The kids are alright

A d r i e n T r u f f e r t

Sur le banc. Il était sur le banc. Il observait les autres qui jouaient. Eux, les grands. Eux, les pros. Eux, ceux qu'il avait rejoint pour la nouvelle saison dans l'effectif. Quarante et une minute, c'est le temps passé sur le banc ce jour-là. Le temps passé avant que son coéquipier se blesse et que le coach ne se retourne vers lui.

Il panique. Et il sourit. Il n'avait jamais autant souri. Il allait faire ses débuts en pro. Son cœur se met à accélérer à toute vitesse. Il n'arrive pas à le calmer. Il ne parvient pas non plus à calmer les tremblements de ses mains alors qu'il sait qu'il doit faire bien. Ils avaient un but à rattraper. Deux à mettre s'ils voulaient gagner ce match et prendre provisoirement la tête du championnat. Et ils la voulaient cette tête. Profiter que les gros ne gagnaient pas pour prendre le plus d'avance possible. Prendre trois points à Monaco qui était dans les leaders du moment. Éloigner toute concurrence pour continuer de rêver. Parce que rêver c'était ce qu'ils faisaient tous depuis trois ans. 

Ils avaient rêvé de League Europa une année, arrachant une qualification en huitième avant de sortir face au grand Arsenal. Ils avaient rêvé de Coupe de France face à la capitale et ils avaient arraché leur victoire. Et puis ils avaient continué de rêver. Les rêves d'Europe s'étaient éteint tôt, ceux de Coupe de France bien plus tard, mais toujours trop tôt. Et désormais, ils rêvaient plus grand. Parce qu'ils avaient la Ligue des Champions. Ils entraient dans la cour des grands. Et s'ils y entraient, c'était parce qu'ils avaient rêvé en championnat, rêvé de podium, de deuxième ou troisième place. Et s'ils rêvaient d'aller le plus loin possible, ils rêvaient surtout de renouveler les possibilités. Et lui, lui qui avait tant rêvé à les voir jouer. C'était lui qui allait désormais faire rêver le peuple rouge et noir. Il ferme les yeux un instant, inspire, expire, et il s'élance.

Il observe sa balle qui s'envole et qui finit percutée par le milieu et dans le but. Il se retrouve entouré de ses coéquipiers à le féliciter. Et il ne sait pas quoi faire, quoi dire, quoi penser. Il avait réussi. Il fallait tenir, empêcher un nouveau but. Parce que c'était ça, son rôle à lui. Pas faire des passes décisives. Ou si, s'il montait suffisamment. Mais il ne devait pas oublier son rôle de base. Il l'oublie une nouvelle fois lorsque sa frappe s'écrase dans les filets adverses. Et il n'y a plus que la joie. Celle intense qu'on ressent dans les victoires arrachées à la dernière minute. Cette joie lorsque les espoirs de l'équipe adverse sont douchés à la toute fin. Il avait mis un but. Il avait mis son premier but. Il se retrouve dans les bras de tous ses coéquipiers qui viennent le prendre contre eux, qui le félicitent un peu plus qu'on supporte un buteur à l'ordinaire. Il aimerait profiter encore un peu plus, continuer de jouer, encore et encore. Profiter de sa chance pour montrer encore plus à l'entraineur et continuer encore un peu le rêve éveillé. Mais trois coups de sifflet l'arrête, et un nouveau commence.

Parce que désormais, c'était devant ses supporters, ceux auxquels il appartenait encore quelques minutes plus tôt, entouré de ses coéquipiers que l'adolescent lance les chants pour fêter leur victoire.

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T a d e j P o g a č a r

Il grimpe. Ses jambes le font souffrir mais il ne s'arrête pas. Il entend les directives dans son oreillette. Il a fait un bon départ, il ne devrait pas perdre sa deuxième place. Il sera le meilleur jeune. Il le sait. Il n'est plus qu'à quelques kilomètres de la fin. Et jamais il n'aurait rêvé d'une telle fin pour son premier Tour de France. Son souffle se fait de plus en plus court, ça brûle dans ses cuisses. Il sait qu'il est mieux parti que celui devant lui au général, mais il n'y pense même pas. Parce que c'était pas ça son rêve. Son rêve c'était d'être là, d'avoir la possibilité de rouler à ce moment précis. Peut-être que plus tard il ferait d'autres rêves mais en attendant il était en train de le réaliser. Il avait vaincu les Pyrénées. Il s'était fait prendre au piège de la bordure à cause d'une maudite chute mais il avait rattrapé son retard. Il avait vaincu les Alpes en arrachant une victoire là-haut. Et c'était tellement beau, tellement génial. Et là, il était seul. Sans équipier, sans adversaire, sans personne dans la roue de qui se glisser. Seul avec la souffrance. Seul avec la douleur accumulée au fil des trois semaines. Seul avec ses pensées parasites. Seul avec ses rêves à accomplir.

