24

Iode était en train de se garer dans un petit parking sur les hauteurs de la ville. Elle dût alterner plusieurs marches avant, arrière pour enfin réussir sa manoeuvre. Elle tapa le haut de son volant pour se motiver. Le sourire de Fred s'imposa parmi ses pensées. Pour qu'elles puissent vivre librement leur relation, le gouvernement devait tomber. Pour que le gouvernement tombe, il fallait que la révolte triomphe. Et Globe l'avait rappelé, la rebellion naissait dans chacun de leurs actes.

De toute façon, elle n'avait pas le choix, il fallait y aller maintenant.

La jeune femme claqua la portière puis rejoignit le commissariat. Elle entra, salua l'homme qui s'occupait de l'accueil. Il lui rendit son bonjour sans un regard. Dans sa voix résonnait toute la lassitude accumulée au fil de la journée.

Iode se dirigea ensuite vers les vestiaires. Comme prévu, ils étaient au rez de chaussée, à gauche.

Elle était dans la gueule du loup, faisait attention à chacun de ses gestes. Elle se pencha sur l'un des chariots de ménage. D'après Gamper, il était possible de démonter le seau et l'emplacement à serpillères. Bon alors, "d'après Gamper" c'était un synonyme de "en théorie". En réalité, Iode dût forcer et tirer sur les éléments pour qu'ils se détachent. Elle se retrouva assise par terre, essoufflée. Elle décida de s'accorder ces quelques secondes de répit avant de poursuivre le plan.

Alors que la jeune femme s'apprêtait à repartir, la porte s'ouvrit et un homme qui devait avoir la quarantaine entra dans la pièce. Il portait le même uniforme qu'elle, celui de cleanmatic, société de ménage dont un révolté avait réussi à dérober une tenue la veille. Elle reprit rapidement ses esprits pour lui adresser un grand sourire.

-Salut.

-Salut, t'es nouvelle?

-Oui, premier jour pour moi.

-C'est toi qui remplaces Marie?

-Euh oui c'est ça.

-Terrible ce qui lui est arrivé.

-Terrible... oui.

Iode aurait voulu demander ce qu'il s'était passé avec Marie mais sa curiosité devrait attendre. Elle s'excusa de devoir y aller, elle ne voulait surtout pas que l'on trouve quelque chose à redire à propos de son premier jour.

L'homme hocha la tête et lui souhaita bonne chance. Elle pria pour qu'elle ne remarque pas les éléments de son chariot qu'elle avait démonté puis sortit du vestiaire.

Dans l'ascenseur, en route vers le troisième étage, elle jeta un coup d'oeil à sa montre. 18h48. Le commissariat commençait à se vider. Pour l'instant, elle avait trois minutes de retard par rapport au plan de Gamper. Fichu collègue. Iode sortit dans le couloir. C'était là qu'ils s'étaient donnés rendez-vous avec Marco. Pour l'instant, la coursive était déserte. Son ventre se tordit de stress. Elle se saisit d'un balai et commença à s'occuper des poussières. Chaque fois qu'elle ramenait le manche vers elle, elle regardait l'heure à son poignet. Les secondes passaient et toujours personne.

Marco aurait dû lui donner les clés de la cellule d'Elena à 18h45. Peut être qu'elle étit arrivée trop tard, peut être qu'il n'avait pas réussi à les trouver, peut être qu'il s'était fait prendre la main dans le sac, qu'il avait renoncé à les aider.

18h53 et 54 secondes, le tas de saletés commençait à bien s'épaissir. Iode jeta un nouveau regard aux deux extrémités du couloir. Marco était enfin là. Mais il y avait un homme à ses côtés. Tempes grises et fines lunettes. Ils semblaient en pleine conversation et venaient vers elle.

Le jeune policier l'aperçut à son tour et lui lança un regard désemparé. Elle comprit qu'il ne pourrait pas agir.

Leurs pas coordonnés résonnaient tout autour d'Iode. Il fallait réagir, faire quelque chose. C'était maintenant qu'elle devait récupérer les clés mais comment?

Elle trébucha dans sa danse monotone avec le balai et s'étala de tout son long. Les deux hommes accoururent pour l'aider à se relever.

-Vous allez bien? demanda le plus vieux.

-Oui, oui, merci, je me suis emmêlée le pieds.

-Drôle d'idée, je préfère faire des noeuds à mes lacets plutôt qu'entre mes pieds, sourit-il.

-Je vais essayer de faire comme vous alors, rit Iode en jetant un coup d'oeil à Marco. Il avait profité de leur court échange pour déposer les clés sur le charriot.

