Chapitre 40 ✔️

M A L E K


           Je toussai, encore et encore.  Ma gorge, aussi sèche qu'un désert, subissait une attaque continue de spasmes. Heureusement, un lourd soupir m'allégea le corps et permit à mes yeux de s'ouvrir. Un ciel nuageux cadré par quelques arbres blessés s'offrait à moi.

Je me sentais faible. Mon estomac criait famine comme si je n'avais rien mangé et bu depuis des décennies. Mes paupières papillonnaient pour s'adapter à la luminosité ambiante.

Doucement, mon rythme cardiaque se régularisa. Où m'avait-on emmené ? Que s'était-il passé ? Je tentai de bouger mon crâne. Du plomb nourrissait mes neurones. Je croyais renaître de mes cendres, sauvé par la nature. Je voulais me relever pour me détacher de ces lianes qui me plaquaient au sol.

— Malek...

Deux syllabes pour me rappeler qui j'étais. Elles provenaient d'une voix nasale et cassée, masculine, mais angélique ; qui fit repartir mon cœur de plus belle, comme si ce dernier avait attendu son signal.

Bien sûr que c'était lui.

Malgré les picotements qui me lancinaient la tête, une silhouette se développa près de moi et se rua en ma direction. Le choc m'envoya valser, la vision obscurcie. Ses bras s'enroulèrent autour de mon torse. Je grattai la terre, et pourtant, je m'envolai à ce contact. Une vague de bonheur m'inonda et s'égoutta sur mes lèvres relevées.

— Eneko.

Oh, bordel. J'avais la voix d'un camionneur qui fumait quarante clopes par jour. Je toussai une nouvelle fois, les cordes vocales en putréfaction, mais je passai outre. Mes bras étreignirent également Eneko ; mes mains caressèrent son dos. Non, là, je renaissais. Malgré les courbatures, un léger rire m'échappa. Il me suivit dans mon allégresse.

Il m'aida à m'asseoir et nos corps se frottèrent sans se cacher. Mes souvenirs étaient encore flous, mais lorsque son visage éclaircit mes pupilles, mon âme se libéra de toute emprise maléfique. Je faisais face à des yeux magnifiques, à la couleur à la fois claire et terne, une teinte entre le bleu et le gris qui le caractérisait à merveille. Leur humidité me poussa à passer un pouce sur ses pommettes afin de les débarrasser des vilaines larmes qui les attristaient.

Ses lèvres cajolèrent les miennes.

Leur parfum me redonna goût à la vie. Cela faisait une éternité que je n'avais pas pu les toucher. Je pourrais les dévorer durant des heures. Malheureusement, la douleur m'obligea à reprendre rapidement ma respiration. Le cœur palpitant, je scrutai le monde autour de moi et tous les mauvais souvenirs me frappèrent. Les ruines d'Aversion, la forêt...

Mon regard s'arrêta sur un corps féminin allongé près de nous.

— Sonja ?

La tête d'Eneko pivota en sa direction. La jeune fille ne répondit pas et ne se mut pas non plus.

Ma main se posa sur l'une de ses épaules, mais au contact, une décharge électrique prit le contrôle de mes muscles et je l'arrachai. Mon organe cardiaque avait repris sa course folle. Confus, j'abaissai les yeux. Des particules rosâtres émanaient de ma poitrine — je venais de les remarquer.

Ma flamme avait changé de couleur.

— C'est celle de Sonja...

— Eneko, il s'est passé quoi ?

— Tu te souviens, quand on a essayé de se... de se tuer ?

— Ouais, j'crois me souvenir, mais...

— J'ai survécu. Pas toi.

L'ange souleva son tee-shirt et me montra les bandages qui enroulaient son torse et ses blessures. Les réminiscences de cette nuit-là me grignotaient — j'avais tiré aux alentours des épaules, si mon cerveau ne me jouait pas des tours.

— Et moi...

— Je sais pas où j'ai tiré, je —

— C'est quoi ça ? l'interrompis-je.

Près de l'épée des âmes reposait un papier fin que Sonja semblait tenir avant de tomber à terre. Était-elle évanouie, ou... ?

— Je sais pas.

Je pris une grande respiration et le glissai entre mes doigts avant de le déplier. J'essuyai du pouce quelques marques de terre qui le tachaient. L'écriture de Sonja le décorait.

— On dirait une lettre, notai-je.

Le châtain près de moi, qui avait déjà pleuré, soupira. J'ignorais ce qu'il avait vu ni ce qu'il avait vécu depuis cette nuit-là, mais clairement, ça avait dû être un cauchemar et je m'en voulais de lui avoir fait subir. Cependant, Sonja ne nous avait pas écrit ce texte pour que nous le laissions ici. Mon bras glissa autour de son cou afin qu'il se rapproche de moi. On le lit ensemble.


«Salut les gars, c'est Sonja.

Si vous lisez cette lettre, c'est que j'ai réussi et je ne suis plus de ce monde, mais vous, si. Sinon, bah... je préfère ne pas y penser.

