Chapitre 25.2 ✔️

E N E K O


          Mes neurones et mes membres convulsaient. Littéralement. Mon corps entier tremblait comme une feuille dont on serait en train de secouer la branche. Je peinais à tenir debout. Ma prothèse vibrait telle une échasse à l'équilibre incertain.

C'était elle, j'en mettrais ma main à couper. Prairie, ma thérapeute, me regardait de haut et se délectait sans doute de me voir pris au dépourvu ainsi. Pas un seul son ne parvenait à sortir de ma gorge.

Pourquoi... ?

Que faisait-elle là ?

« Oui, mère. »

Mon regard alterna entre Praire et Anaël, qui portaient la même couleur de cheveux. Que... Parce qu'ils étaient blonds, j'aurais dû deviner qu'ils partageaient leur sang ? Je devenais fou ! J'aurais préféré mourir ! S'il vous plaît, que quelqu'un m'emporte! Je n'allais sans doute pas tarder à m'évanouir, de toute façon...

Elle soupira. Le fait de ne pas pouvoir voir ses yeux me donnait des sueurs froides. Je ne pouvais pas atteindre son âme.

— Je suis désolée. J'aurais aimé descendre, mais je suis assez occupée. Merci d'avoir suivi Anaël.

— Que... je... suivi ? On m'a... j'ai rien suivi du tout ! Laissez-moi partir !

— Il t'a enlevé, c'est ça ? s'exaspéra-t-elle. Écoute, je sais exactement ce que tu penses, mais je te promets que tu peux nous être d'une grande aide, même si tu ne t'en rends pas compte. Nous... je... j'ai besoin de vous... Je vais enfin être en paix !

— Vous aurez pas Malek !

— Je suis persuadé que Malek viendra de son plein gré, me provoqua-t-elle d'un air moqueur.

Je retire ce que j'ai dit. S'il te plaît, Malek, viens pas ici! Trouve un autre moyen de me sauver! Parce qu'évidemment, que je réussisse à m'échapper sans aide était invraisemblable. J'étais seul, pauvre ange, devant deux puissants adversaires : un démon et une Banshee...

Du moins, si jamais elle en était une. Nous mentait-elle depuis le début, elle aussi ?

— Il trouvera un moyen, assurai-je.

Ma respiration s'alourdissait : avait-on construit cette bâtisse sous terre ? Les couleurs ternes et les pierres salies de la pièce apportaient un aspect triste et délabré qui contrastait avec ce que j'avais l'habitude de voir avec Prairie. En hauteur, des plates-formes menaient à d'autres portes. Nous trouvions-nous dans une salle principale ?

— J'en suis certain, riposta-t-elle.

Bizarrement, Anaël était resté muet depuis l'arrivée de... sa mère. J'allais mettre du temps à m'y habituer.

— Je préfère être honnête avec toi, Eneko. Je vous ai menti. Je ne suis pas une Banshee... mais c'était pour le bien commun.

— Sans blague.

Au fond, le choc émietta le peu d'espoir que j'avais gardé dans mes poings. Je lui avais fait confiance depuis notre première rencontre. Mes poumons s'alourdissaient, l'air peinait à y circuler. Elle était ma thérapeute, j'étais obligé de lui faire confiance ! Je lui avais raconté toute ma vie, mes malheurs, mes fiertés, elle connaissait le lien qui m'unissait à Malek par cœur... et je me rendais compte aujourd'hui que ses intentions n'étaient pas des plus bonnes.

Toutefois, si elle n'était pas une Banshee, comment expliquer son interaction avec l'Helhest ?

— Comment vous l'avez arrêté, alors ?

Prairie recula et grogna. Quelques secondes s'écoulèrent, puis ses mains frappèrent la rambarde qui l'empêchait de valser. Son visage épousa la lumière. Cette fois, je distinguais ses yeux. Son ton se transforma.

— Eneko ?

— Comment vous l'avez arrêté ? beuglai-je.

— Qui ça ?

— L'Helhest !

— Oh, ça... Ne — ne t'en fais pas.

— Répondez-moi !

La thérapeute prit une longue respiration.

— Je dois te dire... Je contrôle cet endroit, c'est vrai. Les démons... ils m'obéissent.

— Quoi ? Tous ?

— Non, pas tous, gloussa-t-elle. J'aimerais. Et tu sais, ça ne fonctionne pas par télépathie ou quoi que ce soit. C'est grâce à... ce que j'ai ici, posa-t-elle la main sur sa poitrine.

— Et... vous lui avez demandé de me laisser ?

— Bien sûr. Je n'allais pas vous blesser ! Mais tu ne pourrais pas comprendre, même si je te l'expliquais. Ni toi ni Malek... Tu prendrais peur et t'enfuirais. Depuis notre première séance, j'ai découvert en toi une envie de vivre que même toi n'aurais pu imaginer. C'est saisissant, et je suis sûr que c'est pareil chez Malek... d'où le fait qu'il viendra ici de lui-même.

