Chapitre 10.1

M A L E K

          Mes neurones s'activèrent. Les phalanges de ma main caressèrent le drap froissé. Je remuai sous la couette et ne pus m'empêcher de bâiller. Je forçai sur mes paupières, mais la pièce était plongée dans le noir.

J'avais beaucoup trop bien dormi.

Je roulai dans le lit lorsque ma poitrine entrechoqua le dos d'un Eneko somnolant. Sa chaleur, couplée à celle de la couette, m'embrasait. Nos peaux se cajolèrent, mes jambes frôlèrent les siennes et la bosse timide dans mon boxer n'eut aucune gêne à se coller à lui. La tête entre deux oreillers, j'enroulai mon bras autour de son torse svelte et lui offris des papouilles.

Il trépida, faisant bouillir mes veines. L'afflux sanguin sembla se concentrer sur mon entrejambe, parce que ce dernier prenait en taille. Ça le réveillera peut-être.

Les souvenirs de la veille me revinrent un peu plus tandis que ma bosse, maintenant colline, flirtait avec la forme de ses petites fesses. Avec lui, je ne pouvais pas m'en empêcher. J'étais à fond à n'importe quelle heure de la journée.

Il se retourna et se lova contre moi, bouille enfoncée dans mon torse. Sa respiration humide me chatouillait.

— Je suis fatigué, susurra-t-il dans sa barbe.

Je me mordis la lèvre inférieure. Ça, ça voulait dire « on l'a fait hier, là, j'ai envie de dormir. » Je soupirai et la sensation s'évapora. Je savais qu'il se forçait déjà assez pour me faire plaisir, alors je n'allais pas l'épuiser. Je devrais plutôt lui donner une raison pour ne pas qu'il reste au lit toute la journée.

— Faudra te réveiller quand même, tu veux pas tes réponses ?

— Elle peut aller se faire foutre.

— Ah !

Je passai à califourchon sur son corps dessiné et allumai sa lampe. Je me frottai volontairement contre lui en cherchant l'interrupteur lorsque mon sabre heurta le sien.

Tiens donc ?

La main sur la table de chevet, l'autre près de son visage, je balançai mes hanches dans un élan de curiosité et un combat d'escrime s'ensuivit. Les pulsions sanguines s'enchaînèrent et j'en frissonnai de plaisir. Eneko ricana et me repoussa.

— Mais !

— Tu bandes, me moquai-je. Tu sais c'que ça veut dire.

— Ça veut rien dire. C'est pas parce que je bande que j'ai envie de le faire.

Je soupirai d'agacement. Je m'en doutais — j'avais surtout voulu faire semblant. Ça aurait autant pu l'énerver que le convaincre. Ce n'était pas la première fois qu'il me disait ça et je le respectais. Je devais me mettre en tête que le consentement passait par la parole. Être excité, ne pas parler ou ne pas réagir n'était pas suffisant.

Je me penchai tout de même pour lui voler quelques baisers.

— J'peux au moins avoir ça ?

Le visage illuminé par la lumière perlée, ses lèvres s'étirèrent dans un gloussement. Ses doigts se réfugièrent sur ma hanche, puis mon dos. Heureux comme ça, sa beauté battait des records... dire que j'en étais la cause !

— Je devrais me laver, ça va me réveiller.

Je discernai l'invitation dans ses paroles et bondis hors du lit

— Pas de souci. T'en as bien besoin, en plus.

— Parle pour toi.

La douche s'éternisa à coups de câlins, bisous et discussions en tout genre, ce qui n'était pas pour me déplaire. La nuit avait été longue malgré tout. Aujourd'hui, je n'allais pas à la fac, je me devais de rester avec lui, trop attiré – et puis, il m'aurait engueulé si je ne l'accompagnais pas voir Prairie.

Vu l'heure, il valait mieux oublier le petit déjeuner, alors on partit manger dans la petite cafétéria du QG. Les yeux rivés sur son téléphone, il plaça entre deux bouchées de riz :

— Ils vont bientôt aller à Mannah.

— C'est Celes ? référai-je à la personne qui lui envoyait des messages.

— Oui. Par contre, elle veut pas qu'on y aille. Apparemment, ça peut être dangereux, alors tout le monde doit rester éloigné.

— Mais on n'a pas le choix, en fait !

— Tu peux pas demander à l'autre qu'on se voie dans un endroit moins abandonné ? Elle compte nous assassiner, ou quoi ?

Qu'il était chiant quand il s'y mettait ! Si l'on ne pouvait pas y aller, je n'aurais aucun moyen de retrouver Agnes — à moins que...

— S'ils trouvent sa base secrète, ils te diront où c'est ? demandai-je.

— J'en sais rien, moi.

