I - Une déroutante renversée
Imbibé d'eau,
J'aurai dû l'être, et mort. Je peine pourtant à ressentir cette humidité suffocante, cette sensation mouillée parcourir chaque parcelle de ma peau. Entre ma chair. Est-ce que je suis nu ? C'est que je me suis fait dépouillé ! humilié par une chose que je ne saurai nommer, et que je ne le voudrai ! de peur qu'elle ne revienne... Est-elle toujours là, à m'observer ? À attendre que je fasse le moindre geste pour frapper à nouveau et me torturer l'esprit ?
Que de cruauté...
Je suis à terre, défait. Oui, couché sur un sol étonnement ferme. Et sec. Et si j'ai soif de connaître ! de tendre les mains vers cet inconnu qui m'entoure sans m'étreindre et de le tâter de mes doigts avides de sensations, car mon être entier se trouve éprouvé par un désir insatiable. À vrai dire, le doute me travaille l'esprit comme les termites rongent le bois pourri et recouvert par les feuilles mortes qui s'amoncellent pour cacher sa vielle carcasse.
Tout me paraît si chimérique et inexistant - car même l'illusion peine à se faire une place en cet espace creux et vide ; fragile décor prêt à s'effondrer au moindre ronflement d'une nature qui s'est oubliée. La création s'est endormie, m'abandonnant sans repères. Car mon ouïe n'entend plus, alors que j'écoute ! Et ma langue languit après une morsure pour redécouvrir le goût de la vie qui coulent dans les veines. Où est l'odeur la liberté ? Que je la renifle ! Que je la vois ! Qu'on me l'amène ! pour que je puisse la prendre avec tendresse dans mes bras.
Mais je n'embrasse rien.
« Rien » ? Ou plutôt ces choses que mes lèvres ne désirent baiser car elles ne souhaitent les reconnaître ? Or, les faits sont bien réels et disent vrai, n'est-ce pas ?
Je le crois.
Je veux le croire.
Et je frotte mon visage contre la terre sur laquelle l'avorton que je suis repose ; pour sûr, elle se révèle bien stérile sur l'épiderme en émoi. Pas d'eau, pas d'herbe, pas de boue... mais que des craquelures sur lesquelles se pose ma joue. Comment est-ce possible ? Je me souviens de
Ah, ce dernier souvenir...
Terrifiant !
Comment oublier ce blogodo final qui a bien failli m'avoir : moi, sur le point de m'écraser contre la surface de l'eau ? Moi, au-dessus de cet étrange bassin d'eau...
Que s'est-il passé, depuis ?
C'est comme si on m'avait déplacé dans un endroit différent en tous points et de bout en bout, à l'opposé même de celui qui me tenait en captivité. Ah, je me rappelle... juste avant l'impact, avoir perdu mes esprits et je ne les retrouve que maintenant.
Le temps est passé et a continué sa course effrénée.
Peut-être que je me trompe. Peut-être que mes intuitions ne sont vérités, mais mon âme s'y est bien imprégnée de ce lieu maudit ; j'en suis certain ! que je n'y ai pas bougé une seule seconde. Je suis toujours là, au même emplacement où j'ai échoué. En vie. Cette fois-ci, entouré d'air comme je le réclamais tant, ça change !
Il faut accompagner le geste à l'esprit.
Je tourne sur moi-même, et m'allonge sur le dos. Je cherche la morsure du soleil, que la chaleur de ses rayons me morde la peau qui ne désire que ressentir avec force et émotions. Je me mets à inspirer, expirer... un acte qui m'apparaît nécessaire après avoir connu aussi longtemps la suffocation et la supplication. Ô combien l'homme reconnaît fort souvent la valeur des choses une fois perdues, même respirer ! il faut en remercier le ciel. Mais qui est présent pour entendre ma reconnaissance ? Je suis à nouveau seul.
