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Elena rentra. Elle n'avait pas voulu se mêler à la dispute qui opposait Ivern et Gamper, et s'en était allée. Elle marchait piteusement dans les rues de la ville grise. La jeune fille ne savait pas vraiment d'où provenait la tristesse qui accompagnait ses pas.
Peut être de la tristesse justement de Devon qu'elle avait imaginée révolue, peut être de ce sentiment d'être perdue entre les membres de la Chouette, Globe et Marco, peut être d'avoir découvert qu'elle était déçue de l'issue du vote qui venait d'avoir lieu. Elle aurait dû parler, mieux leur expliquer mais son esprit était ailleurs, trop occupée par le désarroi de Devon.
Bref, peu importait, ça avait eu lieu, se dit-elle. Il fallait maintenant appeler le chef de l'underground brestois pour lui partager ce qu'ils avaient décidé ce midi, c'est à dire de refuser de rejoindre leur QG.
-Elena?
-Ouais, salut, c'était pour vous dire qu'on s'est réunis ce midi et qu'on a décidé de ne pas accepter ta proposition.
-Hm je vois. C'était quoi ton avis?
-Ça n'a pas beaucoup d'importance. J'étais plutôt pour venir avec vous mais la majorité l'emporte. Nous ne viendrons pas.
-Toi, tu devrais nous rejoindre. Après tout, l'enquête ne comporte que ton nom.
-Je me plie aux décisions que prend le groupe.
-Pourtant ce n'est pas leur rendre service que de ne pas aller te mettre à l'abri. Tôt ou tard, tu te feras prendre. Et à partir du moment où tu seras entre les mains de la police, ils ne seront plus en sécurité. Ta famille aussi sera inquiétée. Là, il y a une bombe à retardement sur toi. Éloigne toi de tes proches, en venant au QG par exemple et ils seront protégés de l'explosion. Si tu restes...
-Bon, la métaphore m'a convaincue. Je fais un peu de ménage et j'arrive.
-Parfait, rendez vous à 15h au goût thé. Tu demandes un diabolo menthe et tu t'installes le plus au fond possible. Compris?
-Compris. A tout à l'heure.
Elena raccrocha tandis qu'elle arrivait devant son immeuble. Elle avait la sensation d'avoir fait le bon choix. L'enquête allait bien finir par venir s'intéresser à elle. Sa chance avait peut être été que jusque là, Marco ait pu avoir quelques doutes par rapport au fait qu'elle puisse être derrière la Chouette.
Pour le moment, elle enleva la batterie de son deuxième téléphone, le nokia qui lui servait à discuter avec Globe ou les autres membres de la Chouette puis le planqua sous une latte du parquet. Elle entreprit également d'effacer tout ce qui pourrait la relier à ses amis sur les réseaux sociaux. Pour terminer, elle fourra dans son sac à dos quelques affaires et une arme que Globe lui avait transmise un jour bien qu'elle n'ait jamais eut besoin d'en faire usage.
Elle s'apprêtait à prendre son sac pour sortir lorsque des pas se firent entendre dans les escaliers. Ils étaient une bonne poignée. Dans l'appartement du dessus, il n'y avait qu'un vieil quadragénaire qui vivait seul.
La porte s'ouvrit d'un coup. La jeune fille dût reculer pour ne pas se la prendre dans la tête. Ils étaient quatre. Deux canons étaient braqués vers elle. Pas directement vers sa tête, mais bien plus bas. La police espérait donc la prendre vivante.
Il y avait bien son arme à elle à portée de main dans son sac mais la situation lui semblait bien désespérée. En plus, elle venait de croiser le regard du policier qui fermait la marche. Les yeux verts de Marco n'avaient pas changé. Ils avaient encore leur pouvoir hypnotique sur elle.
Un autre homme, bien plus grand et les cheveux grisonnants s'avança et elle fut bien obligée de rompre sa contemplation.
-C'est bien vous Elena Quemeneur?
-Oui.
-Parfait, c'est toujours sympa de tomber sur la bonne personne. Bon, vous êtes en état d'arrestation pour crime contre l'état.
-Ok, répondit-elle pour ne pas laisser le silence trahir son état.
Elle sentait en effet le sang affluer vers sa tête et respirait bien plus vite que d'habitude. La panique la gagnait.
L'inspecteur Ledanois s'approcha donc de la rédactrice en chef de la Chouette pour lui attacher les mains derrière le dos. Il fit signe à une femme de prendre le sac à dos qu'elle s'apprêtait à saisir pour partir puis la poussa légèrement en avant. Elle se laissa entraîner vers la sortie tandis que Marco et l'un des policiers commençaient à fouiller son appartement. Dans un éclair de lucidité, elle se souvint du petit carnet qu'elle avait retrouvé quelques jours plus tôt. Il tait posé sur la table.
Elle tenta d'accrocher de nouveau le regard de son petit ami de jeunesse et d'un signe discret, désigna l'objet. Il avait détourné rapidement les yeux. Elena espérait qu'il ait compris le message.
