Chapitre 11.1 ✔️

M A L E K


          — Malek, attends !

Mes chaussures écrasaient les flaques d'eau qui se formaient sur le trottoir. La pluie s'incrustait dans mon bandage et mes sourcils, aussi chaude que du... sang ? Bah. La voix retentissante d'Eneko m'obligea à ma retourner. Je grinçai des dents.

— Faut qu'je rentre chez moi, répétai-je.

— Non, il faut qu'on parle, là ! Tu comprends pas ?

— Non, toi tu comprends pas ! me retournai-je. C'à cause de toi, tout ça ! On m'a donné une seconde chance pour vivre, j'veux pas la gâcher pour des histoires à la con !

Tremblotant, il restait planté là à me percer de ses yeux juges. Ses iris s'étaient décolorés pour refléter la couche de nuages bas. Le temps de quelques secondes, sa flamme semblait avoir cessé de l'alimenter en bonheur et un regret amer me remonta dans la gorge. Je l'avais blessé... Tant pis. Il le méritait.

Il essuya les gouttes qui glissaient sur ses joues duveteuses.

— J'y suis pour rien du tout. Ça se fait pas de tout rejeter sur moi comme ça.

Sa voix vibrait, dirigée par un mépris opposé à la neutralité qui la désignait d'habitude. Comment lui dire que je ne voulais ni lui ni de cette histoire grotesque ? Tout était arrivé si vite. J'aurais aimé le lui cracher à la gueule, mais mon instinct m'en empêcha. Il continua.

— Tu sais que tu peux pas t'échapper, de toute façon. Je suis la seule personne qui peut t'aider avec Sonja. Je le sais !

— Et comment tu l'sais ?

— Je le sais, c'est tout ! haussa-t-il la voix. J'ai l'impression de t'avoir toujours connu... J'ai pas envie de te laisser partir comme ça.

Mes désillusions craquèrent un soupir. Je me voilais la face. J'avais espéré une existence plus tranquille, mais ça n'arriverait jamais. J'avais peur, de lui, de tout ça, mais rien n'y faisait. Il avait débarqué dans ma vie comme la pomme était tombée sur la tête de Newton, sauf que moi, je n'avais pas eu d'épiphanie révolutionnaire. Merde, quoi !

— Tu peux me faire confiance. Si t'as des problèmes, je sais pas, tu peux m'en parler, si tu veux pas en parler à quelqu'un d'autre.

La flamme sous mon torse m'étouffait. Ces paroles me réchauffaient le cœur... pourquoi ? Pourquoi était-il si sympathique, si ouvert avec moi ? Bordel ! Je n'avais rien demandé, alors il n'avait pas intérêt à me considérer comme son meilleur ami !

— J'veux pas vivre avec des p'tain de démons !

— Alors tu vas faire quoi, te suicider ?

Ces mots coagulèrent mon sang. À chaque parole, son ton basculait et leur effet sur moi également. Non, je n'avais pas l'intention de me suicider, bien sûr, mais lui ?

— On n'a pas le choix, on doit rester ensemble si on veut pas crever. Je comprends pas ce qu'il se passe, j'ai peur aussi, je sais que c'est dangereux, mais j'ai pas le choix ! Et c'est pas comme si j'avais autre chose à faire de toute façon... Et puis merde, quoi ! La semaine dernière, tu sautais de joie quand Sonja nous montrait sa flamme !

Je me détestais.

— C'étaient des conneries, j'faisais semblant ! J'ai... paniqué, c'est tout. J'ai flippé.

Mentir m'aidait à surmonter mes problèmes et mes peurs, comme celle des incendies — ironique, maintenant que je portais une flamme, même si immatérielle.

— Flipper de quoi ? s'inquiéta-t-il.

— De tout ! De tout c'qui est en train d'm'arriver, de tout c'que j'sais pas ! Ces espèces de fantômes, démons, ces... Toute cette putain d'histoire !

Mes bras s'élançaient comme des feuilles de fougère pendant une tempête. Il mordilla ses lèvres.

— Si t'as peur des choses que tu connais pas, t'iras pas bien loin dans la vie.

— Qu'est-ce que t'en sais ? Tu m'connais, peut-être ?

Les bourrasques emportaient mes cheveux. Eneko, les bras croisés, me regardait d'un air de pitié, les sourcils frémissants.

— Tu me connais pas non plus. C'est pas une raison pour vouloir fuir. Sonja nous attend.

À l'autre bout de la rue, les deux grandes gueules s'entendaient comme chat et chien. Peut-être que si Anaël n'était pas aussi provocateur... !

