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Après deux bonnes heures de marche, Elena revint au bar. Elle lança un sourire jaune à son frère puis monta préparer le repas. Peut- être qu'elle n'était revenue rien que pour lui donner tort. Son esprit de contradiction avait toujours été très développé.
Ses parents arrivèrent juste au moment où le riz finissait de cuire.
-Oh Elena, Alexis nous avait prévenu mais je croyais qu'il nous faisait encore une blague, tu connais ton frère.
-Salut maman, désolée de pas trop être passée ces derniers temps.
-C'est pas grave, c'est pas grave, l'important c'est que tu sois là ce soir.
Son père semblait lui en tenir davantage rigueur. Il l'avait saluée froidement et déclara:
-Je vais aider Alex', il y a pas mal de monde au bar.
Soizic tenta de discuter mais elle connaissait son mari: buté et têtu comme une mule.
-Bon ben on va manger toutes les deux je crois.
Au final, Alexis les rejoignit et ils mangèrent à trois. Aussi loin qu'elle pouvait remonter dans ses souvenirs, Elena ne trouvait pas trace d'un repas tous ensemble, à part le dimanche. Il y avait toujours eu un parent au bar et l'autre avec eux.
Ils parlèrent des nouvelles du village, Soizic restait excellente pour collecter les potins des uns et des autres. Elle était intarissable alors sa fille décida de la lancer sur un sujet qui l'intéressait:
-J'ai croisé Giuseppe Barcini quand j'ai été me promener. Il avait pas l'air d'aller super bien.
-Ah ben tu m'étonnes, avec toutes les mesures du gouvernement pour fermer les frontières et se replier sur soi, il a de plus en plus de mal à exporter. Tu lui as demandé comment allait Marco?
-Non, on n'a pas discuté. T'as des nouvelles de lui, toi?
-Parfois, il revient au village pour voir son père mais pas beaucoup plus souvent que toi, sourit-elle, j'ai su qu'il était entré dans la police. Tu as cherché à le revoir?
-Non, on s'était dit qu'on se recroiserait un jour mais qu'on laissait le hasard décider de quand.
-Drôle d'idée. Moi quand j'ai aimé quelqu'un, je ne l'ai plus laché.
-Et on t'en remercie chaleureusement sinon on serait pas nés, rit Alexis, Elena, faut que tu penses aux enfants qui pourraient voir le jour et rien que pour ça, tu dois retrouver Marco.
-Mais t'es con toi, s'exclama-t-elle, c'était qu'un amour de jeunesse.
-T'es sûre, tu nous as présenté personne depuis.
-Mais maman, tu vas pas t'y mettre aussi, s'insurgea-t-elle en partant dans un fou rire.
La jeune fille ne regrettait pas d'être venue voir sa famille. Quand la pression s'accentuait autour du journal, elle réalisa qu'il y aurait toujours ce cocon de bonne humeur et qui sentait bon le passé où elle pourrait revenir. Revenir plus souvent. C'est ce qu'elle leur promit en partant. Alexis fit les gros yeux, elle rentra à Brest. Elle jeta un coup d'œil à son deuxième portable, celui qui lui servait à communiquer avec les membres de la Chouette, quand ils parlaient affaires et avec Globe. Le chef de l'underground lui avait d'ailleurs envoyé un message pendant son absence.
Mardi 2 avril 2015: Ce matin, en histoire, la prof m'a mise dehors parce que je dormais encore. Pourtant, comme d'habitude, elle m'avait posé une question sur le cours et j'avais bien répondu. Je crois qu'elle en a marre. Marco a trouvé ça injuste alors il le lui a dit et il m'a rejoint dans le couloir. On a beaucoup parlé. Je crois qu'il en avait besoin. Sa mère est morte hier. Un cancer du poumon. C'est pour ça qu'elle n'était pas venue avec eux en France. Il est très triste mais au moins il n'a plus envie de fuguer vers l'Italie. Il va rentrer ce week end pour l'enterrement mais il en veut beaucoup à son père, de ce côté là, ça va pas mieux, parce qu'il ne lui avait pas dit qu'elle était malade alors qu'il était au courant.
Marco et Ledanois commencèrent les interrogatoires le lundi après midi pendant que Nolwenn avait décidé de continuer les recherches sur les personnes listées. L'inspecteur l'avait dit: "Notre coupable fait partie de ces 100 noms. Il ne peut pas nous échapper puisque nous avons son nom sous nos yeux. L'identifier le plus rapidement possible, voilà notre mission. A partir de lui, remonter aux autres membres de la Chouette, puis à des membres de l'underground brestois."
En France, c'était ce réseau qui était aujourd'hui le plus actif. Dans une ville bien plus modeste que Paris ou Marseille, il n'avait pas attiré l'attention de la police et avait pu prendre de l'ampleur tandis que les révoltés des grandes métropoles subissaient une violente répression.
De ce fait, le Finistère abritait maintenant un underground parfaitement organisé. Chacun avait son nom de code et ne connaissait que peu d'autres révoltés, des planques s'étaient mises en place et surtout, l'information régnait. Les services de police, les administrations, les rédactions des médias nationaux et locaux, jusqu'au bureau du préfet, aucune nouvelle n'échappait aux oreilles du réseau brestois. Il y avait toujours le fils de la coiffeuse du matelot que sa grand mère avait gardé les vaches avec le tonton du boulanger qui avait croisé le chat gris du commandant de police pour savoir quelque chose. Ne restait plus ensuite qu'à trier le vrai du faux.
