III - Une voix d'antan : Partie 1


                  Sa voix persiste,            

Elle s'entête à m'appeler et hante mes pensées. Je l'entends. Sa bouche supplie, réclame, et insiste sans remuer des lèvres... et je suis sa seule oreille. Pas même elle est témoin de ce qu'elle profère ici-bas... Que puis-je faire ? L'évidence est mise à nue, si ce n'est que le mensonge qui me couvre les yeux – je m'y perds en ce lieu et elle, elle... elle ! Celle femme, dont le timbre attendrissait même une pierre : elle s'est envolée. Loin de moi. Loin de ma vie. Son ravisseur me l'a arrachée depuis les cieux avant que je ne puisse l'atteindre, l'étreindre ; et je ne sus la préserver, hélas ! sous mes ailes guidées par une foi qui s'inclinait fidèle à tenir son serment. Mais cette allégeance ne suffit à raviver un feu, non. C'est un acte odieux qui s'est d'ailleurs achevé au-delà de mon temps, et je ne m'y résous guère ! Suis-je devenu fou ? Punissez ma langue si je mens ! Pas une mie de chance ne m'a été permise dès notre rencontre, et l'accord s'est rompu avant d'être conclu. À présent, mes membres se crispent aux vibrations de sa voix. Elle n'est plus, il l'a eu. Jetée sous un cruel sort où elle fut traînée jusqu'ici, aux pieds de l'arbre devenu son enfer, et j'ai échoué !

Je n'ose la regarder.

Ma face mire en détour la verdure écrasée sous mon poids, et mon état n'en demeure pas moins en pantelant d'agonie à la recherche d'un souffle. Je gémis et je suffoque et gémis à nouveau, abattu dans l'angoisse d'une dette de sang pareille à une torgnole reçue de plein fouet. La frappe est puissante. Elle résonne en mon esprit en proie au vertige, et le tintement de son écho fugitif a trémulé mon âme où y réside la mort. Infecte et vérolée. En parlant de cette ruine, elle a creusé dans la chair et s'est enracinée au resserrage des lianes autour de mes pieds à ma chute, cette boucle qui m'enchaîne et damne mon cœur à pénétrer sa douleur. Elle n'est quant elle qu'une peine qui chante l'inanité en toute sa folle splendeur !

Il ne reste rien !

Tout s'est en allé, et ma promesse fut balayée comme la nuit chasse le jour. Voilà que je goûte à la misère en un pain dénué de toute bonté : il est fade, il est dur, et rassi tel un signe de malheur. Car « tout ce qui traîne salit » dit-on, et je n'ai pas été à l'heure, pas assez, pour qu'elle ne soit enlevée en une éclipse sous mes yeux en plein soleil. Et je me tiens là, le souffle coupé devant l'encens qui s'est bien trop vite consumé : mon sacrifice empeste la vanité. C'est l'espoir qui s'est envolé avec elle sans aucun autre lendemain, oublié. Effacé à jamais sans l'odeur de la rosée du matin, et la flamme qui animait mon cœur s'est éteinte, évanouie. 

Ce monde est si sombre.

Comment croire en lui ? Mes dents grincent dans le doute, et je redoute le pire quant à ce que je suis entrain de subir. Car mon attachement au réel chancelle depuis mon expulsion de la plantation, si je puis affirmer ce fait. C'est à se figurer en dehors de cet enclot des lieux si sinistres qu'ils demeurent dépouillés de lumière : même à ciel ouvert ! Et si elle est là où je me tiens... pourquoi se montre-t-elle aveuglante à mes yeux ? L'effet en est affreux. Il me réduit à un être fêlé capable d'entendre ce qui ne peut être perçu par de simples mortels. Oh, je le jure ! Et la doléance qui m'est donnée de suivre à l'oreille ne peut provenir de ce que j'ai vu... Alors, comment ? Est-ce un rêve ? Un cauchemar ! plutôt dit. Je doute. Est-ce le cas ? Car de cela, j'en suis assuré : la fenêtre de mon âme ne s'est refermée puisque mes paupières ne sont closes. Elles sont relevées jusqu'à maintenant, à deux cils de relâcher mes globes en cette entendue qu'ils n'atteignent de vue avec bon escient.  

Une illusion ?

