OS; La Rencontre

Bonjour !

Le One Shot / texte que vous allez lire a été écrit dans le cadre du concours "L'Encre Prodigieuse" sur Wattpad. La consigne de l'épreuve, en gros, était d'écrire la rencontre de l'auteur (j'utilise donc mon point de vue) avec l'un des personnages de l'histoire, dans une certaine fourchette de mots et dans le but de transmettre l'atmosphère de l'oeuvre. La deadline étant passée, j'ai le droit de le poster publiquement, si jamais ça peut en intéresser certain.e.s ! Bonne lecture :)




Mes doigts caressèrent la pierre rugueuse. La brise rafraîchissait ma peau et mes cheveux s'envolaient hors de mon champ de vision. Ces mots gravés et dessinés sur la rambarde me prenaient aux tripes. Une boule s'était formée au niveau de ma gorge et elle m'empêchait de ravaler ma rancœur et mes cauchemars. Je savais d'avance que je les trouverais ici, mais je ne m'étais pas rendu compte du poids qu'ils pèseraient sur mon cœur.

Le pont de l'Arche...

Je ne pouvais le réfuter. Son atmosphère macabre me foutait la chair de poule, bien plus que n'importe quel autre endroit. Les voitures grondaient derrière moi ainsi que sous mes pieds, sur l'autoroute. D'après mes recherches, ils l'avaient construite sur un sol surélevé afin de minimiser les chances de mourir « en cas de chute... »

Mais bon.

Tout le monde savait qu'aucune de ces chutes n'était accidentelle.

Moi qui m'étais déplacé pour jauger le degré d'activité paranormale du pont, j'étais servi ! Je voulais déjà déguerpir les jambes à mon cou, mais une force immatérielle clouait mes pieds au pavé et encastrait mes paumes sur cette maudite rambarde.

— J'espère que tu comptes pas sauter.

Mon cœur loupa un battement. À ma droite, un inconnu me fixait avec des yeux légèrement translucides, obscurcis par une étrange inquiétude. Sérieusement ? Il se prenait pour qui ?

— Non, non, balbutiai-je.

Je redirigeai mon attention sur le paysage nocturne qui s'offrait à moi. Le ciel écrasait mes épaules, mais je restais piqué tel un bâton. Je n'avais pas le droit de regarder la vue sans qu'un gars chelou vienne me parler, c'est ça ?

Je déglutis.

Si je l'ignore assez longtemps, il finira peut-être par partir...

— Désolé, murmura-t-il. C'est juste que... tu sais, ce pont a une certaine histoire...

— Oui, je sais, c'est pour ça que j'suis là, j'voulais voir si c'était hanté, pas sauter.

Je soufflai un bon coup. Mon rythme cardiaque s'était accéléré — Dieu savait que je détestais me faire aborder par des inconnus, en particulier la nuit... et sur un pont aussi meurtri que celui-ci, en plus ? Je n'aimais pas paraître impulsif et agressif ainsi, mais parfois, je n'avais pas le choix.

— Et tu penses que c'est hanté, du coup ?

Un vide pesant emplit mon corps et mon buste gonfla. Mécaniquement, mon visage pivota afin de me dresser face à cet homme qui ne semblait pas prêt de me quitter.

Ma réticence s'évapora dans l'air frileux.

Le faciès fin de l'inconnu s'était cadré de cheveux châtain mal coiffés et d'une barbe de trois jours brouillonne. Il essuya son nez aquilin avec un mouchoir usagé et m'analysait avec des petits yeux qui, à la lumière, reflétaient un ciel printanier. De légers cernes violacés accentuaient leur fatigue.

Ils exprimaient une certaine innocence, mais surtout un passé meurtri, comme si sa vie avait récemment pris un tournant qui avait transformé son âme à jamais.

Toutefois, un inconnu restait un inconnu.

— Pourquoi ? lançai-je d'un air sec.

— Oh, euh... ça m'intéresse, c'est tout. Je suis venu ici aussi, il y a quelques mois. J'ai même sauté.

— Quoi ?

Oh putain, je devais perdre la tête. Ce mec était en fait un fantôme et il allait me pousser à l'imiter... d'où le fait qu'il était apparu de nulle part !

Non ?

Face à ma mine ébranlée, un léger ricanement s'échappa de ses fines lèvres.

— Désolé, désolé, je... j'ai tenté de me tuer, mais comme tu peux le voir, j'ai survécu ! Et... euh... Désolé.