Et je respire, la machine se remet en route. Je tousse et re-tousse, beaucoup, sans arrêt. Par réflexe, je penche rapidement ma tête sur le côté, mes lèvres frôlant la terre qui s'abreuve aussitôt de l'eau que je viens juste de recracher. « J'en ai bu plus d'une tasse ! » et cette pensée me fait rire intérieurement pendant que le reste de mon corps n'en demeure pas insensible. En cet instant, mes oreilles me surprennent à être attentives au bruit qu'émet ma bouche et de ce qui en sort, prêtes à sourire d'entendre cette vomissure à la place du silence. Ce silence qui me pèse et m'accable.
Je n'ai pas encore osé regarder autour de moi, mais il est temps de le faire. L'homme doit se mouvoir, et moi, viendra l'instant où je partirai à la recherche de ce qui se cache derrière l'horizon. Pour l'instant, je me dois de faire un choix qui changera à jamais ma destinée.
Je suis dehors... et vivant.
Dehors et vivant !
Éloigné de cet espace de travail forcé et de toutes sortes d'oppression, et surtout : je suis hors de portée de mon bourreau. Ahahah ! Enfin, je peux rire à gorge déployée ! La délivrance m'a ouverte ses portes, en ce jour ? Je suis un esclave libre ! Non.
— Je suis un homme libre !
Libre, comme l'air. Ahahah ! Qui m'arrêtera, qui s'opposera à moi ? Personne, oh ! personne. Il n'y a personne, ici. L'avenir m'appartient désormais ! et je le dessinerai de mes pieds sur la carte du monde. Je le croquerai à pleines dents comme une pomme d'eau si juteuse, et je le sucerai de ma bouche comme la graine d'un mango si sucré. Comme il me paraît si bon et savoureux ce qui s'offre à moi ! Les choses sont claires, à présent.
J'ai été lavé !
Promis à une vie meilleure par immersion totale. J'ai quitté les ténèbres, et tandis que je leur tourne le dos, je fais face à cette entendue sur laquelle il ne me manque de tracer mon sentier.
Voyez !
Le ciel est bleu et dégagé, cette couleur m'apaise et me rend serein. Je la contemple avec gourmandise. Mon enthousiasme précédent a fini par dessiller mes paupières qui accueillirent la lumière, comme des fleurs qui éclosent de bon matin. Je relève en définitive ce corps ankylosé, décidé en toute certitude de mon entreprise : c'est d'un regard neuf ! que je veux scruter cette perspective. Et au loin, se perd ma voix.
Je constate l'épouvantable.
La situation est plus grave que je n'aurais pu l'imaginer, là-bas, sur cette plantation qu'une volonté inconnue m'a permit de m'exiler. Non assez loin, hélas, pour que je ne puisse avoir matière à y repenser. Car de là, une énorme tache grise s'est crayonnée dans l'azure, un gribouillis, un épais nuage de fumée s'élève dans le ciel. Le bruit ! celui dont je fus victime, est-il ainsi l'auteur de cet immense voile de poussière ?
Je vous le dis : « je suis un miraculé ! »
Mais pour combien de temps ? Voilà que la deuxième option du dilemme se pose - non, s'impose et m'entrave dans ma course sans frontières. Le chemin le plus difficile à emprunter, le plus crucifiant de tous ! Je ne suis pas prêt, oh que non ! à retourner dans ce bourbier. Seulement, ah seulement... il fallut que je connaisse le caractère de l'autre vieux. Ma conscience me pèse et me voici lourd d'angoisses et de reproches. Il va se venger !
Il n'y a pas de doute.
Les chances sont grandes, il vient de perdre une partie de sa plantation. Il n'hésitera pas à abattre certains de mes frères pour apaiser ses colères. Le monstre ! et je ne vaux pas mieux que lui.
Si je reste ici.
Je finis par croire que ce n'est que de la mort que je fus délivré, et rien d'autre. Une force me tire et m'attire, celle d'une bonté imméritée qui m'a été offerte. Et elle me pousse en arrière, assurément vers le lieu de mes craintes. Est-ce afin de porter mon aide aux autres en reconnaissance ? Je ne cesse de penser à eux. Sûrement apeurés de ce que le vieux est capable de leur faire subir. Des choses sans noms... Moi, je ne crains pas cet homme, je ne l'ai jamais craint ! Toujours lui ai-je tenu tête et sans regrets, qu'importe les conséquences. Cependant, et mon cœur tente en vain de s'en en cacher, c'est un douloureux sacrifice que je m'apprête à faire pour le plus grand nombre ; cette fois-ci, je m'efface. Je suis terrifié.