C'est ce qui paraît plus exact ; en tout cas, l'impression d'être soumis à une emprise perfide m'obsède avec fièvre l'esprit. Quelle est-elle ? Je pense, et me souviens de l'instant où j'aperçus cette sommière. Je la revois sur mon sentier, là-bas, à ma gauche. C'est son lustre à travers l'obscurité qui m'attira empli d'avidité, et séduit dans ma convoitise, j'abaissai mon aguet par l'excitation de prendre avec moi celle qui me reconnut. Nous deux. Unis. Mais c'est un gouffre qui nous sépare, et cette lueur n'était en fait qu'un leurre pour m'enjôler. Sûrement suis-je pris au piège, ici. Une embûche dressée à mon encontre – oui, cette piste me semble juste – et plus les secondes défilent au battement de ma vie, plus mes sens redeviennent en alerte. Contre quoi ? Un écueil sans visage qui se cache sans doute, et mon flair ne sut l'éviter. C'est une issue pernicieuse, et elle amène écrouée mon intuition à saisir une sensation effroyable... Elle me glace le sang. Car, aussi inconcevable soit-il : quelque chose, tapi dans l'ombre, se joue de moi.

On m'épie.

J'ignore la raison. Mais je tranche sur cet avis, que ses charmes m'ont trompé et plongent mes sens en une obscurité délirante. Quelle infâme chose peut en être la cause ? m'enquis-je, et mon corps se raidit à l'idée d'être le sujet d'une raillerie. La risée de tous ! Ou de rien – mais c'est impossible. L'hypothèse d'avoir inhalé l'effluence d'une plante hallucinogène m'effleura certes l'esprit. Elle fut peut-être dissimulée entre l'herbe à mon passage, et le poison s'insinua en mes narines lorsque je fus en haleine. Voilà bien une reconstitution des faits qui sonne davantage rationnelle, puisque ce qui sort de l'ordinaire n'est en général familier aux humains. La différence est rejetée ; en tant qu'esclave noir, je le sais. Et ce qui n'est contestable, est qu'aujourd'hui a déjà démontré plus d'une fois sa singularité. L'évidence ne se nie, car comment expliquer la découverte de ce qui s'est révélé à moi, alors qu'il était voilé de tout et de tous ? 

Je ne saurai dire. L'affaire est louche, et elle se montre si obscure qu'elle ressemble au dessein d'un esprit abjecte et sadique. Une entité tout à fait répugnante qui s'amuse comme si j'étais son jouet, et l'ébauche de sa malice est insoutenable. Je couvre mes lèvres dans un haut le cœur, car l'envie de vomir remonte de mes tripes à la pensée d'une mauvaise farce. Et la femme m'appelle encore et toujours.

— Core, où es-tu ?

À genoux.

Je suis à genoux. Mais peux-tu le voir ? Dans l'herbe pareille à de fines lames qui tranchent ma peau et dont la longueur ne peut couvrir mes sanglots, à bout. Je suis à bout. Le ressens-tu ? À quelques centimètres de m'étaler sur la verdure, entouré de ce paysage qui a perdu de sa couleur de vie. Il est pâle, si pâle, et sa vision ne m'apaise comme ta voix dorlotait si bien l'âme. Voici que je ne manque de me prosterner devant toi, écrasé par tant de remords que le néant ne saura dissiper. Oh, non ! Tu en es la preuve.

En moi, je fulmine. 

Car mon corps fermente dans le dégoût et macère dans l'amertume – je déverse cette pourriture ! l'éclate au grand jour contre le tout et le rien où je rosse le sol en un acte de révolte. Je jure. Je tonne enfin de mes cordes ! Sors de mes gonds. Et je gonfle la poitrine qui enfle et qui enfle malade d'écœurement. Je frappe. Je gueule, et dégueule mes maux. De ma gorge, j'expulse le tout en un cri de stentor cassé en une chute soudaine, éraillé ; je souffle. Aspire. Relâche. Inspire. Rejette. Transfuse l'air neuf et renaît. Léger, je me tais – dans la réalisation de ce que je viens de décharger ici-même. 

Une explosion.  

Elle était vitale pour que mes membres cessent de lutter contre la vérité, et commencent à embrasser la clarté dont j'ai si besoin. Mes mains s'activent et s'agrippent à la végétation, s'enfoncent dans la terre, et ramènent le tout dans leur prise. L'odeur de la fraîcheur de chaque élément remonte vite en mes narines, et je les frotte sur la peau de mon visage. Je sens. L'agressivité de l'herbe accompagnée de la douceur du terreau. Cette sensation me remémore que ce lieu aurait pu abriter bien plus de vie si le « Maudit » n'y était. Mais il est, et elle est là. Et moi, je me relève.

—  Vite, j'ai peur !

                                          Tu mens. 

