Chapitre 34.2 ✔️

E N E K O


          Nous marchions depuis un moment. Mes pieds me hurlaient de prendre une pause, mais la présence angoissante des soldats qui nous talonnaient m'empêchait de prononcer la moindre plainte. Ma flamme se contorsionnait dans ma poitrine, assiégée par de petits démons tandis que j'avançais main dans la main avec Malek. À ce rythme-là, je n'avais qu'une envie : dormir. Hélas, je commençais à croire que je pouvais oublier Morphée.

Celes vivait dans un bâtiment vieillot à l'allure des banlieues éloignées. Peu de gens semblaient résider à ses côtés. Situé au deuxième étage, l'intérieur s'apparentait à un bunker construit de main propre, contrastant avec l'aspect de l'immeuble.

— Je m'attendais à mieux...

— Vivre dans une villa serait incongru, se défendit-elle. Il serait impossible pour moi de vivre en paix, en particulier vu mon rôle.

La taille de l'appartement ne dépassait pas celui d'un étudiant classique. Cependant, les murs étaient renforcés et bordés d'une sorte de filet lumineux. Un pot de sel ornait l'unique fenêtre, placée derrière une table jonchée d'objets en tout genre dont de nombreuses armes.

— Du coup, on va dormir où ?

— Ça vous dérange de dormir ensemble ?

— Euh, non...

— Soirée pyjama ? rit Malek.

Comment arrivait-il à garder le sourire ? Cela me dépassait. Il y avait quelques heures encore, il me disait qu'il se droguait lorsqu'il sentait son monde s'échapper sous ses doigts.

— Je vais vous faire à manger, vous devez avoir faim. Une chance que j'ai de bonnes réserves ici.

Celes ferma volets, fenêtres et tout ce qu'elle pouvait possiblement clore. Elle pourrait nous barricader, cela ne me surprendrait pas.

Tandis qu'elle cuisinait, je discutais un peu avec Malek, assis sur le matelas de la rousse. J'enveloppai mes bras autour de son torse saillant et l'entraînai dans ma chute. Nous restâmes de longues minutes allongés à se câliner et se papouiller sous notre chaleur.

La soldate nous servit de quoi ravir mes papilles. Ses talents de cuisinière me surprirent.

— Les risques sont minimes également. J'ai refait l'appartement et de nombreux objets permettent d'éloigner les démons. Je vis constamment dans ce type d'habitat, alors c'est ici que vous serez le moins à risque, bien que ce dernier soit toujours grand.

— Merci beaucoup.

Malek se montra généreux en notre nom. Moi qui avais l'habitude de ne pas trop exposer mes émotions et sentiments en présence d'inconnus, je voulais également la remercier. Nous avions désormais le ventre bien rempli.

— Et ça fait combien de temps que t'as... ce grade ? hésitai-je pour faire la conversation.

— Officiellement, je suis au chômage technique, mais je suis dans l'armée angélique depuis quelques années déjà. Je dirais bien cinq. Je suis ange depuis l'adolescence, et je n'avais plus personne à mes côtés. On dit souvent qu'après une E.M.I., les anges deviennent notre nouvelle famille. Cela peut être difficile à accepter pour des personnes comme vous, qui partagez toujours un lien de sang avec certains. Cependant, me concernant, je n'ai eu aucun mal. C'est eux qui m'ont aidé à reprendre goût à la vie, après... ma tentative.

— Ta tentative ?

Un soudain gain d'intérêt me picora pour cette dure à cuire qui fissurait sa carapace. Je faisais confiance en cette dame. Ses yeux forestiers me sourirent lorsqu'elle passa sa forte paume sur quelques taches de rousseur.

— Oui, j'ai voulu mettre fin à ma vie.

— Moi aussi ! Comment ? m'enquis-je.

Toutefois, ses traits du visage retombèrent. Ce n'était peut-être pas le moment de se montrer si intime.

— Je vais faire la vaisselle, boire ma tisane, et nous devrions tenter de dormir.

Je ravalai ma curiosité morbide. Malek et moi étions condamnés à passer la nuit sur un petit matelas à une place posé par terre, près du lit de la demoiselle. Cela ne me dérangeait pas puisque je pouvais me coller contre son corps sculpté, sentir l'odeur de sa douce peau embellie par la mélanine et laisser sa respiration puissante chatouiller mon cou. Sa chaleur était le meilleur somnifère et je l'avalais comme des bonbons.