C'est pas vraiment une lettre d'adieu... enfin, techniquement, si. Mais c'est surtout une lettre d'aveu, pour tout ce que je n'ai jamais osé vous dire face à face, et que je n'aurais jamais osé dire. Et je suis désolée d'avance, parce que vous allez devoir être plus fort que jamais auparavant, en espérant que cette fois, vous n'échouerez pas.

Vous pouvez pas savoir à quel point j'étais détruite lorsque j'ai appris la nouvelle. J'avais l'impression d'avoir raté ma vie, que les gens allaient me haïr. Heureusement, par je ne sais quel miracle, Eneko a survécu. Et tu as vécu une deuxième E.M.I., alors tu n'as pas intérêt à gâcher cette chance-là aussi!

Désolée, je tente de faire de l'humour, mais je suis vide intérieurement. Je me suis vite rendu compte qu'il n'y avait qu'une solution pour te ramener, Malek, et pour que vous puissiez réparer mes erreurs et tout le chaos que j'ai semés en cours de route.

Il y a deux semaines, j'ai vu Anaël. Je voulais l'ignorer, comme je l'avais naturellement fait une grande partie de ma vie, mais il m'a pris de court... Nous avons tout mis au clair. Je n'avais jamais réellement su qui il était exactement. Je l'avais déjà vu à Aversion, mais cette fois, il m'a tout avoué. Ce qu'il ressentait, ce que l'on devait faire... Pourquoi il a tenté de te contacter. Je savais ce qu'était Prairie, que ce n'était pas vraiment elle qui contrôlait tout ça... mais je devais jouer le jeu. C'était juste avant qu'Eneko se fasse kidnapper. J'aurais pu le prévoir et l'en empêcher. J'aurais dû, mais j'avais peur et il m'avait fait tant de peine. Il me disait qu'il n'avait pas le choix, qu'il serait tué s'il n'obéissait pas. Je l'aurais sans doute été aussi.

C'est peut-être paradoxal, vu ce que j'ai fait à Théo et ce que je vais faire, mais je ne pouvais pas l'affronter en face. Alors j'ai attendu. Il m'a aussi dit qu'ils n'étaient pas nés naturellement, quelque chose comme ça. Je n'ai pas trop compris ce que ça voulait dire. Je suppose que cela avait un lien avec le fait que Prairie ne soit pas fertile. Il m'a rappelé pourquoi Hel vous désirait... Elle se nourrit de flammes de jumeaux.

Hel possédait Prairie. La Déesse des morts... c'était Prairie. Elle n'y peut rien. J'ai fait semblant de pas les connaître. Ils ont joué le jeu, mais en réalité... C'était juste pour vous protéger.

Puis, il y a quelques jours, lorsqu'Eneko était encore dans le coma, je l'ai retrouvée — Prairie. J'ai compris. Elle ne me l'avait pas expliqué, mais Hel a pu casser son lien avec elle et s'est enfuie dans la nature, causant tout ce chaos et ordonnant les démons de nous attaquer, sans doute jusqu'à trouver une autre personne à posséder. Au moins, vu que vous n'êtes plus jumeaux, elle ne vous recherchera sans doute plus...

Mais pourquoi vouloir des jumeaux? Ne peut-elle pas se nourrir d'autre chose? Je ne comprends rien, mais j'ai bien peur d'avoir tout gâché. On a tout gâché.

Au lieu de tout vous avouer, j'ai pris peur et j'ai fui, parce que je me suis rendu compte que je faisais fausse route, que nous faisions tous fausse route, depuis le début... et je vous raconte tout ça sur papier, après ma mort.

C'était la seule solution pour me faire pardonner. Car maintenant que Malek possède ce qui faisait de moi qui j'étais, il sera plus utile que moi, une pauvre gamine lâche et alcoolique... malgré tout, Malek, tu devras affronter bien plus de dangers qu'auparavant. Tu comprends vite ce que cela signifie d'être moi. Fais confiance en ton instinct et en ceux qui viendront à toi comme tu m'as fait confiance.

Hel ne va plus cesser de semer le chaos. Elle va briser l'équilibre du monde. Elle s'en fout, si les démons ou les anges meurent. Le monde a besoin de lumière et de ténèbres. Si cet équilibre disparait, il sombrera et ce sera la fin. C'est brutal, mais c'est la vérité. Il faut lutter contre ça. Le peuple doit être mis au courant. Il faut d'abord que vous retrouviez Prairie. Contactez-la. Elle vous attendra sûrement à Mannah.

Et s'il vous plaît, allez voir mes parents. Ils vous aideront et seront contents de vous voir.

Je vous adore tous les deux. J'espère que vous vivrez heureux, et ensemble. Mourir n'est pas la solution, même si elle peut paraître comme la plus simple d'accès.

Vous êtes bien plus que ce que vous pensez, maintenant plus que jamais. Je sais au fond de moi que vous pouvez réparer toutes mes erreurs. Je suis désolée de vous abandonner avec ce poids sur ces épaules. Je regrette également, je regrette tout — mais je n'ai plus le choix. J'avais beau être votre guide, je n'ai jamais été aussi forte que vous, et vous m'avez appris bien plus que moi je ne vous ai jamais appris.

Faites confiance en Prairie.

Je vous aime,


Sonja Runail»


La lettre m'échappa des mains.




à suivre...

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