Puisque là où tu te terres, et ce dont tu es faite, tu ne peux éprouver ces émotions. Je le certifie, le proclame, et par ailleurs, reconnais avoir été trahi par mon cœur. Lui se bernait dans l'espérance de toucher l'âme sœur, et il saigne dans son orgueil. Je ploie ainsi sous sa plainte, mais l'esprit avance dans sa tâche. Je tape aussitôt des mains sur mon visage, mes yeux, mes oreilles, et cruauté du sort ! ce n'est une hallucination comme le souhaitait secrètement ce qui en ma poitrine est enfoui. Mais aucune exception à la règle, je n'échappe pas à la loi. La réalité est là, devant moi. Elle est crue et sans chair, et c'est avec détachement que je m'écris : « Elle n'est plus, elle n'est plus ! » Ses appels persistent alors qu'elle a déjà expiré en ce monde ! Ma gorge se noue dans cette révélation assourdissante, et contre mon gré, je suis toujours attaché par un lien invisible et sensible. Mes sentiments.

Mes poils s'hérissent d'un coup, et ma peau se glace. Mais c'est de chaleur que je frisonne de l'intérieur ; en moi, je me sens brûler d'une volonté nouvelle insoupçonnée. Elle est violente, et si jaillissante que mes yeux me piquent et s'irritent, et je m'écroule par le tremblement subit de mes jambes. Ah ! que mon ventre a faim. Si faim. De quoi ? C'est une émotion extrême qui m'envahit et se propage par les flux de mon corps, et elle se rend maître de mes sens, de mes gestes et de moi. Entier. Naît un besoin se faisant dangereusement pressant en mon esprit, et c'est une curiosité morbide qui se révèle être...

Une étape à franchir.

Nécessaire. Il existe des choses pour lesquelles on ne détourne le regard, et je l'apprends à mes dépends. Au contraire, il faut s'y confronter. À tout prix ! Il demeure alors de savoir comment les affronter, comment s'en approcher – trop y réfléchir serait un frein. Se jeter sans attendre est sans doute la clé !

Je me livre à l'exécution de ma démarche en tirant sur les lianes qui m'entravent les pieds,et mon corps seul décide de se mettre à quatre pattes, positionné au niveau de ma cible. Je la vois, elle m'attire. J'avance. Mes mains curieuses se déplacent et tâtonnent le sol, et chaque pas de mon évolution s'anime de l'instinct d'examiner l'abominable. Je progresse vers celui-ci. Je l'écoute. Cette voix qui implore moult fois ma pitié, et qui m'intrigue d'une férocité qui m'émeut à la fois. Je ravale ma salive, m'immobilise. Net ! 

Mon souffle s'arrête, ce à cause de ma stupide inquiétude de ne pas la réveiller par un quelconque contact. Je ne m'aventure toutefois plus loin, et pose mes pupilles sur ce qui reste de cette femme : Rien. Elle n'est pas blessée ; elle ne saigne pas. Non. La sauver m'est irréalisable, même si je le désirais de toutes mes forces et de toute mon âme ! La sienne s'est envolée, quant à elle, il est trop tard. Il y a bien longtemps ! Car, qui me croira ou non, ce qui se terre dans l'ombre n'est ni fait de chair et de sang. Pas même cadavre !

C'est donc ça. 

Ce que je convoitais tant avec une ardente impatience, tel un bijoux qui brille au loin de mille feux, n'est qu'un vestige parmi tant d'autres. L'est-il ? Plus j'y plonge mon regard, plus cette relique m'apparaît plus inestimable que toutes sortes de trouvailles qu'un homme de ma condition aura le privilège de faire. Est-ce un don ? Pour sûr, ma chair déchue est affectée par sa vue. Mes yeux la scrutent avec fougue.

Peut-être de jalousie ? 

Oui, ils  ne font qu'un, alors que moi, je ne pourrai jamais la tenir puisque cet impitoyable figuier me prive d'elle. Il l'étrangle de ses grosses racines ! Ou dirai-je honnête, l'embrasse fermement de ses bras contre lesquels elle sera blottie à jamais. Ils se sont joints en une seule surface qui recouvre une partie de son corps, comme une couverture pour son être qui s'est endormi pour toujours. Que dire ? Cette poignante vision fait éclore à l'esprit l'image d'une protection pour ce ventre et ce bassin, certes emprisonnés, mais qui ne souffriront plus des abus de celui qui fut leur maître. Elle est ainsi morte libre. Libre et à la fois enchaînée.