— J'ai été adopté, enchaîna-t-il. Je sais pas pourquoi mes parents m'ont lâché, où ils sont. Je me suis suicidé il y a un mois, et si je suis encore là aujourd'hui à te dire ce genre de choses, de tout ce qui peut exister, ce sont pas des anges qui devraient te faire peur !

— C'est quoi ton problème ?

Ses plaintes hurlaient le manque de confiance en soi. Il n'avait pas à me donner des leçons, surtout que...

...

C'était tout ce que j'avais perdu depuis mon E.M.I. La confiance en soi. Il m'avait coincé.

— Ressaisis-toi ! Qu'est-ce que tu vas faire ? Rentrer chez toi, et ? Rester avec ta mère qui te prend comme un fou ?

Il s'était souvenu de ce détail.

Je luttais pour pousser ma rage à l'extrême, mais ces mots m'apaisaient. La bouilloire dans mon estomac se tiédit. Je ne me contrôlais plus, ces derniers temps. J'avais l'impression de ne plus m'obéir — ce que je disais, faisais, pensais... Tout se contredisait.

— Je sais, soufflai-je.

— Alors ?

J'avais tort. Je ne réussissais pas à réfléchir à mes actions, tandis que lui les asservissait, il luttait pour se faire entendre.

Écrasé par un silence lourd, je lâchai des bribes de mots mâchés lorsqu'Eneko me tendit une main vacillante. Malgré une certaine réticence, je la saisis et cette dernière me partagea un frisson.

On le savait, cette poignée marquait le début d'un long combat. Elle s'éternisa sans bruit, ferme. C'est lui qui lâcha prise. Il m'attira vers les deux guignols avant qu'ils se tapent sur la gueule.

— Alors, je t'en prie, fais-le, grinça Anaël.

Je m'incrustai.

— De quoi ?

Sonja me regarda, épuisée.

— Vous apprendre vos capacités.

— Attendez-moi deux secondes.

À ces paroles, Eneko me dépassa et emmena le blond plus loin. La petitesse de ce dernier contrastait avec son assurance que l'étudiante protestait, renfrognée.

— Putain, il manquait plus que ça, cracha-t-elle.

— Il est chelou.

— Eneko t'a parlé de lui ?

— Nan, j'sais pas c'est qui non plus.

— Génial. S'il commence à agir sans prévenir personne, on va pas s'en sortir. On doit vraiment discuter, tous les trois.

Lorsque ce dernier revint, laissant le perturbateur en retrait, les oreilles de Sonja fumèrent.

— Tu fais pas partir l'autre gamin ?

— Vous le connaissez même pas ! la méprisa-t-il, peiné. C'est pas typé cool comme attitude...

— Bah écoute, y'a ce genre de personnes qui existent et que t'as pas besoin de connaître pour pas les aimer.

La jolie brune partait facilement au quart de tour. Toutefois, quelques minutes de repos lui permirent d'apprivoiser ses pulsions. D'un long soupir, elle me dévisagea, plus consciencieuse.

— En supposant que la Mara t'a vraiment attaqué...

— Et c'est le cas, t'as bien vu !

Pourquoi aurais-je inventé une chose pareille ? De toutes les personnes ici, elle devrait avoir le plus confiance en nous. Comme réponse à ma remarque, elle haussa la voix.

— Oui, je sais ! Écoutez, je vais vous demander gentiment de vous taire parce que faut que je vous apprenne le pouvoir des anges en vitesse. Tout est arrivé trop vite, je...

— C'est bon, on écoute, la rassurai-je. Tu peux respirer.

En remerciement, ses yeux enjôleurs me sourirent et ses lèvres s'étirèrent gracieusement. Ma flamme m'affolait.

— Les anges ont bien sûr, certaines particularités par rapport aux humains normaux, commença-t-elle. L'une d'entre elles étant que nous avons deux formes distinctes. Une matérielle... celle que vous avez maintenant, et une autre immatérielle. C'est celle que vous avez quand vous faites votre E.M.I., par exemple. Une sorte d'esprit. Vous connaissez déjà la sensation, si vous êtes là aujourd'hui. Lorsqu'un humain a une E.M.I. et qu'il réussit à mener son esprit vers Ilça, il est béni par le don angélique.

— Quoi, donc c'est Dieu ? se brouilla Eneko.

— Non, non, c'est... compliqué. Oh, et je dois aussi vous expliquer comment fonctionne la flamme... Bordel.

Le châtain se gratta la nuque.

— Anaël pourrait t'aider. C'est pour ça qu'il est là, de base.

Les yeux de la jeune femme le rouèrent de coups de couteau immatériel.

— Tu veux vraiment créer une guerre, toi.

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