À l'extinction des feux, Celes posa près de nous une épée illuminée d'une aura bleutée « pour nous protéger ». Dans le noir complet, elle apportait à la pièce une légère lueur d'espoir.

Malek et Morphée m'enveloppèrent tous deux dans leur bras. Malgré tout, cette sensation agréable me rassurait. Il était véritablement, avec un L majuscule, Le point positif de tout ce qui avait pu m'arriver depuis le soir fatidique où j'avais perdu Théo.

Mon cœur se contorsionna à cette douloureuse pensée et je fronçai des sourcils. Malek, en grande cuillère, s'était déjà endormi et sans doute Celes aussi, en hauteur par rapport à nous.

Je ne pouvais pas en vouloir à lui ou Sonja pour ce qu'ils avaient fait à mon ex, mais le regret et la tristesse ne me quitteraient jamais, car ce garçon, je l'avais réellement aimé. Dans la mesure où je n'avais jamais pu lui dire au revoir, il resterait dans mon cœur un vide que personne ne pourrait jamais combler.

Je devais apprendre à être heureux avec ce que je possédais, j'en étais conscient. Alors, je posai ma main sur celle de Malek, qui avait arrêté de chatouiller mon torse, et m'assoupis.

Quelques minutes plus tard, ou quelques heures, je l'ignorais, l'épée près de nous s'étincela. Celes se réveilla en trombe. Aussitôt, la lumière de l'appartement m'aveugla d'autant plus. Mes membres se battirent avec la fine couverture.

La confusion alourdissait mon crâne. Ma flamme se débattait, signe que nous étions plus que trois ici. La rousse nous enjamba lorsque mon attention se posa sur le garçon qui dormait toujours.

Du sang s'échappait de sa narine et glissait jusqu'à tacher l'oreiller rigide sur lequel sa tête gisait. Mon regard s'immobilisa un instant et l'air cessa de nourrir mes poumons — il semblait plus évanoui qu'endormi.

— Malek ? m'écriai-je. Celes !

En deux temps trois mouvements, la guerrière se dématérialisa. Son âme s'éleva dans les airs entre de nombreuses taches sombres de plus en plus imposantes.

— Je m'en occupe.

Sa voix grondait dans la pièce, pleine de détermination. Sans me prévenir, elle me jeta la clé de l'appartement à la figure et m'ordonna :

— Dépêche-toi d'éloigner Malek d'ici !

Son corps s'élança sur l'épée près du matelas et d'autres objets flous – le mien bondit en sens inverse, direction l'entrée. Le cœur palpitant, je ne faisais plus attention à quoi que ce soit et je déverrouillai la porte. Je partis soulever le corps de Malek en puisant dans toutes les forces que mes muscles pouvaient produire. Non sans mal, je réussis à le porter et me ruai vers la sortie en ignorant Celes. Elle se battait avec des démons qui nous tuaient à petit feu.

Mes réflexes m'ordonnèrent aussi d'empoigner les vêtements du garçon ainsi que son pistolet de mes deux pauvres petites mains. Mes genoux faiblissaient et tremblaient, mais avec ce qu'il avait fait pour moi, je ne pouvais pas me permettre de le laisser tomber. Ses bras s'enroulèrent autour de mon cou.

Mes pieds nus chancelèrent jusqu'à la sortie du bâtiment, et au toucher du bitume, je m'écroulai. Le froid de la nuit sombre m'enveloppa et la malfaisance diminuait l'intensité de ma flamme. Mon mal de crâne décupla et la douleur m'obligea à abandonner mon emprise sur Malek. J'eus envie de hurler, mais certains le faisaient déjà à ma place. S'agissait-il de démons ou d'humains normaux ? Je n'en étais pas sûr.

Je déposai les vêtements du garçon sur son torse dessiné et agrippai son arme avant de la porter à mon oreille. Ses cris m'insupportaient. Le monde tournait au chaos, et un instant, une force maléfique piqua ma tentation d'appuyer sur la détente. Cependant, mon corps se contorsionna tel celui d'un gymnaste. Je luttai. Je tirai une balle dans l'inconnu en espérant éloigner les spectres. La détonation retentit et Malek se réveilla sur le coup.

J'ignorais combien de secondes s'écoulèrent, mais je m'effondrai contre lui jusqu'à ce que la voix de Celes nous rappelle que nous étions toujours en vie, pour le meilleur, mais surtout pour le pire.

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