Chapitre 35.2 ✔️

M A L E K


          Je m'écrasai à terre.

Putain.

Mon humérus et l'os de mon coude allaient me passer un savon. La chute ne leur avait pas donné de traitement de faveur — ils me déchiraient. Le reste avait survécu, même s'il me criblait aussi de tiraillements.

Je grognai de douleur et me relevai. Le monde autour de nous avait un air d'apocalypse. Accompagné d'Eneko, je ne pouvais pas abandonner. Sa jambe lui faisait mal. Heureusement, sa prothèse résistait et je posai son bras sur mes épaules afin de l'aider à galoper en direction de l'inconnu.

Le vent soufflait fort sous le ciel noirci. On n'était pas seuls, dans ces rues. Des petites silhouettes hurlaient, accouraient — des gens normaux qui fuyaient leur domicile. Les démons étaient partout. Alors l'explosion d'Aversion les avait réellement libérés... Qu'allait-il arriver ? J'avais connaissance de la rivalité entre anges et démons, mais ils étaient bien plus nombreux que nous. Ils se déchaînaient, maintenant sans abri. Un régulateur pouvait-il passer par là ?

Ma tête tournait, tout comme moi, je virevoltais sans cesse, à la recherche d'une issue peut-être, d'une solution. Cependant, il n'y avait que chaos.

— Aidez-moi !

Un cri parmi plein d'autres attira mon attention. Au loin, le corps de Celes fut propulsé par la fenêtre de son appartement et roula sur le béton de la route.

On devait courir. Maintenant. La poigne serrée, j'imitai les pauvres habitants sans réfléchir.

— Ce gars, commença Eneko, pantelant. Il était... Il était comme Anaël, démon ! Je...

— Des démons humains ?

— Ils veulent nous tuer...

Si des vrais démons humains nous traquaient, c'était la cerise sur le gâteau. Leur présence étouffait l'atmosphère.

Putain... Je n'avais aucune idée d'où l'on allait. Je ne me retrouvais pas dans ce coin limitrophe de la ville. Un coup d'œil vers l'arrière agit comme un coup de cravache. Tant pis.

On était poursuivis.

Mon sang bouillait. Je l'imaginais courir dans mes veines comme la lave sur le volcan en éruption qu'était mon corps. Le vent me balafrait la peau à chaque pas.

— C'est nous qu'ils veulent...

À la prochaine bifurcation, j'emmenai Eneko dans une petite ruelle qui déboucha près d'un grand rond-point. La plage et la mer se dessinaient derrière, froides. Je détalais comme un dératé sur les routes vides, mais impossible de les semer. Eneko me ralentissait ; plusieurs silhouettes nous rattrapaient, à pas plus d'une dizaine de mètres. Bordel.

Une puissance m'emporta sur le côté. Dans un râle de douleur, je m'écroulai contre le béton glacé.

Pourtant, ce qui me heurtait le plus était le fait de ne plus sentir Eneko contre moi. Mon regard ne chercha plus que lui. Des ombres tournoyaient autour de moi. Elles m'empêchaient de le trouver. Dégagez ! Je posai un genou à terre. Quelqu'un immobilisa mes bras contre le sol. Je toussai. Laissez-moi le retrouver...

— Eneko !

— Là !

Une lumière m'aveugla. D'un coup de vent, l'emprise qui m'attachait à la route s'échappa. Je me relevai, haletant. Devant moi, plusieurs flammes brillaient.

— Où est Celes ? s'exclama une personne.

— Occupez-vous plutôt d'eux, c'est le plus important !

Un attroupement m'encercla sans que je puisse reposer une main sur mon cher.

— Prenez les jumeaux !

J'ignorais qui prononçait ces mots. Le champ de bataille autour de moi m'empêchait d'organiser mes idées. Au pire, je m'en foutais.

Tel un prédateur, seul un but m'animait.

Je bondis en sa direction, mais un lancinement se déchargea dans ma poitrine. Une femme à la flamme dorée fit s'envoler le démon qui s'était accroché à moi et m'aida à me remettre sur pieds.

— Restez en retrait, ordonna-t-elle.