Je savais que les suicidaires affectionnaient tout particulièrement ce pont, certes, mais...

Le spectacle qu'il m'offrait me laissait bouche bée. Ses bras s'agitaient et sa voix jouait aux montagnes russes, comme s'il se préparait à adosser le rôle principal d'une pièce burlesque. De gêne, il mordilla ses lèvres gercées et plongea ses poings dans les poches de son chino.

— Je passais juste par ici, encore désolé. Bonne soirée...

— Attends !

Merde.

Pourquoi le retenais-je ?

— Oui ?

Qu'est-ce qu'il me prenait ? Mes sourcils se froncèrent face à mes propres paroles. Je ne pouvais toutefois pas le laisser se volatiliser ainsi. Il devait savoir des choses qui m'intéressaient...

— Pourquoi tu m'dis ça, en fait ?

Il se racla la gorge.

— Oh, je... je suis juste très maladroit avec les gens. Non, je... je voulais m'assurer que tu fasses rien de stupide. J'ai sauté, j'ai survécu et... ça vaut pas la peine, quoi.

— De quoi ? Vivre, ou mourir ?

Mes doigts quittèrent la rambarde et je m'élançai la tête la première, non pas dans le vide, mais dans ses pupilles tremblotantes. Son âme bataillait des démons, et je détestais devoir l'admettre, mais je voyais une partie de moi dans cet étrange inconnu.

Il roula plusieurs fois la langue dans sa bouche.

— Mourir, je suppose... mais mourir pour finir par vivre, surtout.

Bon, d'accord.

Finalement, j'aurais peut-être dû le laisser partir — son cerveau avait cramé dans un court-circuit. D'abord, il m'abordait, ensuite, il m'avouait avoir sauté de ce pont, et maintenant...

Et maintenant quoi ?

— Si c'est ça qui t'intéresse, bien sûr que ce pont est hanté. Le monde entier est hanté, par des gens morts, mais aussi... d'autres gens.

Je devais mettre un terme à cette discussion. Je soufflai du nez à ces paroles, mais ce simple amusement se transforma rapidement en rire incontrôlable. J'étais tombé sur un fou furieux ! Cet éclat s'effaça cependant à la vue de son sérieux évident.

Je déglutis et reculai de quelques pas, convaincu que je devais m'en aller avant que sa démence me contamine.

— T'as pas besoin de me croire, roula-t-il des yeux. Je te dis juste ce que je sais.

— Bah c'est quoi c'que tu sais, alors ?

— Que... on n'est pas tous seuls.

Mes paupières papillonnèrent. On n'est pas tous seuls. On ne nous dit pas tout ! Ouh, j'ai peur, mes poils se hérissent !

Un soupir m'échappa.

Je me montrais de mauvaise foi. Ce genre de choses m'intéressait réellement — j'étais venu pour cela, après tout, alors qui étais-je pour réfuter ces dires ? J'agissais ainsi à cause de mon simple rejet de l'inconnu. Au fond, il paraissait sympathique et honnête...

Une langue de feu céruléenne embrasa sa poitrine.

Mes jambes cédèrent. Ma paume frappa la pierre et je bondis en arrière. Une fine brume enveloppait chaque partie de son corps, mais ses yeux ravageurs m'examinaient, impassibles.

Que...

— Tu brûles, tu brûles ! m'écriai-je.

— Tu peux la voir ?

— Voir quoi ?

— Ma flamme !

— Ta quoi, putain ?!

Sa main se posa sur mon épaule, mais je m'en dégageai. Le brasier bleu qui siégeait dans son torse aveuglerait presque mon champ de vision, pourtant, aucune chaleur ne s'en échappait. Bordel. J'avais eu tort depuis le début. Le seul gars timbré ici, c'était moi ! Moi !

— Calme-toi ! C'est rien, je te jure !

Comment ça, c'est rien ? Y'a une flamme gigantesque qui brûle dans ta poitrine, mais j'suis censé ne pas m'inquiéter ?!

De tous les phénomènes paranormaux auxquels je m'étais préparé avant de venir ici, celui-là...

Celui-là dépassait toutes mes attentes.

Le garçon accepta mon rejet et se replia sur lui-même après quelques secondes, affolé.

— Merde, je suis désolé ! Je pensais pas que tu pourrais la voir ! T'es pas censée la voir...

Du marbre avait coulé sur ma peau. Bouche bée, je l'admirais, effrayé. Des tas d'émotions contradictoires se bousculaient dans mon esprit. La fascination se mêlait à l'incompréhension et à la peur.

