25

La fin du trajet s'était passée en silence. Iode ne s'était détendue qu'à l'approche de la vieille ferme qui servait d'avant poste à l'underground. Elle avait ensuite mené sa voiture dans les entrailles du bunker.

Lorsque le véhicule s'était immobilisé, Elena avait ouvert les yeux. La cheffe de la Chouette tenta de se relever mais son corps refusa. Elle soupira, attirant l'attention de Marco. Il enleva précipitamment sa main de ses cheveux.

-Désolé.

-C'est pas toi p'tit con.

-Je peux continuer alors?

-Non, on est arrivés et il y a plein de trucs à faire. Iode? Vous aviez pu reprendre les articles? Devon avait fini ses manips?

-T'as vraiment l'impression d'être en état de faire plein de trucs? répondit sèchement son amie.

Elle descendit de la voiture et ouvrit la porte arrière.

-Allez viens.

Elena saisit la main qu'elle lui tendait et se redressa tant bien que mal, aidée par Marco.

-Mais du coup, ça donne quoi pour la Chouette?

-On devrait bientôt reprendre, soupira Iode.

-Il se passe quoi avec le journal? Fais gaffe, je pourrai devenir aussi chiante que... toi si tu continues de ne pas tout me dire.

-La cheffe est de retour, super, je vais t'expliquer mais avant, le but c'est que t'arrives à l'infirmerie en évitant de perdre encore connaissance.

Pour cela, Elena était encadrée par ses deux amis. Ils progressaient lentement à travers les couloirs obscurs. Si la jeune femme ne se répétait pas sans cesse qu'elle était libre, elle n'y aurait jamais cru. Le gris des murs était plus austère que celui du commissariat.

Une fois qu'ils eurent atteint l'infirmerie, Iode s'éclipsa. Elle avait encore des choses à faire avant l'heure des explications. D'abord, il y avait quelqu'un à féliciter: Gamper. Son plan n'avait pas trop mal marché puisqu'ils étaient à nouveau réunis au bunker. Le jeune homme avait entamé une danse de la victoire qui l'avait agréablement surprise puis il s'était mis à courir vers l'infirmerie.

Ensuite, elle avait été déranger Ivern et Ada dans leur travail de remise en service du site de la Chouette.

Pour terminer, elle alla prévenir Globe dans son bureau. Les hommes de l'avant poste l'avaient sûrement déjà averti de leur retour mais bon, une espèce de fierté qu'elle ne se connaissait pas la poussa à aller voir le chef de l'underground. Elle l'informa également que Marco était venu au bunker et qu'elle ne pensait pas qu'il y avait de raisons particulières de s'en méfier.

-Ah, un dernier imprévu.

-Je t'écoute, une cerise sur le gâteau ou plutôt une surprise type ver dans une pomme?

-Première option, il y a un inspecteur de police dans le coffre. Il a failli nous rattraper mais Marco l'a assommé. Je sais pas si il est pas réveillé maintenant. Et je sais pas quoi en faire non plus mais on avait pas vraiment d'autre choix que de le ramener.

-Parfait, Iode, félicitations en tout cas, je peux te l'avouer maintenant, je ne pensais pas que ça marcherait.

-Alors pourquoi vous nous avez encouragé à le faire?

-Le jeu en valait la chandelle, il fallait tenter, de tout façon, j'imagine que même si je vous avais déconseillé de le faire, tu y serais quand même allée. Je me trompe?

-Non.

-Bon, je te laisse aller rejoindre tes amis, la révolte s'accélère.

Pendant ce temps là, Yann, médecin en chef du bunker s'était assuré qu'Elena retrouve des couleurs. Les hématomes laissés par les coups d'André Vasseur mettraient du temps avant de s'effacer totalement mais la douleur commençait à diminuer et elle se sentait moins faible.

Marco avait observé les gestes du docteur puis s'était approché du lit dans lequel la jeune femme était allongée. Ils étaient enfin tous les deux. Seuls.

-J'ai pas mal de questions à te poser même si j'ai eu une bonne partie des réponses dans ton carnet.

-C'est cool que tu l'aies lu, sourit-elle, même si ça pouvait être bien con ce que j'écrivais dedans. Moi aussi j'ai des questions. et je vais commencer parce que tu n'as pas eu la... décence de me laisser un journal de bord. Alors, déjà explique moi comment t'es passé du gars sympa qui montait sur les bateaux et qui aimait jouer au foot au collège à policier dans l'antiterrorisme.

-Euh bah je sais pas trop. Un jour, au lycée, on a eu une intervention de la police pour nous présenter le métier et ça m'a plu du coup j'ai voulu faire ça.

