Chapitre 5.2 ✔️
M A L E K
Ne partait-il pas ? Sa daronne n'était peut-être pas arrivée, ou il avait oublié de me dire quelque chose d'important, mais ça m'étonnerait. Quoi qu'il en fut, je simulai une descente rapide pour éviter tout soupçon. Le soleil reprit son assaut. Paumes posées sur les lanières de mon sac, j'avançai tout sourire vers le jeune homme qui me tenait la porte en verre. Il n'était pas seul.
Je pourrais en donner ma main à couper, ce n'était pas sa mère, mais... houla, leurs regards me criblaient, pires que ceux de contrôleurs. Que me voulaient-ils ?
— Hey, lâchai-je, le regard incertain.
La jeune femme à la peau basanée paraissait sympathique, voire familière. Un drap de maquillage donnait à son visage mélodieux un air élégant. J'embrassai sa joue.
— Malek.
— Sonja, enchantée.
— Vous vous connaissez ?
Eneko, de son tempérament hasardeux, répliqua immédiatement.
— Non.
— On ne se connaît pas. Pas encore, ajouta-t-elle.
Elle nous examinait de ses un mètre soixante à tout casser, mais... à ses côtés, mon cœur pulsait. Non — c'était cette chaleur, plus intense que dans l'escalier.
D'une voix claire et assurée, elle avoua :
— Je vous cherchais depuis quelques jours. J'ai préféré attendre de vous avoir tous les deux plutôt qu'un par un.
— Hein ? Tu nous cherchais ? demandai-je.
Ses lèvres noires et pulpeuses s'étirèrent.
— On peut parler de ça dans un endroit plus tranquille ? Y'a un parc à côté. J'prends pas trop de votre temps, j'espère.
— Bah, en fait...
Elle comptait nous présenter une association ou quoi ? Prête à partir, elle virevolta en ma direction et s'approcha.
— Vous voulez des réponses ? Savoir ce qui se trame exactement depuis que vous êtes morts ? Je les ai, contrairement à votre thérapeute. Donc... vous avez un peu de temps ?
Ma langue claqua. Comment savait-elle que l'on avait vécu une E.M.I. ?
— Alors ? insista-t-elle.
— Euh, bah nan, mais j'croyais qu'Eneko avait...
— Ma mère est pas arrivée, m'interrompit-il.
Sonja, l'inconnue aux yeux en amande, nous guida sans ajouter un mot à travers quelques petites ruelles. Épris de curiosité, je la rattrapai tandis qu'Eneko restait en retrait.
— Alors, Sonja, t'es du coin ?
— Pas de ce quartier, mais je viens souvent ici. Du coup, je connais bien.
— Et tu... Tu fais quoi, t'es au lycée ?
Ses yeux étincelants se plissèrent, et couplés à un claquement de langue, elle me dévisagea.
— J'ai l'air d'être au lycée ? J'entre en deuxième année d'université.
— Oh, bah, j'y étais presque ! Tu fais quoi ?
— Lettres.
— Ah, je fais médecine, moi.
— Cool. Il en faut, des médecins.
— Ouais, ouais...
Le reste du trajet se déroula en silence. Mieux valait ne pas la brusquer. Qui savait ce dont elle allait nous parler... ? Sûrement de quelque chose d'important. Son esprit agitait cette force sauvage emprisonnée dans ma cage thoracique autant que celui d'Eneko.
Un carré de pelouse coincé entre des gratte-ciel nous attendait. Des gosses y gueulaient, glissant sur un toboggan comme des timbrés. J'avais connu plus calme, comme endroit...
— Alors ?
Sonja virevolta les bras croisés, cracha son chewing-gum dans une poubelle et nous analysa.
— Tu comptes nous parler un jour ? m'impatientai-je.
— On vous a confiés à moi.
— Hein ?
Un rire nerveux s'échappa de ma gorge. Eneko leva ses yeux éclaircis au ciel, les muscles du visage relâchés.
— C'est une blague ?
— Vous...
Elle se coupa.
— Si je vous dis le mot « Ilça, » et que je dis qu'il s'agit d'un prénom, ça vous dit quelque chose ?
Un coup d'œil avec le châtain me rassura dans mon ignorance. Cette fille avait un don pour me prendre pour un con, je crois.
— Bon... Et si je vous dis « ange » ? Ça vous aidera peut-être plus.
Mon attention vira sur ces lèvres qui venaient de prononcer ce mot. Je m'y perdis. Ce dernier résonna à travers mes neurones. Pourquoi... Pourquoi me rappelait-il mon EM.I. ? Je répondis par la positive, tout comme Eneko, malgré sa timidité. Bordel... Que nous était-il arrivé ?