Seuls sa tête – non : son crâne, et ses pieds jusqu'au milieu de la jambe, sont encore épargnés par l'opacité des veines de l'arbre. Ainsi, je les ai exposés à la clarté du jour, dégagés de leur camouflage par ma précédente impétuosité, mais je n'ai cependant perdu de ma frénésie. « C'est irrésistible » je me surprends à songer ; à présent, je ne m'empêche de penser à la beauté que les effets du temps peuvent insuffler divinement même à la décrépitude. Et la contemplation de ces os, pourvus d'une chair faite de mousse végétale, attise cet étrange appétit de connaître ce qui fut autrefois. 

Qui était-elle ? D'où venait-elle ? 

Sûrement pas du présent ! et sa voix, comme étouffée par les arbres des Grands-Bois, a été relâchée aujourd'hui. Elle a donc péri seule, personne ne l'a entendu, et pas un seul nègre marron n'a croisé son chemin. Je n'arrive que maintenant.


Qu'elle repose en paix.


Pour la première fois, je ferme les yeux en ce lieu. Je soupire, m'abandonne. Surgissent alors les réminiscences de mon enfance dans le noir, et j'en saisis une que je me remémore aussitôt. Comment enterrer cette histoire que Missié Joseph m'a tant contée et rabâchée ? La légende de ce vieux Malvan. Ce maître Blanc qui était d'une méchanceté sans nom, et qui n'hésitait à tuer pour un oui ou pour un non. Il avait l'orgueil gonflé jusqu'au cou, et à l'aube de sa mort, il s'en alla galopant en homme libre qui avait encore son lendemain. Lorsque, tout à coup, un village se dressa devant lui. Il était peuplé de tous les esclaves à qui il avait ôté la vie, et ils lui énumérèrent tous les actes ignobles commis, l'horreur de leur corps attestant de ceux-ci. Et ils le maudirent. C'est ainsi, que l'âme de vieux Malvan ne trouva le repos. Alors, que penser de cette femme ? Qu'a-t-elle vécu pour que sa voix ne s'éteigne ? Du peu que je sache, et gare à moi, est que toutes les forêts regorgent de morts – toujours ; et les arbres savent beaucoup de choses qu'ils ne peuvent dévoiler.

Je regarde cette égérie, partagé entre l'envie de la recouvrir des feuilles que j'ai plus tôt enlevées, ou de tout quitter de la sorte, de peur d'entraver sa liberté et de peur de cacher ce qui doit être vu. Car cette femme exista et elle continuera de l'être. C'est un fait, et il s'avère irréversible – en ma mémoire, en tout cas. Du moins, seule sa voix m'est accessible pour l'instant. Puis-je aller plus loin ? J'aimerai connaître son histoire, celle d'une négresse marron que tous les aînés de l'habitation ne pourront jamais me conter de leur vivant. Je suis l'unique témoin, et cette intimité forgée par l'isolement enflamme mon désir de percer le secret et le silence. Voici que je me m'attelle à déchiffrer les lignes de son récit sur les marques de ses os. J'avais jusqu'ici gardé une distance pour respecter le sacré de cette tombe de souvenirs, mais je compte briser l'écart. Enfin. J'approche ma main avec lenteur et tendresse vers cette jambe cassée sous les crocs du monstre. La fissure m'hypnotise... et elle me terrifie.

Je tourne la tête d'instinct, vers la gauche, vers la droite. Ici. Non, par-là ! C'est ça, elle est là. Là-bas. Je l'aperçois enfin, notre héroïne que je ne peux capturer comme je le désire encore. Et pour cause, sa silhouette file avec célérité à travers ces bois enchantés, et elle ne les craint guère. Son visage ne connait la peur, et sa peau résiste insensible aux écorchures des branches qui soumettent ce nouvel être à l'épreuve. Et cette femme se montre inébranlable dans sa course ; rien ne l'arrête. Elle exécute, déjoue les obstacles comme le fond de sa poche, et ces pierres d'achoppement deviennent l'une à la suite de l'autre des marches pour gravir l'inatteignable. Bientôt, elle y est presque. Son ombre projette sur la nature l'agilité de ses mouvements, à la poursuite d'une nouvelle aube qui se dessine à mesure qu'elle s'éloigne de l'enfer. Cependant, où que l'humain aille, celui-ci se trouve à sa porte. 

Ses gestes faiblissent.

Elle est en haleine. Son pouls s'accélère, et le corps a toutefois ses limites. Elle vient de parcourir l'impensable, emportée par les courants de la liberté traversés par une période aussi éprouvante que vivifiante – en cet empire aux lois souvent ésotériques qui accueille autant la vie que la mort. Le meilleur et le pire. Mais oncques, oh non ! se retourne-t-elle ! et elle donne son dos à l'inquiétude sempiternellement. Car dans les tréfonds de sa joie, elle sait qu'au devant se trouve l'espoir, la promesse d'un avenir meilleur qui soit même si le temps de sa venue ne sera forcément de ce monde et pour maintenant. Dès lors, que s'est-il passé pour qu'elle soit enracinée à la souche de l'arbre ?


