralisa, mes muscles se crispèrent. Mes pieds quittèrent la roche jusqu'à ce que mon corps roule par terre.
La voix du même guerrier retentit sous les microrafales. À son tour d'exprimer sa douleur, d'appeler au secours. Le nez dans la poussière, je relevai le visage face au spectacle horrifique qui se profilait. Une touffeur me piquait les yeux. Je luttai pour les maintenir ouverts.
Le brouillard violet pénétrait Valck par tous les orifices qu'il pouvait trouver et la forme flottante s'y faufila dans sa totalité. Ma salive crissa dans ma gorge. Elle refusa de la laisser passer et je toussai violemment. De la paume, je tâtai la terre jusqu'au pistolet.
Devais-je tirer ? Pouvais-je tirer ? Y'avait-il seulement quelque chose à faire ?
Je visai comme je le pus, mais Valck avait disparu. La flamme d'Eneko m'apporta assez de lumière toutefois pour faire pulser mon sang dans un tiraillement infâme. Les épaules du guerrier se cachaient derrière lui. Pas de doute. C'était sa carrure montagneuse.
Je puisai dans toutes mes forces pour me remettre debout, mais mes bras tremblaient et m'en empêchaient. Valck se servait de l'homme que j'aimais comme bouclier, de quoi raviver de vilains souvenirs. Il le tira jusqu'à atteindre la sortie où il jeta ce dernier comme une vulgaire chaussette.
— Eneko !
Il toussota lui aussi — en vie. Dieu merci !
Tout s'arrêta.
Hormis les faibles flammes des survivants, plus rien ne nous éclairait. Le silence remplit cette cave macabre.
On avait... échoué ?
J'ignorais qui était encore conscient, mais plus personne n'osait parler.
Malgré les lancements, je rampai vers là où j'avais vu Eneko. Des doigts effleurèrent le mien. Un cri de soulagement se déroba. Mes bras l'enveloppèrent, les larmes montaient, il était là, je le tenais, je le câlinais. Mon Dieu.
— Ça va, ça va, soupirai-je.
— Non, ça va pas...
— Mais si, mais si !
— Non ! grinça-t-il. Hel s'est enfuie. Et Valck...
— Je sais, je sais, calme-toi.
Plongés dans le néant, nos soupirs se mélangèrent. Je lui tapotai le cuir chevelu, conscient de ce qu'il voulait dire.
Valck était devenu le nouveau réceptacle d'Hel et on l'avait laissé s'enfuir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top