-Et ça te dérangeait pas de traquer les immigrés, tourmenter les homos ou torturer les opposants?

-Le régime s'est mis en place l'été juste avant que je passe le concours de la police. j'ai voulu le faire quand même sinon mon père m'aurait dit que je ne savais pas ce que je voulais. Et après, comme je l'ai eu, je devais faire minimum 3 ans. En plus, j'étais dans le service des stups, jusque récemment.

-Jusqu'à quand?

-Le début de l'enquête sur la Chouette.

-Ok, répondit Elena, et pourquoi t'as accepté de changer alors?

-Pour suivre Ledanois.

-J'ai vu que tu l'aimais beaucoup. Ça te fait peur de voir qu'il est au bunker?

-Oui.

-Toi tu en penses quoi du programme politique du régime?

-Rien. Je ne l'ai pas lu.

-Jet'ai pas demandé de le lire mais tu vois bien qu'il y a moins de liberté, plus de répression. Ça t'inspire quoi?

-Si je te donne les chiffres des actes de délinquances qui sont bien plus élevés chez les immigrés, tu ne seras plus d'accord de m'aimer?

-On en est pas encore arrivé à ce sujet, dit Elena, et je ne t'en veux que partiellement de penser ça. Propagande et désinformation, encore et toujours.

Marco soupira. Il n'avait pas imaginé que leurs retrouvailles ressembleraient à un interrogatoire de ce type.

-Et on peut y arriver à ce sujet du coup?

La porte s'ouvrit et Ivern et Gamper entrèrent dans l'infirmerie. Le jeune homme devrait attendre pour avoir ses réponses. Les autres aussi étaient heureux de retrouver leur amie. Iode les rejoignit. Ils rirent en pensant à tous les moments où le plan avait failli mal tourner.

-Oh mais tout était calculé, sourit le jeune concepteur, il faut toujours une part de risque non?

-Ah bah merci, on voit que c'était pas toi qui a été au commissariat, lui répondit la nouvelle venue.

Le médecin du bunker les avait laissé profiter pendant une petite demie heure puis leur avait demandé de laisser Elena se reposer. Désormais, la cheffe de la Chouette était seule dans l'infirmerie. Il y avait cette espèce de joie béate sur son visage. Elle était de nouveau libre et tous ses amis étaient là.

Enfin il manquait Devon tout à l'heure mais il devait être en train de s'affairer avec les serveurs du journal. Peut être qu'il n'était pas venu se mettre à l'abri avec tous les autres.

Mais le grand sourire qu'elle arborait s'effaçait peu à peu.

La lettre.

Il était le seul qui n'était pas là. Il y avait de grandes chances pour que ce soit lui qui l'ait dénoncée.

Malgré la fatigue qui pesait sur son corps, elle ne trouva le sommeil que très tard. Elle réussit à arriver à une seule conclusion: Elle avait loupé un épisode. Demain, elle demanderait aux autres s'ils pouvaient l'éclairer.

Vers midi, Elena émergea d'un sommeil réparateur. C'était la première fois depuis des semaines qu'elle ne se réveillait pas la peur au ventre ni brusquée par un inspecteur de police.

Yann vint la voir pour vérifier ses bandages. Elle lui demanda dans combien de temps elle pourrait sortir de l'infirmerie. Il resta évasif. Vers quatre, cinq jours en fonction de l'évolution qu'il constaterait.

La cheffe de la Chouette n'aimait pas bien cette perspective. Maintenant qu'elle n'était plus retenue au commissariat, elle voulait pleinement profiter de sa liberté.

-Il n'y aura pas de liberté avant un moment, sourit tristement le médecin, pour toi comme pour moi. On est pas mal au bunker à être recherché. Pour que l'on puisse sortir, il faudra que la révolte triomphe.

-Et juste aller me balader dans les couloirs de l'underground?

-Tu n'as pas encore assez de forces pour ça. Continue de te reposer.

Elena acquiesça et afficha une mine résignée. Il apparaissait clairement qu'elle était toujours faible. En début d'après midi, Globe passa voir comment elle allait. Elle lui posa toutes les questions qu'elle n'avait pas pu poser à ses amis la veille et qui s'étaient formées sous son crâne au fil de la nuit.

Il lui confirma ainsi que c'était bien Devon qui avait écrit la lettre de dénonciation, du moins c'était ce que les journalistes de la Chouette avaient communément admis. Le site allait d'ailleurs reprendre d'ici quelques jours.

Le chef de l'underground s'en allait quand Elena l'interpella:

-Désolée de pas avoir accepté de vous rejoindre directement, ça aurait évité des problèmes.