— Bah, Celes, elle te le dira sûrement, vous êtes quasi meilleurs amis.

— T'es jaloux ?

— Quoi ? Non !

Pourquoi je serais jaloux d'une femme, sérieux ? Avec lui, je pouvais être sûr qu'il ne pêcherait pas dans l'étang féminin, alors je n'avais pas à m'inquiéter. Seulement, le rang avancé de la demoiselle prévalait sur bien des choses. Eneko était plus proche d'elle que moi et les anges le considéraient toujours relativement important tandis que l'on m'avait relégué au fond de la classe.

Autant voir le bon côté. Parfois, la discrétion était de mise... et dans mon cas, ça pourrait m'être utile.

Isabelle eut du mal à changer d'avis, mais je réussis à la convaincre de se retrouver autre part. On se mit d'accord sur le parc près de son bureau. Il était sûrement vide et ne se trouvait qu'à un quart d'heure de marche. Au moins, ça nous évitera une randonnée jusqu'à Mannah.

On partit aux alentours de quatorze heures, après le corps d'expédition qui avait embarqué la démone avec lui. Eneko resta silencieux le long du trajet. Son moral traînait malgré notre interaction matinale. Son cœur devait battre à cent à l'heure à l'idée de revoir la femme qui l'avait retenu captif, mais je n'avais rien pour le confirmer. On n'était plus jumeaux, alors j'ignorais tout de ce qu'il ressentait.

Je divaguai dans mes pensées jusqu'à notre rendez-vous. Lorsque je la remarquai, elle nous fit signe.

Attends deux minutes... C'était vraiment elle ?

Elle se leva du banc avec minutie, les mains jointes. Ses cheveux blond cendré tirant sur le gris flottaient au gré du vent, mais moins que d'habitude. Ils ne tombaient qu'à la nuque — elle les avait coupés. Elle portait un veston fleuri à décolleté léger, mais ce qui attirait l'œil, c'était son pantalon. Pourpre, il reflétait les rayons du soleil grâce à ses paillettes.

Comme si la transition entre Prairie et Isabelle était terminée.

Près d'elle, je collai Eneko contre moi en posant une main sur son épaule, de sorte qu'il ne s'échappe pas. Il était là pour des réponses, simplement des réponses.

— Je suis ravie que vous ayez accepté, nous salua-t-elle.

— Pourquoi vous êtes pas morte ?

Sa voix était sèche, son timbre neutre. Isabelle le comprit rapidement — elle ne gagnerait pas sa sympathie aujourd'hui. On venait d'arriver, elle répondrait à nos questions, puis on partirait. C'était ce qui était prévu.

— Je me suis enfuie, c'est moi qui ai détruit la base.

Ses lunettes rectangulaires brillaient. Eneko croisa les bras, le regard fuyant et incertain, tandis que la blonde l'analysait d'yeux malicieux. Malgré tout, elle avait toujours le même visage que lors de nos premières séances en commun.

— C'est Sonja qui nous a demandé de venir vous voir, avoua-t-il.

— Oui, je sais. Je suis encore désolée de ce qui est arrivé...

— Elle a raison ?

Doutait-il de la véracité de ses propos ? Pourquoi mentirait-elle, sachant qu'elle ne survivrait pas ? Je le laissai mener la danse. Pour une fois, c'est lui qui posait les questions et j'admirais, attentif.

— C'était Hel qui vous faisait faire tout ça ? Pas vous ?

— Oui, elle a raison, mais je ne suis pas venue ici pour quémander votre pardon. Simplement pour répondre à vos questions.

— Est-ce que Sonja était un démon ?

Mon cœur loupa un battement.

D'où... D'où est-ce que ça venait, ça ? Il ne pouvait pas...

Il ne pouvait pas savoir !

J'adressai un regard paniqué à Isabelle, qui me le rendit. Ses traits du visage s'élargirent dans un silence pesant.

— Eneko, balbutiai-je. Tu...

— Sonja était beaucoup de choses, confessa Isabelle. Mais par-dessus tout, c'était ma protégée.

Change de sujet, s'te plaît !

Je savais qu'elles se connaissaient, mais pour Eneko, cette confirmation devait être un choc — de quoi passer à autre chose. Comment en était-il arrivé à cette question ? Qui lui avait raconté ça, exactement ? À ce rythme-là, je n'allais plus pouvoir lui faire confiance !

— Je la connais depuis qu'elle est toute petite, continua Isabelle. Nous ne pouvions pas vous mettre en danger ou compliquer encore plus votre situation, alors nous agissions comme si ce n'était pas le cas... mais même à l'époque où ma mère était encore en vie, avant Anaël et Théo, elle était déjà là, je la protégeais.

Elle nous raconta tout.

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