Sonja hocha la tête.
— Bon, c'est déjà ça, alors comment vous l'expliquer... Vous avez ressenti des choses bizarres, ces derniers temps ?
Avant que je puisse le confirmer, l'estropié s'engagea.
— Comment ça ?
— Eh bien, ça peut différer pour tout le monde, donc des bouffées de chaleur, des auras, des esprits....
Où la caméra cachée était-elle planquée ? Elle se foutait de moi. Des sentiments conflictuels m'animaient, elle...
Je me grattai la nuque.
— Tu sors ça d'où ?
— Pourquoi ? grinça Eneko.
Ouais, pourquoi ? Et comment le savait-elle ? Était-elle connectée à nous, comme Eneko et moi l'étions par cet étrange lien spirituel ? Les pièces du puzzle ne s'emboîtaient pas. Des dizaines de théories stupides pullulèrent dans mon esprit.
— Ne vous inquiétez pas. Ça veut dire que vous l'avez rencontré, « Ilça. » Si ça vous dit quelque chose, c'est... comment dire, on appelle ça une entité, mais on la voit seulement sous une forme humanoïde lumineuse.
Les battements de mon cœur s'accéléraient, ceux d'Eneko résonnaient dans ma poitrine. Je ne le lâchais pas du regard, le bougre. Nos pensées devaient s'aligner, on avait tous les deux vécu la même chose, pendant...
— Pendant notre E.M.I. ?
— Euh, ouais, bien sûr. J'ai sauté ce détail.
Elle référait sans doute à cette voix agenrée qui m'avait ordonné de revenir. Cette dernière avait juré de m'accepter un jour ou l'autre, une fois ma « mission » accomplie. Oui. Je ne l'avais pas oubliée... et contrairement à ma mère, je savais que ce n'était pas Dieu, Allah ou autre.
— Oui, c'est... J'l'ai vu, mais comment t'es au courant d'tout ça ?
Elle déglutit, l'index sur une de ses joues brillantes et potelées.
— Je suis comme vous.
— T'as fait une E.M.I. aussi ?
— Oui, mais... c'est plus compliqué que ça.
— Alors c'est quoi ? maugréa Eneko.
J'avais l'impression qu'il tremblotait et laissait la panique prendre son contrôle. Son mal-être le transcendait, j'ignorais comment, mais il me... blessait. Parfois, je croyais ressentir des bribes de ses émotions. Et si lui aussi le pouvait ? J'en frémis. Ça me mettrait dans la merde, il saurait que Sonja ne me laissait pas indifférent !
Non... C'était ridicule.
La jolie femme, décorée d'un septum, prit une longue inspiration.
— Je suis un ange.
— Et je suis athée, commenta le châtain. Merci.
Non. Quelque chose clochait, nous avions changé... non ? Depuis notre E.M.I., je ne me sentais plus comme la même personne, alors lui...
Et là, une gifle.
Merde. La phrase de Sonja me percuta. Un ange ? Elle souleva ses mains en signe de paix. Qu'est-ce que...
— Attendez que je fasse mon pavé, s'il vous plaît. Y'a pas que ça.
Elle se racla la gorge, prête à lâcher une bombe.
— Vous avez rencontré « Ilça, » pendant votre E.M.I. Nous, les anges, on l'a tous trouvé sur notre chemin à un moment ou à un autre. C'est lui qui nous a permis de revivre sous cette forme. Il est un peu notre père à tous. Du coup, on éprouve tous du respect à son égard, même si on connaît pas son visage. Vous m'suivez ? Si vous l'avez croisé, et que vous êtes en vie aujourd'hui, c'est que vous êtes comme moi. Vous êtes... des anges. Et chaque fois qu'un ange naît, un autre est désigné pour s'occuper d'eux et... l'informer, quoi. L'introduire à notre communauté, le mettre au courant, et cette personne, pour vous, bah... c'est moi. Alors, vous êtes deux, donc ça m'a perturbée, j'ai pris du temps. Votre flamme est comme divisée en deux.
Mon regard était bloqué sur un hêtre brillant, les pensées perdues dans cet amas d'informations ingérables. J'aurais imaginé une explication plus... prosaïque, si je puis dire. Une brûlure au cœur, une hallucination, n'importe quoi, mais pas ça !
Mes traits du visage se plissèrent tandis que mon monde s'effritait. Les mots peinaient à se former dans mes cordes vocales. Je ne voulais pas y croire.
— Donc, pour toi, on est... des anges ?
— Ouais.
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