Chapitre 11.2 ✔️

M A L E K


          Je soupirai, à distance d'Eneko qui frottait ses bras trempés. La pluie avait cessé, mais l'atmosphère restait orageuse, surtout entre Sonja et Anaël.

— Personne ne sait réellement de quoi est constituée notre flamme.

— C'est notre âme, répliqua la brune. C'est pas compliqué à comprendre ! La seule différence c'est que nous, on la voit !

— Si c'était vraiment notre âme, elle n'apparaîtrait pas au niveau de la poitrine, question de bon sens. C'est une zone sensible. Pourquoi y reposerait-elle, recluse sur elle-même ? Non. Elle est invisible, même pour nous. La flamme représente la vie, c'est pour cela qu'elle s'éteint quand on meurt. Si c'était l'âme, nous ne pourrions pas distinguer les esprits morts des vivants.

— Pourquoi, monsieur le prof d'angélisme, t'as déjà vécu sans flamme pour prouver sa théorie ? Peut-être que t'en as pas, puisque je l'ai jamais vue ! Ça expliquerait pourquoi t'es aussi arrogant et froid !

— Peut-être tu n'es pas assez douée pour la ressentir.

— Non, mais, tu...

— Fermez-là un peu ! intervins-je. Y a des gens à côté !

Il était temps qu'ils mettent leurs états d'âme et indifférences à part s'ils ne voulaient pas que les gens nous prennent pour des fous. Eneko provoqua Sonja :

— T'es sûre de toi ?

— Je ne pousse pas ma voix, nota Anaël. Moi, je sais que la première règle à respecter est de n'éveiller aucun soupçon concernant notre existence. Mais même dans le cas où ils nous entendraient, qu'est-ce qu'ils feraient ? C'est dingue. Les gens apprennent à parler en deux ans, mais il leur en faut au moins soixante pour apprendre à la fermer. En attendant, ça déblatère des insanités...

Sonja allait devenir violente si je ne l'attachais pas avec une chaîne. Je me hâtai de l'éloigner avant le pétage de plomb. À en juger par la façon dont elle me dégagea de ses épaules fines, j'avais bien fait.

— Quand est-ce que je pourrais tranquillement vous apprendre à vous dématérialiser sans ce torchon sur le dos ? Y'a pas de diplôme pour être ange !

— On a l'temps, non ? C'pas ça qui manque !

— Et le démon qui est apparu dans ta chambre ? s'avança Eneko. J'ai pas envie d'attendre que ça m'arrive également !

— Écoute ton ami, sourit Anaël, cynique. Le meilleur endroit pour apprendre et pour se renseigner sur notre condition, c'est à l'Angélique. Pourquoi ne pas y aller ?

Sonja balança son corps contre un lampadaire.

— T'en as combien des propositions aussi connes ? T'as fait une liste avant de nous faire chier ? Écoute, t'as pas à m'aimer, tout le monde n'a pas bon goût, mais c'est pas une raison pour...

— Merde, c'est bon, là ! Stop !

Ma voix cassa sur la fin. Tant pis s'ils se rendaient compte à quel point cette histoire m'effrayait, j'en avais ras le bol de leurs gamineries. Oui, je voulais éviter toute nouvelle attaque et être préparé à tout danger, mais mon souhait s'était porté sur Sonja et sa défense, même si elle n'en avait pas besoin.

Tandis que le soleil repointait le bout de son nez, Prairie sortit du bâtiment. Elle s'était changée et arborait une robe fleurie. Lorsque son talon percuta le pavé, elle s'immobilisa et ses yeux se verrouillèrent sur Eneko, ou Anaël, je n'étais pas sûr.

Elle m'accorda un sourire et partit en trombe. Notre guide s'enquit.

— C'était votre thérapeute ?

— Ouais.

— Ce n'est pas le problème, rappela Anaël.

L'homme au baggy fit sauter sa mèche rebelle. Ses yeux exprimaient toujours la même indifférence quant à lasituation.