Il n'entend plus rien. Autour de lui la foule rugit. Elle chante, elle crie, elle hurle, elle encourage. Oui. Le public est là ce jour-là pour encourager ces héros qui font ce qu'ils seraient tous incapables de faire. Pour rêver le temps de quelques minutes alors que les coureurs passent devant eux. Pour approcher leurs idoles. Pour mettre des étoiles dans les yeux des gamins. Pour illuminer leur nuit lorsqu'ils s'endormiront, l'esprit plein de joie et de rêves. De rêves de victoire. De rêves de vélo. De rêves de champion. Lui aussi quand il était jeune il avait été voir des courses. Et il pouvait encore s'en souvenir. Les grands coureurs à quelques dizaines de centimètres de lui. La vitesse alors qu'ils passaient lancés à plus de cinquante kilomètres par heure dans la rue. Il essaie de comprendre ce que son directeur technique lui dit, mais le brouhaha l'empêche de saisir ce qu'il lui raconte dans son oreillette. Est-ce qu'il se faisait rattraper ? Est-ce qu'il était bien ? 

Il grimpe. Il continue de grimper. Il tire sur ses muscles endoloris. La foule est en folie. Il ne l'a que rarement vue ainsi. Il n'était pourtant pas le maillot jaune. Il n'était que le maillot blanc. Celui du petit jeune qui débarquait. Celui qu'il avait chipé à Egal l'ancien leader qui s'était écroulé dans les Alpes.

Il s'effondre. Il a passé la ligne. Il n'en peut plus. Il ne comprend pas tout l'agitation. Il est perdu alors que les clameurs sont immenses. Il observe à la télévision en arrière les résultats des autres. Surtout celui du dernier à passer. Et il comprend pas. Il veut pas comprendre. Il peut pas comprendre. Il pouvait pas. Il pouvait pas l'avoir battu. Pas comme ça. Il était trop fort. Trop intouchable. Son regard ne quitte pas l'écran alors qu'il le voit qui a déjà passé la rupture. Il s'était écroulé. Il avait gagné. Il avait gagné le contre-la-montre. Il n'avait pas gagné que ça. Il avait rattrapé son retard. L'avait rattrapé et l'avait doublé. Il avait gagné.

Il se retrouve serré dans les bras de ses entraineurs, du staff. Ça hurle dans ses oreilles. Il a le visage dans ses mains, le cœur qui bat à tout rompre, la joie envahissant l'ensemble de son organisme. Il était le nouveau maillot jaune. Et c'était plus que tout. C'était un rêve éveillé. Ouais, il devait être en train de rêver. Il pouvait pas l'avoir fait. Pas comme ça. Pas tout seul. Il pouvait pas l'avoir battu lui et son équipe alors qu'il n'en avait même pas vraiment une.

Et pourtant, c'était seul que le gamin de 21 ans qui n'avait rien à perdre ce jour-là, avait tout gagné.

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G i o R e y n a ; J u d e B e l l i n g h a m ; E r l i n g H a a l a n d ; J a d o n S a n c h o

Ils couraient, ils s'élançaient dans les espaces tous ensemble, ballon au pied, ou bien à côté de leur coéquipier, ensemble, attendant une balle ou prêt à la lâcher au moment propice. Et là, un enfant venait de passer la balle à un autre enfant. Balle qu'il s'empresse d'envoyer au fond des filets. Il se jette dans les bras de ses coéquipiers alors qu'il vient de marquer son premier but. Bien sûr qu'il en a marqué d'autre, en coupe par exemple, mais pas en championnat. Dix-sept ans, c'est leur moyenne d'âge. Et les deux jeunes se sourient, prêt à repartir à l'assaut, prêt à continuer d'attaquer, prêt à encore marquer.

Ils discutent. L'enfant a désormais provoqué un pénalty et il fallait décider de qui allait le tirer. Derrière, les plus âgés ne disent rien, ils observent, laissent faire. Et un jeune laisse sa balle à un autre. A un ami. A un ami qui n'a pas encore marqué cette année. A un ami qui veut bien plus marquer que lui. A un ami qui est sûr qu'il réussira à le mettre, il le sent bien. Alors il lui laisse. Parce qu'il avait déjà eu droit à son pénalty quelques jours plus tôt lui. Le géant s'élance, marque une pause et envoie puissamment le ballon dans la cage. Et il se retrouve enseveli sous ses coéquipiers, hurlant sa joie devant la tribune enfin un peu remplie.