Le molosse.


Mon être frisonne rien qu'à sa simple évocation, et mes narines hument une odeur qui a le souvenir de l'exhalaison pestilentielle de ce monstre. Mais étrange. L'atmosphère devient subitement moite et tiède dans mon dos. La sensation me déplaît, et par-dessus tout, m'effraie. Comme si. De petits courants d'air. Chauds et puants. Se formaient. Comme le souffle. D'une bête. La chose est là, derrière moi, et pas un de mes pouces ne bouge ni ne remue à l'acmé de l'envie de m'enfuir au plus vite. La peur s'est emparée de mon corps, statufié, au point que l'esprit murmure en sa pensée pour ne pas être repéré. Quelle précaution inutile ! Je suis désormais à la portée de – quoi ? pour être exact ; et l'heure n'est plus aux regrets et à la prière, puisque l'air se met à circuler autour de moi comme une proie, pareil à des vautours qui attendent chacun l'instant de grâce. Et des grognements se font entendre.

L'ennemi est ici. 

Je redoute la seconde fatidique où son emprise se refermera sur mon bras, et il me traînera dans la boue comme un cafard qui n'aura raison devant la poule. Me brisant. Me broyant. Flanquant les couleurs de mon espérance dans la bouillasse pleine de misère et de malheur. 

Elle appelle à l'aide. 

Sa détresse parle à ma place, mais qui pour y prêter attention ? Ses plaintes ne sont finalement que des geignements en cette nature qui étouffe la voix du plus faible, retenue contre sa survie pour que ne se fasse la loi du plus fort et moi, je suis faible. Cette chute brutale subie en ce début de journée m'a rendu, sans conteste, vulnérable, à la merci même de ce qui appartient au passé. Le suis-je ? Le besoin d'un sauveur se fait ressentir, que quelqu'un vienne, de nulle part – un miracle ! pour me délivrer avant que le démon ne m'attrape et ne le dévore.

— À l'aide ! « crié-je. »

Et dans cet emportement, que mes lèvres n'exprimèrent à mon étonnement, ma propre voix m'interpella parmi les éclats de celle qui m'est intruse et étrangère. « Que t'arrive-t-il, Core ? » réprimanda la mienne et je commence à me ressaisir, car ce n'est moi. Ce n'est mon être qui se trouve dans le fait troublé par cet état émotionnel en ce moment-même. Point. C'est instinctif. Ma conscience cherche à se défendre de cette vile tromperie, et elle balaye les parasites qui prolifèrent et s'escriment à prendre le contrôle de mon cerveau. On tente de me manipuler, et ma voix déclare : « Il n'y a que toi ici ». Je lui donne raison, et je n'ai tort. À peine je lui offre ma confiance qu'elle me libère d'un joug que je n'ai à porter pour aucune cause légitime. Non, pour aucune. Ses soupirs ne sont miens, et je ne suis que ce libérateur à la bourre, misérable – oui, je me sens coupable de cette faute. Cependant, il est anormal que je craigne ce qui n'est un instant de ma vie, et cette dernière s'est accrochée à elle. Le lien est devenu toxique. Il doit être coupé sans délai : c'est une question de vie ou de mort ! Les autres m'attendent, et ils ont quant à eux encore ce précieux temps devant eux. 

Je jette un œil vif autour de toi.

Pas une inquiétude ici ou là, à l'horizon, et aucune menace est établie contre moi. Rien. Il n'y a rien. Ou le rien se cache dans le tout, et quand bien même, que peut la poussière contre moi ? Il me faut que je parte. 

Ma destination ne prend fin en ce lieu, et elle ne déviera depuis celui-ci. Je m'en vais donc en ayant ma réponse : il n'existe d'avenir entre nous. Mon cœur se serre car, bien que cette réalité soit sans recours, il est résolu à la toucher avant de me relever. Juste une fois. Rien qu'une fois. Une toute dernière fois. Quelle en fut la première ? Elle me semble familière. Je veux juste reconnaître ce que je semble avoir déjà approché. De très près. À quelques centimètres suis-je d'elle maintenant. Ma respiration ne suit son rythme, et le temps se fige. Elle ne dit mot, se laisse faire, et effleurant à peine l'endroit de la fissure, 


Se crève mon cœur. 

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