— Bien sûr que non je peux pas comprendre, si vous m'expliquez pas !

— Mère, je...

— Anaël !

En la présence de Prairie, je voyais le garçon faible et las. J'aurais eu pitié de lui s'il n'était pas un connard et traître fini.

Les deux m'envoyaient une impression de relation mère-fils abusive. Je n'aurais jamais osé imaginer cette face de la thérapeute, elle qui paraissait à l'accoutumée si maternelle. Pourtant, elle dégageait toujours cette aura qui me confirmait qu'elle n'avait pas sombré dans une démence pure. Vu l'endroit, cela était respectable.

Me concernant, j'en doutais. Des vibrations déstabilisaient mes sens, similaires à un vent qui affaiblissait ma flamme. Cette dernière avait tellement perdu en puissance que je menaçais de m'écrouler à tout moment. Tenter de joindre Malek était sans espoir. Prairie sourit.

— Il faut qu'elle soit satisfaite pour sauver le monde...

— Vous êtes folle, crachai-je.

— Les démons sont –

— Anaël ! hurla-t-elle. Arrête de m'interrompre ! Tu es faible depuis la mort de Théo. Heureusement que tu as amené Eneko sans le blesser...

Vaincu, le garçon soupira et recula de nouveau. Il se réfugia devant la porte qu'il avait refermée.

La puissance des vibrations augmentait et ces dernières se fondaient en cris. Des hurlements me glacèrent le sang, tels ceux d'esprits perdus à la recherche de bonheur.

— Théo ?

— Oui, Théo. Tué... souffla-t-elle. De façon tellement stupide. Les démons jumeaux sont séparés et quand je vous ai vus... j'ai saisi ma chance. Vous êtes opposés, et c'est vous qui pouvez m'aider à atteindre ce but — faire de ce monde un monde de paix et faire en sorte qu'il garde son équilibre. Je sais à quoi ça ressemble, mais c'est la vérité. Oh, j'ai essayé de tout faire moi-même... mais j'ai échoué. Maintenant, notre monde est au bord du désastre, tu... tu entends ces démons hurler à la mort ?

Oui... Qu'avaient-ils exactement ? Que voulaient-ils ? Leurs rugissements fissuraient les roches qui formaient le mur de par leur intensité. Ils forçaient sur mes tympans, m'obligeaient à y placer mes mains pour atténuer le bruit. Leur déchirement résonnait à travers tout mon corps : cela devenait insupportable.

Et là, un criaillement.

Impétueux.

Glacial.

Prairie.

Assaisonné d'une pincée de je ne savais quoi, il calma les démons et le silence regagna son trône.

— Ferme les yeux et tout ira bien. Tout sera bien plus efficace en me faisant confiance. Tu ne le regretteras pas ! Et je ferai de mon mieux pour ne pas toucher à Malek.

— Je peux pas vous faire confiance ! La seule chose que je veux actuellement, c'est vous voir souffrir lorsque le monde se retournera contre vous ! braillai-je.

Elle soupira et sa main s'agita vers la porte derrière elle. En l'espace de quelques secondes, deux nouvelles entrées s'ouvrirent et une bonne poignée de personnes accoururent vers moi. J'eus à peine le temps de cligner des yeux que mon cou, mes poignets et mes jambes furent tirés en arrière. Je hurlai à la mort.

— Hé ! Prairie ! S'il vous plaît, laissez-moi !

Ces inconnus me soulevèrent comme la coupe du monde. Je ne savais pas s'il s'agissait de sbires ou d'anges dans l'obligation de lui obéir, mais ils me portaient vers la salle des prisons.

Je passai en mode ver de terre. Qu'ils me laissent prendre un objet, n'importe quoi, pour que je me fasse oublier tout ce que je venais d'entendre, tout ce que je vivais et tout ce qui m'attendait!

— Prairie !

— Sois fort, Eneko. J'ai besoin de toi ! J'aimerais pouvoir te dire pourquoi, mais je ne peux pas. Moi aussi, je suis en danger !

À ces mots, elle disparut sous un vacarme métallique. Un voile de larme recouvrit mon champ de vision et seul le visage désolé d'Anaël m'atteignit. Au seuil de la porte, il lâcha d'une voix frêle :

— Fais-nous confiance. Ce n'est vraiment pas ce à quoi ça à l'air...

Mais je lui crachai à la figure. Plutôt mourir. J'allais sans doute décéder ici, au pire. Il s'agissait-là de la seule chose que j'avais comprise, grâce aux détenus. Ma vie avait de toute façon atteint un pic de puérilité inédit. Prairie, Anaël, Théo...

Qui d'autre allait me trahir ?

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