J'acquiesçai, mais chavirai une nouvelle fois sur le côté. Le brasier qui me consumait le torse s'agitait et j'ignorais s'il s'affaiblissait ou devenait plus fort. Tout ce que je savais, c'était qu'une dizaine d'anges et de démons s'affrontaient sous mes yeux avec le même objectif : s'emparer de nous, les jumeaux.

Des picotements généralisés m'empêchaient de protéger Eneko comme je le désirais. Il gisait toujours. La femme qui venait m'aider se prit un coup de pied. Son assaillant s'approcha de l'estropié. OK.

Ma flamme explosa et je fonçai tête baissée.

Un coup de poing sur le visage couplé à une méchante brûlure envoya le démon valser. Il avait tout l'air d'un homme normal qui se portait bien, mais je ne pouvais pas me laisser berner. Il se repositionna et s'approcha dangereusement.

— Ne te mêle pas de ça, Malek !

Que... Comment connaissait-il mon prénom ? L'inconnu attrapa mes épaules et ma vision s'obscurcit. Merde, non ! On me bouscula avec violence. Je me cognai contre quelqu'un d'autre. Le tintement métallique d'une épée me fit frissonner. Un jet de liquide chaud aspergea mon visage.

Je me dématérialisai afin de retrouver la vue. Comme l'avaient prédit mes cauchemars, du sang brûlant coulait sur ma joue à la manière de celui de Théo. Un inconnu empalé s'écroula devant moi. J'en frissonnai. Non... Anges, démons, humains, on crachait tous du sang ! Je ne pouvais pas les tuer.

Je reculai timidement dans cet affrontement chaotique et cacophonique. Les silhouettes se mélangeaient entre elles, les râles étaient indissociables les uns des autres, mais mon regard revenait toujours vers Eneko, mon aimant.

Je m'avançai. Une apparition violâtre le propulsa à une dizaine de mètres avec une barbarie inouïe. Sa prothèse s'envola aussi.

Ma gorge se convulsa. Je m'élançai corps et âme vers le fautif et le culbutai. Avec rage, je traversai son torse et y fis brûler ma flamme. Mon corps enchaîna les coups de poing. Des éclairs obstruaient de temps à autre ma vue, mais je libérai ma colère et un brasier l'incendia.

Je ne voulais pas les tuer, mais si l'on touchait à mon koala, il fallait en payer le prix.

Je pénétrai de nouveau mon enveloppe charnelle. Un cri me brisa les tympans. Je me ruai en direction du blessé. Il avait atterri près d'un corps sans vie. Une femme s'approcha de lui et l'aida à le relever. Je la remerciai et pris le relais.

Mon cœur loupa un battement. Une fine fumée régnait sur le rond-point. Je pouvais apercevoir les flammes des anges, mais pas d'elle.

Non...

Instinctivement, mon bras s'élança sur le côté et la frappa l'inconnue de plein fouet. La démone oscilla plus loin.

— Désolé...

Néanmoins, elle ne contre-attaqua pas... sauf avec un regard de chien battu condamné à mort : le même que celui de la Mara, quelques minutes plus tôt...

Une large silhouette masculine l'enveloppa. Elle lui craqua le cou. Son corps inerte s'écroula à terre. Deux anges prirent Eneko et moi par le bras et nous tirèrent hors de ce massacre.

Combien de gens venais-je de voir mourir ? Je ravalai comme je pus le repas de ce soir. Ce n'était pas humain... ni angélique.

— En haut ! hurla-t-on. Regardez !

Une dizaine de cadavres jonchait la route. Le ciel de la nuit, meurtri et meurtrier, prônait une couleur macabre tandis que le vent annonçait un futur plus triste encore. Une fumée violacée avançait vers nous. Mes poils s'en hérissèrent.

— Hel ! C'est Hel !

— Ne regardez pas !

Je n'en pouvais plus.

Nous n'en pouvions plus.

Plus les jours passaient, plus j'avais l'impression de devenir fou, car Eneko et moi subissions le plus les conséquences de nos actes. On souffrait terriblement. Notre désir de se battre diminuait chaque jour. Cependant, je refusais de capituler.

Ma respiration se transforma en vapeur, la température avait subitement dégringolé.

Hel...

Cette brume...

Je craignais le pire. Selon eux, la déesse de la mort arrivait.

Voici la dernière ligne droite.

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