-J'ai compris que vous teniez à votre indépendance. Nous ne la contesterons pas lorsque les publications reprendront. Pour ce qui est des problèmes, je crois que l'on peut affirmer maintenant que ça aura été un mal pour un bien. La police avait réussi à attraper une personne importante de la révolte, puis elle a mis toute la population au courant en annonçant qu'un procès se tiendrait. Et là, pouf, la veille du procès, la cheffe du journal clandestin le plus important du pays s'évade. Je crois qu'on a vu pire comme problèmes à l'underground.

Ils échangèrent un sourire malicieux et Elena se rallongea.

Quatre jours plus tard, Yann l'autorisa enfin à sortir. Ce soir, Globe avait une importante annonce à faire. La jeune fille s'assit entre Iode et Marco. Il n'avait toujours pas eu le droit à sa discussion sérieuse à propos de leurs sentiments. Chaque fois, il n'osait pas aborder le sujet puisque les autres étaient là ou bien, Elena se mettait à parler d'autre chose quand elle sentait qu'ils s'engageaient sur une pente glissante.

-La révolte n'a jamais été aussi proche. Après la défaite que nous venons d'infliger à la police et la vague d'attentats qui l'a précédée, la population perd peu à peu confiance envers le gouvernement pour la protéger. Hors quel est justement le rôle d'un état? Eh bien selon Platon, c'est d'assurer la sécurité des citoyens. Il est temps de tourner cela à notre avantage.

Marco jeta un coup d'œil à Elena. Il comptait bien réussir à lui parler à la fin du discours.

La dernière étape avant le soulèvement, c'est de mettre en place une vaste campagne de propagande. Il est temps de porter à la connaissance de tous les mensonges que le gouvernement lui sert depuis qu'il est en place. Notre pièce maîtresse, c'est la Chouette puisque la lutte contre la désinformation est la raison d'être de ce journal. Je vous annonce aujourd'hui que le site est opérationnel et l'équipe de journaliste réunie au bunker.

Le jeune homme fut soudain saisi d'un doute: peut être qu'elle évitait le sujet avec lui parce qu'elle ne l'aimait plus.

A côté de ça, il va falloir éveiller la curiosité de la population, lui donner envie d'aller chercher la vérité. Pour cela, nous utiliserons eh bien la méthode des témoins de Jéhovah. La nuit, nous distribuerons des tracts dans le boîtes aux lettres. Vous verrez, nous n'avons qu'à souffler un peu pour que se forme la vague de la révolte.

Marco se reconcentra sur les paroles de Globe en l'entendant parler de "vague". Il ne sait pas bien si il veut faire partie des révoltés. Il ne se sent pas trop mal au bunker puisqu'il y a Elena, Gamper, Iode et Ivern aussi qu'il trouve très drôle.

Les idéaux ça n'a jamais été son truc de toute façon. Petit, il faisait ce que sa mère lui disait de faire, puis au collège, il s'était placé sous la protection d'Elena. Dans la police, il agissait suivant ce que Ledanois disait. Le jeune homme sourit tristement. La liberté l'effrayait depuis si longtemps alors. Enfin bon, si c'était comme ça qu'il se sentait heureux, il allait vraiment falloir qu'ils discutent pour lever les doutes de Marco.

Alors que tout le monde applaudissait et que la même lueur s'allumait dans les yeux de tous les révoltés, il saisit Elena par la main pour l'entraîner vers le foyer.

Il planta son regard dans le sien et demanda simplement:

-Tu m'aimes toujours?

La salle était déserte mais au fond de la salle, un vieux poste de radio était resté allumé.

-Et toi?

-J'ai posé la question d'abord.

-Oui mais j'ai l'impression que ça fait un moment que t'as pas eu à décider quelque chose. Alors?

-Oui.

Elena combla l'espace qui les séparait et approcha son visage de celui de Marco. Il alla chercher ses lèvres avec les siennes et neuf ans après le premier, ils échangeaient un nouveau baiser.

Au fond, le vieux poste de radio diffusait une nouvelle chanson. Ils se séparèrent pour rire, les paroles résonnaient étrangement bien à la scène. Mais bien vite, l'inévitable attraction de l'amour les réunit à nouveau.



Bon eh bien voilà, j'espère que l'histoire vous a plu. Je vous en avais déjà parlé dans un chapitre précédent, je vais maintenant m'attaquer à la réécriture alors vos avis et critiques sont les bienvenus.

Merci d'avoir suivi jusqu'au bout les aventures d'Elena et de Marco. Votre soutien et vos votes m'auront beaucoup motivé à écrire et pour la première fois, j'ai réussi à terminer une histoire. C'est assez spécial comme sentiment. Encore merci et bonne nuit.

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