— Pourtant, tu n'es pas surnaturel, si ?

— Quoi ? beuglai-je. Non, bien sûr que non !

— OK ! OK ! Tant mieux, parce que... moi non plus.

Son rire gêné ne me rendait que plus confus. Son doigt caressa son torse, retraça la forme de la... flamme qui s'y était incrustée.

— Ça, c'est parce que j'ai vécu une expérience de mort imminente... mais tu dois en parler à personne ! Tu t'appelles comment ?

— Bah, euh... Dylan !

— OK Dylan, Je m'appelle Eneko. Je... désolé. Dylan, n'en parle à personne, d'accord ?

Ma gorge se plia. Certains de ses mots avaient gardé mon attention.

— T'as fait... une expérience de mort imminente ?

Je me souvenais de ces choses-là ! Ces phénomènes inexpliqués se produisaient lorsque le cœur de quelqu'un s'interrompait quelques minutes avant de rebattre naturellement. Décidément, je n'étais pas au bout de mes surprises. Mes pensées se contredisaient chaque seconde. J'avais peut-être bien fait de le retenir...

— Oui, quand je me suis suicidé, en sautant de ce pont. J'ai fini par mourir, mais... je suis revenu.

Ma salive peina à se frayer un chemin dans ma gorge.

Je savais pourquoi je voyais une partie de moi dans cet étranger.

J'avais discerné dans ses yeux cet éclat, ce combat, ce dilemme entre la vie et la mort — celui qui te poussait à mettre fin à tes jours, mais qui t'empêchait de t'exécuter. Je le connaissais bien. Il m'avait bien fait souffert, celui-là, autrefois.

Mais Eneko...

On lui avait donné une deuxième chance.

— C'est pour ça que tu m'as demandé si j'comptais sauter ? Parce que...

Ses pieds avaient foulé la même pierre que mes doigts avaient caressée.

Mon regard se posa sur cet étrange phénomène immatériel qui dansait à travers son pull. Cette flamme brûlait avec ardeur. Aucune chaleur ne s'en dégageait, et pourtant, un certain réconfort apaisait ma tension.

— Je m'y connais en tentatives de suicide, mais je pense que j'en ai assez eu. Pour une fois que je passe par ici, je t'ai vu et... ça m'a rappelé cette soirée. Voilà tout.

— Désolé, grimaçai-je.

Eneko soupira et sa flamme s'amenuisa. Elle tourbillonnait avec sagesse, comme une âme qui avait enfin signé une trêve avec elle-même. Ses pas timides se rapprochèrent et un lampadaire qui nous dominait illumina la beauté du châtain.

Certes, je n'avais jamais aimé être abordé par des inconnus, mais c'était toujours moins désagréable quand ils étaient mignons.

Ses coudes se posèrent sur la rambarde et il se pencha, cheveux au vent. Je l'imitai.

— Après mon expérience de mort imminente, j'ai appris beaucoup de choses, et aujourd'hui, je me rends compte que j'ai un rôle important à jouer. C'est quelque chose que je refusais totalement, avant.

— Oui... bah, tout le monde a un rôle à jouer, je suppose, opinai-je.

J'adressai des regards furtifs au garçon. La brume qui s'était échappée de sa peau s'était dissipée, mais sa flamme brûlait toujours. J'avais du mal à agir comme tout était normal... Toutefois, lui semblait en paix, alors je ravalai mes craintes une bonne fois pour toutes.

En quelques minutes, il s'était confessé, il avait paniqué, mais tout cela s'était effacé. Il maîtrisait la personne qu'il était devenu, et ça, c'était beau.

— Mon... On doit m'attendre, souffla-t-il. Je dois pas tarder.

— Ouais, moi aussi, j'en ai assez vu, j'crois... merci.

— Merci ?

— Bah, au moins, ça m'a fait passer le temps.

J'empoignai mon téléphone, prêt à tout raconter à ma meilleure amie, mais ses pupilles brillantes m'en empêchèrent. Je le revoyais déjà me supplier de ne rien dire. Dans ce cas, j'agirais comme si je ne l'avais jamais rencontré, tel un spectre, ou une figure, qui s'était immiscé dans ma vie pendant quelques secondes — un ange gardien qui veillait sur le monde et qui chassait les démons des dépourvus.

Eneko me sourit et s'éclipsa dans le lointain.

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