Il court, il court jusqu'à ne plus en pouvoir. Ils courent aussi, les deux autres. Les mètres sont avalés. Ils traversent le terrain balle aux pieds pour l'un, à toute vitesse pour les deux autres. L'un ouvre l'espace, l'autre s'engouffre. La balle est lâchée. Elle ne mettra pas longtemps à s'enfoncer dans les filets. Ils sont heureux. Et le buteur de vingt ans se jette sur le passeur du même âge qui lui a laissé la balle, le secoue, le serre contre lui, lui hurle dans les oreilles avant d'être rejoint par les autres.

Ils célèbrent enfin devant le mur jaune bien trop vide, ils se glissent des mots dans les oreilles, font coucou aux caméras quand ils s'aperçoivent qu'ils sont observés, ils répondent à une interview ensemble et passent leur temps à rire et se taquiner. 

Les amis étaient heureux, la jeunesse avait le pouvoir, et elle comptait bien faire exploser tout ce qui se trouverait en travers de son chemin, parce qu'elle avait tout à y gagner.

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M o n d o D u p l a n t i s

Rome, une belle ville pour voler. Renaud, un bon pote aux côtés de qui voler. Et ce jour-là, il voulait voler. Effacer un record, inscrire un peu plus son nom dans les livres, faire résonner son nom dans le monde entier. Lui, l'enfant qui voler le plus haut aidé de sa perche. Lui, le recordman du monde. Lui, celui qui avait volé le record de son mentor, de son ami, de son idole d'enfance, de son papy. Lui qui inscrirait aussi son nom en extérieur, parce qu'il y était destiné.

Aujourd'hui, il ne concourt pas contre les autres, non ça fait bien longtemps que l'enfant concourt uniquement contre ses propres limites, celles qui lui sont propres. Celles de son corps et des records qu'il compte faire tomber à chaque nouvelle compétition à laquelle il participera. Aller toujours chercher plus haut, tenter, tomber, se relever et retenter. Et voler. Voler toujours plus haut. Franchir les six mètres vingt qu'il se fixe. Franchir les six mètres quinze en extérieur pour faire tomber l'ancien roi de la discipline, celui dont le record absolu a tenu des décennies avant qu'un petit français ne vienne le chiper. Oui, le prince comptait bien lui voler celui-là aussi, ne pas s'arrêter à l'intérieur mais régner aussi sous le soleil.

Aujourd'hui le stade est vide. Aujourd'hui, il n'y a personne pour voir ses exploits. Il n'y a que lui, sa perche et ses adversaires. Mais aujourd'hui, il est son propre adversaire. Il a toujours été son propre adversaire. Et les autres n'en n'ont jamais réellement été. Parce qu'ils étaient aussi ses plus grands alliés, ses plus grands conseillers. L'auvergnat l'encourageait, le soutenait, s'entrainait avec lui. Parce que la hauteur entrainait la hauteur. Parce qu'il faut des adversaires au niveau si l'on veut toujours aller plus haut. Ils l'observent tous, lui qui est désormais dans une catégorie qui lui est propre, qui n'appartient qu'à lui. Et ils rêvent tous pour lui, pour leur discipline, pour les titres des journaux du lendemain quand on annoncerait que le record était tombé.

Il court, s'élance, la perche bien en place dans ses mains. Les cris résonnent, les encouragements de ceux qui ont chu bien avant lui. La perche se plante dans le sautoir et il s'envole. Et il vole, haut, très haut, bien plus haut que tous les autres. Son corps passe sans difficulté au dessus de la barre et il s'écrase dans les tapis en un cri. Autour de lui, les applaudissements des rares personnes présentes dans l'immense stade vide se font entendre. Il se retrouve dans les bras de l'un, de l'autre, sent son cœur accélérer devant le sourire de celui qu'il avait tant rêvé d'imiter dans sa jeunesse et dont les posters peuplaient les murs de sa chambre. Il l'avait fait. Il s'était envolé, plus haut, plus haut que tous, plus haut que celui qui avait sauté le plus haut jadis.

Oui, Rome était une belle ville pour voler lorsque l'on a vingt ans et déjà le monde à ses pieds. 

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c'était un concept un peu différent de d'habitude et j'espère qu'il vous aura plu. ça date mais y avait eu trop trop de jeunes pour m'inspirer et me vendre du rêve ce week-end-là (et j'aime trop trop écrire sur les amitiés et les jeunes encore maintenant donc il colle trop à ce que j'aime ce groupement de petits os) 

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