— Le problème, c'est qu'ils sont potentiellement en danger de mort. Je me fiche qu'on t'a désignée pour guide, que tu veux faire les choses lentement ou que sais-je. Eneko a dû demander sur l'aide sur internet, divulguant des informations qui auraient pu sonner le glas pour notre espèce si jamais une personne aux intentions malveillantes les avait lues. Maintenant, grâce à moi, il a tout supprimé, mais s'ils ne connaissent pas leurs pouvoirs, que tu ne veux pas les emmener au QG, comment tu veux qu'ils réussissent à survivre sans se mettre en danger, eux ou nous inclus ? Ou tu préfères privilégier ta petite personne, te forger une réputation de bonne guide et espérer être reconnue par une hiérarchie qui ne signifie rien ?

Le poids de ses mots ne le déstabilisait guère.

— En dessous de deux mois, avaler un Bloody Angel peut tuer n'importe quel ange non entraîné, se contint Sonja. N'importe qui s'y connaissant autant que toi devrait le savoir.

— Donc c'est le bon moment pour qu'ils s'entraînent, non ?

La pauvre. Elle avait beau le dépasser d'un pouce, elle s'écroulait de rage et d'impuissance. Je lui murmurai quelques mots emplis de motivation.

Anaël avait raison, mais elle ne souhaitait que bien faire. Sa maladresse relevait de sa gentillesse, chose que le blond ne semblait ni percevoir ni exprimer.

Ses yeux brillants s'absorbèrent dans les miens.

— C'est pas toi qui devrais t'inquiéter, désolée. Tu t'es remis de la Mara, toi ?

— Ouais.

La vérité ?

Pas du tout.

Non seulement je ne voulais pas croire en son existence, moi qui ne concevais la vérité qu'en science et expériences, mais j'avais toujours enfoncé ces craintes dans une boîte cachée. Aujourd'hui, cette dernière m'explosait à la gueule.

Et Eneko... il s'amusait à me fixer, une pointe de pitié dans le regard. Qu'il arrête, bon sang, je n'étais pas un gosse ! Ça ne me faisait rire !

— T'es sûr ?

Mon visage se replia. Ne me croyait-elle pas ?

— Ouais, j'ai d'autres trucs plus importants.

Mon « jumeau » se réveilla.

— Qu'est-ce qui peut être plus important que des démons ?

— C'mon problème.

La voix de Sonja me tira d'affaire.

— Malek ? Elle ressemblait à quoi, la Mara ?

— Euh... Je...

— Ne le torture pas, railla Anaël. Ça se voit qu'il a peur. À quoi ça te sert ?

Alors lui !

Cette remarque me resta en travers de la gorge. Pour qui ce con se prenait-il ? Rien que pour le remettre à sa place, je retraçai mes souvenirs, aussi douloureux soient-ils.

— C'est difficile à expliquer. D'abord, on aurait dit un nain, puis un singe bizarre. On dirait vraiment un monstre ! Et puis, il s'est déplié et avait une silhouette plus humaine. C'est jaune-kaki. J'ai pas pu voir si ça avait des poils, mais ça avait une queue d'singe...

— Elle risque de revenir. J'espère que tu t'en rends compte.

Ainsi, Sonja recousit les lèvres de tous, comme s'ils faisaient déjà mon deuil. En plus de devoir affronter un monstre dégueulasse, il apportait la pire terreur qu'un humain pouvait affronter. Pouvais-je y survivre une nouvelle fois, seul ?

Eneko s'approcha.

— Je peux demander à ma mère, si tu veux dormir chez moi.

Anaël s'interposa.

— Ça ne sert à rien. Les démons ne restent pas à un endroit donné. Ils suivent les anges personnellement, alors sauf si tu veux la ramener chez toi, je ne te le conseille pas.

— De toute façon, on a encore un peu de temps devant nous, souffla Sonja. La prochaine fois, on passe aux choses sérieuses.

Son regard noir perça celui d'Anaël.

— Tous les trois.

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