Est-ce que j'ai finalement été voué à servir l'intérêt des autres ?
Cette idée me terrasse, j'en suis ébranlé. C'est du tréfonds de mon être qu'une voix me crie de rebrousser chemin, de tout abandonner sous une impulsion incontrôlée. L'homme a ses faiblesses, et il se doit de partir à la conquête de l'inconnu. Il ne peut rester ! me crie-t-elle. Elle me plaît bien cette voix, cette part d'égoïsme en soi demeure toujours la attrayante. Mais elle n'est ni celle que mon corps choisit d'écouter, ni la voie que celui-ci choisit d'emprunter : je suis attiré par la fumée.
Il y a à peine quelques minutes, j'ai quitté cet endroit désertique et asséché pour une raison que je juge irrationnelle. Je n'ai pas rêvé. L'espace ressemblait fortement à un ancien bassin d'eau. Où est-elle donc passée ?
Elle fut comme aspirée. Emportée.
Et maintenant, je m'enfonce au fur et à mesure dans les bois. Je lève les jambes l'une après l'autre pour éviter les grosses racines qui jonchent le sol verdoyant et dense comme le pelage d'une mangouste. C'est la première fois que je vois ces arbres, ils sont gigantesques à perte de vue, et je ne manque de m'appuyer sur leur énorme tronc pour progresser dans mon cheminement. Je me refuse, amère, à les admirer. Le temps se fait court et je fais attention, vigilant, à ma position dans l'espace. Sinon, quel serait l'intérêt d'y retourner si je me fais avaler par cette épaisse nature ?
Rien ne se fait sans réflexions.
Pour assurer ma progression, j'ai au préalable établi des points de repère en grimpant sur le premier grand arbre qui me le permettait, et une fois là-haut, tout là-haut, j'ai élaboré ma carte mentale jusqu'à ma destination finale. Oh, Seigneur ! Que de magnificence furent ces innombrables bois majestueux qui s'étendaient au loin. J'en ai reconnu un en particulier avant de pénétrer les entrailles de la forêt.
Un fromager.
Lorsque je l'aurai atteint, si je ne me perds et j'en doute puisque mes pas semblent être guidés, je serai bientôt près de la plantation. Proche de la parcelle qui a brûlée. Je n'aurai qu'à monter de même sur celui-ci pour déterminer le parcours que j'aurai à effectuer.
Ah ! Je ris jaune.
Bien sûr, c'est un fromager.
*
Le temps me semble long, et me tenaille les entrailles. Je voudrais vomir toutes mes craintes, et je pense en avoir même des crampes. Je repense à ce fromager, et ne peut m'empêcher d'imaginer toutes sortes de bêtes maléfiques y abriter les branches et les racines. Mais n'en suis-je pas un, en quelque sorte ? Un revenant, peut-être même, un mort-vivant. Et j'entends des sanglots !
— Qui est là ? demandai-je sans même réfléchir.
Ce sont des pleurs.
Quelqu'un pleure quelque part.
Non loin de l'endroit où je suis.
Je ne sais où donner de la tête, car je peine à délimiter la zone où émane cette voix qui s'ajoute à la mélodie de la faune et de la flore. Encore celle d'une femme. Croyez-moi, il vaut bien mieux craindre cette créature et la fuir, que d'être emmené six pieds sous terre pour l'avoir contemplée. Je reste sur mes gardes, et jette alors un regard méfiant sur cette nature qui m'encercle de toutes parts. Mes sens sont alarmés. Pas une seule réponse ne vibre dans l'air, pas un seul élément ne daigne se déplacer à travers cette végétation abondante, pas un seul
— À l'aide !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top