Chapitre 23.2 ✔️

E N E K O


           Mes paupières papillonnaient. J'avais du mal à les soulever, elles pesaient sur le reste de mon corps meurtri. J'avais l'impression d'avoir dormi des jours tant mes muscles semblaient ankylosés, mais de ne m'être endormi que récemment. Bouge tes doigts, comme lors des paralysies du sommeil. Je m'exécutai dans la mesure du possible et enchaînai avec mes membres afin de récupérer le contrôle de mon corps. Une nausée amère me menaça.

Je retrouvais mes sens. Mes paumes collaient une surface froide et humide, tout comme le reste de mon corps — du moins, je le croyais. En tout cas, je ne reposais pas dans mon lit...

Une odeur nauséabonde torturait mes narines et à cet instant, j'aurais aimé les boucher à jamais. Cette senteur infâme de déchets juteux et de renfermé allait m'achever.

Mes bras et ma jambe se réveillèrent. Mes paupières s'ouvrirent enfin, mais l'obscurité ne cessait de m'engouffrer. Je ne voyais pas grand-chose. Où m'avait-on emmené ? Un tapotement résonnait chaque seconde.

— Petit ange !

Je me relevai, mais mon crâne cogna le plafond et je m'écroulai de nouveau. Malgré l'accélération progressive de mon rythme cardiaque et la douleur aiguë, ma vision s'adaptait aux ténèbres. Mon syndrome du membre fantôme s'accentua et pour cause : ma prothèse avait disparu. Qu'est-ce que...

J'analysai les alentours. J'étais enfermé dans une cellule minuscule au milieu de dizaines d'autres. Le tapotement continuait.

— Petit ange !

C'était un cauchemar. Rien de tout cela n'avait l'air réel. Ça ne pouvait pas être réel ! Où étais-je, bordel ?

Des tiraillements criblaient ma peau sèche dès que je bougeais un muscle ; la faim consumait mon estomac. Mon cœur continuait de s'activer — j'allais le cracher d'une minute à l'autre. Mon côté claustrophobe s'insinuait sous mon épiderme. J'avais besoin de partir, loin...

— Petit ange !

— Quoi ? explosai-je, pris de panique.

Je me retournai comme je le pus vers la voix granuleuse. Elle provenait de la cellule à droite de la mienne. Seuls des barreaux fins nous séparaient et je crus discerner une silhouette maigre allongée par terre. L'homme frappait le sol de son doigt, encore et encore.

— Bienvenue.

De quoi me parlait-il ? Bienvenue où ? Mon regard s'affolait, je m'affolais. Que quelqu'un me sorte de là ! Depuis quand gisais-je ici ? Étions-nous seulement encore en septembre ? Et où se trouvait Malek ?

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

— Je suis désolé de te l'annoncer, mais il semblerait que tu te sois fait capturer.

— De quoi ? Capturé par qui ?

— Aversion.

Ce nom agit comme un déclic. Aversion... Anaël. Était-il lié à tout cela ? M'étais-je fait piéger ? Aversion, cette organisation maléfique qui invoquait des démons, ou que savais-je ! Pourquoi m'auraient-ils capturé, moi et... toutes ces personnes enfermées dans un état aussi piteux ?

— P... pourquoi ? balbutiai-je.

— Pour leurs expériences... mais j'ai entendu dire que tu étais spécial. J'aimerais bien te toucher pour savoir en quoi.

Sa main maladroite se fraya un chemin entre les barreaux et frotta le sol de ma cellule humide. À quoi jouait-il ? L'angoisse me prit aux tripes et j'envoyai valdinguer tous mes membres afin de m'éloigner au plus vite de cette chose comme d'une araignée.

— Laisse-le tranquille, Ery, brailla une voix féminine provenant de derrière moi.

Incertain, je virevoltai. Elle allait peut-être vouloir me toucher elle aussi. Toutefois, dans la cellule opposée ne vivaient que des yeux perçants, immobiles, une tête soutenue par des mains.

— J'm'appelle Anya. Tous les gens qu'tu vois ici sont des anges captifs. La plupart ont câblé et ont perdu la raison. Certains s'sont même mis à vénérer Hel.

À l'annonce de ce nom, certaines voix se levèrent, mais je restai planté là, sans comprendre ce qu'il se passait.

— Hel ?

— Reine des morts et des démons elle-même, ouais. Satan est une femme et elle jouit d'nos souffrances.

Selon ce que l'on m'avait dit, Ilça, l'entité qui nous transformait en ange lorsque nous avions une E.M.I., rivalisait sans cesse avec cette Hel... mais son rôle restait flou à mes yeux.

— Je...

— Chut ! Parle pas trop fort, imbécile... Faudrait pas offusquer ses suiveurs, m'vois-tu. Y'en a plus que tu ne le penses !

Je déglutis tandis que cette folle ricanait. Elle ne me faisait pas moins flipper que l'autre énergumène d'à côté.

Coincé entre ces deux timbrés, je lâchai prise. Personne ne viendrait me sauver. Mes mains glissèrent sur le pavé sur lequel mon corps reposait et agrippèrent les barres qui me séparaient de l'autre lignée de prisonniers. Les larmes en couleraient presque. Nous étions retenus ici comme des animaux de cirque. Qui pouvait donc agir de la sorte ?