Bref, Marco et Ledanois arrivaient chez leur suspect numéro un, un certain Lucien Belaud, 24 ans, étudiant en lettres classiques.
-Bonjour.
-Bonjour, vous êtes bien Lucien? demanda Ledanois.
-Oui c'est moi, qu'est ce que vous voulez?
-Discuter, c'est possible?
-D'accord, rapidement alors.
-C'est nous qui fixons le temps, intervint Marco.
-Nous pouvons faire vite si vous répondez à nos questions, dit l'inspecteur en s'asseyant dans le canapé de l'appartement, alors, vous fréquentez toujours des black angels?
-Non, j'y suis resté deux ans, vous savez comment c'est, quand on découvre la vie étudiante, on a envie de s'engager. C'était il y a trois ans, les débuts du régime. J'ai toujours été du genre à détester que les choses changent. Alors oui, j'ai fait partie de ce syndicat mais c'était qu'un petit groupe d'étudiants réfractaires au changement. Pourquoi remettre ça sur la table aujourd'hui?
-Vous avez participé à plusieurs manifestations anti gouvernementales avec ce syndicat, je me trompe?
-Non, c'est vrai, mais comme je vous l'ai dit, c'était au tout début, c'était pas un crime de manifester à ce moment là.
-Et votre garde à vue pour avoir été interpellé en possession de tracts faisant la promotion d'idées terroristes? demanda Marco.
Ils avaient mis cette petite routine en place avec Ledanois depuis qu'ils interrogeaient ensemble, depuis la brigade des stups. L'inspecteur commençait, en souriant, avec sympathie et lui arrivait derrière avec une question un peu plus cassante.
-Un putain de malentendu. Je rendais juste service à un gars qui avait oublié sa carte de bibliothèque. Il pouvait pas imprimer du coup. A un moment, la police est entrée dans la fac. Les imprimantes sont dans le couloir principal. Il s'est enfui et je me suis retrouvé avec ça dans les mains. J'ai fait un an de taule pour ça. C'est dégueulasse.
-Vous aimez écrire?
-Bah oui, mais dites moi ce que vous me reprochez. Je sais même pas pourquoi vous êtes là.
-On a besoin de savoir si nous devons vous considérer comme un ennemi du régime, reprit Ledanois.
-Non, bien sûr que non, j'ai manifesté, ok, mais ça a pas duré longtemps. Ensuite, il y a eu cet accident. J'ai payé pour un autre. J'ai pris un an de retard sur ma vie. Maintenant, si vous voulez bien, je vais me remettre au travail, il faut que j'avance sur mon mémoire.
-Et vous suivez l'actualité? poursuivit Marco avec force.
-Merci, Mr Belaud, intervint l'inspecteur, on va y aller.
Il attendit que son jeune assistant sorte puis le suivit.
Dans la voiture, un vif échange eut lieu entre les deux hommes. Le petit italien ne comprenait pas pourquoi Ledanois n'avait pas plus insisté. Ils avaient le coupable parfait devant eux et c'était presque comme s'ils étaient simplement passés prendre un café et blablater avec le gars qui correspondait en tout points avec le portrait qu'ils avaient fait de leur cible.
-On va surveiller ses déplacements et communications un temps, assura son mentor, mais je te mets ma main à couper que ce n'est pas lui. Quand il parle, on voit la haine qu'il a pour ce gars qui lui a demandé de faire des photocopies. Il est en train d'écrire un mémoire.
-Mais c'était notre mec, pezzo di merda, il est en lettres donc écrire c'est son truc, il a fait partie d'un syndicat étudiant qui organisait des manifs contre le gouvernement et pour l'imprimante, on n'a pas de preuves. Le gars qui oublie sa carte d'imprimante, il l'a surement inventé.
-Fais moi confiance, Marco, c'est pas lui. Il nous reste 98 possibilités. On va devoir se tromper 97 fois, faut que tu l'acceptes ça, p'tit perfectionniste que tu es. Prochain nom sur la liste?
-Yann Autret.
Ils avaient donc enchaîné trois interrogatoires cet après midi là. Aucun n'avait été fructueux. Ledanois avec repris ses taquineries vis à vis de son jeune assistant et lui, avait admis que l'inspecteur avait raison pour le premier suspect. Il avait toujours raison.
Nolwenn avait du nouveau, elle avait modifié l'ordre des noms. Elle avait passé la journée à explorer les entourages de leurs suspects. Si untel avait des amis ou des proches avec des tendances anti gouvernementales, il gagnait des places.
Marco jeta un œil à cette liste modifiée. Elena était montée, elle était dixième maintenant.
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Salut salut, petit message pour vous remercier de suivre cette histoire. J'aurais une petite question à vous poser: est-ce que au niveau du rythme, ça vous va? L'enchaînement des points de vue, c'est compréhensible?
Bon, ça fait deux questions là mais c'est pas grave hein? On a le temps en ce moment.
Bonne chance pour le confinement, restez chez vous.
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