Dans la voiture qui l'emmenait vers le siège de la police brestoise, elle eut le temps de repenser à ce que Globe lui avait dit. La jeune fille avait si proche de leur échapper. Peut être que si elle n'était pas restée discuter avec Devon à la fin de leur réunion, elle serait déjà au café que lui avait indiqué le chef de l'underground. En train de siroter un diabolo menthe.
C'était comme ça. Maintenant, elle allait devoir tenir pour ne pas trahir ses amis. Elle connaissait l'issue. Tous ceux qui étaient arrêtés pour "crime contre l'état" finissaient de la même façon. Morts. L'enjeu allait être d'emporter les secrets de la Chouette, et ceux qu'elle connaissait de l'underground, dans sa tombe.
Elle se redressa sur la banquette arrière, motivée à ne rien lâcher avant le moment fatidique.
Jeudi 30 Août 2017
Cet après midi, comme tous les après midi où il a fait chaud cette semaine, on a été à la plage avec Marco. Normalement, Gamper devait venir aussi mais au final il pouvait pas donc on s'est retrouvés tous les deux et c'était bien aussi. Dans quatre jours c'est la rentrée alors j'avais envie de profiter de ces derniers moments de l'été. On a passé beaucoup de temps dans l'eau. Je crois que je n'avais jamais été aussi loin de la côte à la nage. C'était marrant même si ça faisait un peu peur. Après on est remontés et il avait un truc à me dire donc je l'ai écouté.
Son père lui avait dit ce matin qu'il n'irait pas au lycée à Brest mais à St Brieuc, en pension. Je crois que j'vais commencé à pleurer donc je lui a demandé si il reviendrait pendant les vacances. Non. Son père avait été clair sur ce point là. On a terminé le chemin jusqu'au bar en pleurant tous les deux. Je lui ai demandé si il préférait qu'on arrête là du coup, si on ne pouvait plus se voir. Il a hoché la tête et a raconté que sa mère disait toujours que les choses liées se recroisaient forcément un jour. Quand on s'y attend le moins. On s'est promis de ne pas chercher à se retrouver parce que selon la théorie de sa mère, ça allait bien finir par arriver. Il m'a embrassé puis est parti.
Maintenant, j'arrive pas à dormir, je comprends pas pourquoi son père a fait ça. Ok, il avait pas des super notes et il passait plus de temps au port, à la plage ou à se promener avec moi dans un de ces deux lieux qu'à bosser mais c'était injuste. Marco allait bien, souriait bien plus qu'après son arrivée et le décès de sa mère il y a trois ans et j'ai peur qu'il perde à nouveau sa joie de vivre. Dans quatre jours, c'est la rentrée au lycée et j'ai pas envie de la faire sans lui.
Marco et Jules étaient donc restés fouiller l'appartement. L'inspecteur leur avait demandé de rassembler tout ce qui était susceptible de relier Elena au journal, la lettre anonyme et sa place sur la liste des suspects constituaient de bonnes preuves pour des services policiers de moins en moins regardants. Mais Ledanois aimait comprendre, remonter le fil et avoir à la fin des enquêtes qu'il menait, la belle histoire qu'il avait su retracer.
Le petit italien évoluait dans l'appartement avec presque le sentiment de se trouver dans un lieu sacré. Les retrouvailles avaient été étranges. Après un premier long regard qui lui avait fait ressentir d'immenses regrets, il avait cherché à éviter au maximum de jeter le moindre coup d'œil à Elena. Alors que l'inspecteur l'emmenait, elle avait tout de même réussi à planter ses yeux dans les siens et furtivement, lui avait désigné la table d'un signe de tête.
Sur cette table donc, il trouva un petit carnet bleu marine. Jules était en train de fouiller la chambre, Marco le fit donc glisser dans le revers de son blouson. Il lirait ça plus tard.
-Rien trouvé et toi, dit son collègue policier en revenant dans le séjour, et toi?
-Rien d'intéressant non plus. On met les scellés et on rejoint les autres?
-Ouais, c'est parti.
Agir selon une procédure et répéter des gestes qu'il connaissait détendit réconforta légèrement le jeune homme. Il condamna ainsi la porte pour que les lieux restent intacts puis les deux policiers rejoignirent le reste de l'équipe d'enquête au siège de la police. Ledanois discutait avec Elena, attachée à une chaise au centre de leur salle de travail. Nolwenn râlait, il aurait pu aller là où avaient lieu les interrogatoires selon la procédure et ça aurait été bien plus calme pour se concentrer.
-Tu veux te concentrer sur quoi? avait demandé Jules dans un rire moqueur, on l'a eue. Y a plus besoin d'enquêter.
-Oh tu te trompes, maintenant, il faut retracer sa vie, qui sont ses proches, comment s'est-elle rapprochée des mouvements anti gouvernementaux, comment la Chouette était écrite, par qui, bref, tout un tas de trucs que votre testostérone ne peut saisir.
Marco n'était pas d'accord avec sa collègue mais il était trop occupé à écouter la discussion entre Elena et l'inspecteur.
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