Un hurlement déchirant retentit au loin. Mes poils s'en hérissèrent. Des coulées froides glissèrent le long de ma colonne vertébrale — ce cri virulent se répéta et se mêla à un vacarme de ferrailles qui peinait à l'étouffer.

— Sans doute quelqu'un qui s'fait emmener dans la salle d'expérience, soupira Anya.

— La quoi ?

— C'là-bas qu'ils nous torturent, en fait. J'sais même pas ce qu'ils cherchent, mais ils ont vachement l'air de... penser faire la bonne chose. C'est rigodrôle quand t'y penses.

Je secouai les barrières de ma cellule, comme si elles allaient céder par magie. Aversion, expériences, Hel... Je ne pouvais plus rien entendre. Je voulais m'échapper, voire mourir, immédiatement. Combien de temps allais-je rester ici ?

Et que faisait Malek, à la fin ? Je ne pouvais à peine sentir ma flamme tant elle s'était affaiblie.

Un liquide chaud remonta dans ma gorge — sans doute de la bile. Oh, non... Une sensation de déjà-vu m'obligea à cracher en dehors de ma cellule. Le sol humide, l'odeur...

Je ne reposais pas dans mon propre vomi, quand même ?

Je ne pus contrôler les pulsions de mon corps. Mes intestins se vidèrent. Mon œsophage me brûlait et mes yeux s'humidifiaient eux aussi. Quelques larmes glissèrent sur mes joues durcies par la rage et le temps passé ici.

— Hel te guérira, grogna le fou à ma droite. Tu n'as pas besoin de ta flamme, elle est là. Hel repose ici, au sein de la forêt. Bientôt, elle se réveillera.

La forêt...?

La cacophonie métallique s'arrêta et la prison se noya dans un silence maladif. Je n'osais ni répondre à cet homme ni ajouter le moindre mot. Je ne crachais que ma salive.

Toutes les personnes autour de moi étaient des anges, et pourtant, je ne ressentais aucune chaleur, aucune flamme. Tous semblaient si faibles, et je souffrais. Mon corps se contorsionnait de douleurs indicibles, comme si mes muscles et mes organes bouillaient. Je n'en pouvais déjà plus.

Le temps passa. Des secondes, des minutes, ou des heures, au choix. Seuls des murmures et des vibrations légères se faisaient entendre.

Je glissai deux mots à la femme à ma gauche.

— Il a dit que j'étais spécial. Tu as entendu quelque chose ? Tu sais quelque chose ?

Elle laissa un blanc avant de me répondre.

— J'sais juste qu'ils te tueront pas. J'sais pas, t'as l'air trop important pour eux, disons.

— Mais pourquoi ?

— Bah qu'est-ce j'en sais ! C'est toi l'concerné.

J'étais un jumeau... Un ange jumeau. « Ce qu'il nous faut contre les démons jumeaux», m'avait-on dit... Et si c'était lié à cela ? Ou peut-être avaient-ils besoin d'autre chose, comme lorsque nous nous étions guéris de la malédiction de l'Helhest ?

Je préférai me mettre cela en tête, car cela signifierait que je leur suffisais et qu'ils n'avaient pas besoin de chasser Malek. Pourtant, je savais que c'était trop tard. Depuis la Mara, Anaël avait confirmé qu'il était leur première cible... Cet enfoiré.

Je continuai de cogiter, le ventre vide, assoiffé, dans la puanteur et la fatigue, lorsque des pas approchèrent.

En quelques secondes, tout le monde se mut et ma cellule trembla. La salle d'expérience! Ils allaient sans doute embarquer quelqu'un d'autre. Et si c'était moi ? Le bruit provenait du fond du couloir macabre qui menait à nous et aux prisonniers qui nous faisaient face. Aussitôt, le cœur lourd, je devins impassible et immobile, mais je tremblais de l'intérieur. Je ne pouvais que prier pour que cette personne ne me cherche pas.

Une paire de bottes s'arrêta devant ma cellule.

Mon heure était venue, j'allais crever. Je ne pouvais pas ôter mon regard de ces chausses. Un frottement de manteau se fit entendre. Visiblement, ce bourreau était bien vêtu pour la température, contrairement à nous...

Les genoux de l'inconnu se posèrent au sol. Son épais blouson se dévoila. Il recouvrait son ventre, son torse, mais pas son cou, duquel tombait un collier qui représentait le double A d'Aversion. De la fourrure ornait sa nuque, puis là, l'horreur.

Une tête familière apparut, couverte de cheveux dont je distinguai la blondeur malgré la faible luminosité.

Anaël.

Cependant, quelque chose clochait. J'avais beau le regarder dans les yeux...

Il n'en avait pas.

Doucement, sa mâchoire se décollait de son crâne et un sourire monstrueux et inhumain s'en forma. Le creux de ses orbites se remplit d'une couleur rouge luminescente. Les cavités débordèrent et des gouttes de sang cascadèrent sur ses joues pâles.

Mon cœur s'arrêta net.

Je m'écroulai au sol et hurlai à m'en exploser les cordes vocales.

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