-En tout cas, c'est pas un crime d'être maladroit, ne vous inquiétez pas. T'en penses quoi p'tit?

-Que j'ai pour le moment laissé tomber six fois mon verre à la cantine, répondit le plus jeune.

-Pourquoi c'est quand on ne bosse plus ensemble que tu commences à avoir de l'humour?

Le policier aux tempes grises se mit à rire puis il se tourna vers Iode pour lui souhaiter une bonne soirée. Elle lui rendit son salut puis regarda avec soulagement les deux hommes s'éloigner.

Mission accomplie, elle avait la clé.

Elle retourna à l'ascenseur pour monter d'un étage. Le couloir était plus sombre. Gris, toujours, mais plus sombre.

"B7"

Elle s'assura que la coursive était déserte, déverrouilla la porte de la cellule puis entra. La lumière pénérait à travers un petit oeil de boeuf. La jeune femme dût attendre que ses yeux s'habituent à l'obscurité avant de réussir à repérer Elena. La cheffe de la Chouette n'était plus qu'un corps replié sur lui-même, un petit tas de chair recroquevillé dans un coin de la cellule.

Iode se précipita vers son amie. Elle dormait, si ce n'était pas pire. Son visage était enflé et parsemé d'hématomes. Son tee-shirt, lui, était maculé de sang.

Celle qui était venue pour tenter de la libérer la secoua doucement.

-Elena? Elena? C'est moi, il faut que tu me suives. Un petit effort et tout est fini.

Au bout de plusieurs minutes, elle ouvrit le yeux. Iode recula, effrayée. Son regard n'avait plus la même saveur. L'envie, la révolté, l'espoir n'y étaient plus. La cheffe de la Chouette l'observait avec lassitude. C'était comme si un songe était venu la réveiller.

Son amie comprit que durant sa captivité, elle avait dût y penser souvent, au fait que quelqu'un viendrait l'aider à sortir.

-C'est vrai cette fois, chuchota-t-elle, je vais t'aider et tu vas te barrer d'ici. T'arrives à t'asseoir?

Elena hocha la tête. Quelques braises d'espoir semblaient avoir retrouvé leur place dans son regard. Elle rassembla les quelques forces dont elle pouvait disposer pour se redresser. Sa tête se mit à tourner et elle fut forcée de l'appuyer contre le mur.

Pendant ce temps-là, Iode avait approché le chariot de ménage.

-Nickel. Il va falloir que tu tiennes là-dessus le temps qu'on descende et ensuite, il restera à sortir. Ensuite, ça sera gagné, je te ramènerai au siège de l'underground. On est tous allés là bas finalement. Ils pourront te soigner.

Les chariots de Cleanmatic avaient la bienheureuse caractéristique d'être équipés de deux sacs poubelles. Pour l'instant, il n'y avait dedans qu'un peu de poussière du troisième étage. Elena pouvait donc se tenir cachée, entourée par les deux sacs noirs. Iode l'aida à monter et vérifia qu'elle était parfaitement invisible. Elle sortit ensuite vérifier que le couloir était toujours désert. Il l'était.

Maintenant, rejoindre l'ascenseur, descendre jusqu'au rez de chaussée et atteindre le vestiaire. Iode referma la porte et la coinça avec son balai. Cette fois, personne ne viendrait la déranger. Elle libéra son amie des sacs poubelle et partit chercher son sac au fond de la pièce.

Un bruit sourd la fit sursauter. Elena avait voulu se lever et s'était effondrée sur le carrelage du vestiaire.

Iode soupira pour laisser échapper la pression qui commençait à s'accumuler au creux de son ventre puis s'approchade la cheffe de la Chouette. Gamper avait mis dans son sac des anti douleur et des excitants. Une nouvelle fois, elle remercia mentalement le petit génie et alla chercher les quelques cachets.

La poignée de la porte tenta de bouger et la voix d'une femme passablement irrité parvint aux oreilles d'Iode.

-Oui, oui, je finis juste de me changer.

-Ben bouge toi, j'ai pas toute la soirée.

Paniquée, la jeune révoltée se mit à secouer son amie plus rapidement. Une fois qu'elle eut les yeux à peu près ouverts, elle l'aida à enfiler un uniforme de la police.

-Putain, tu refais ta manucure ou quoi? Ouvre!

Il ne lui restait plus qu'à se changer elle aussi. Elle referma ensuite son sac et prit le bras d'Elena pour qu'elle se lève.

-Ca va le faire? chuchota-t-elle.

-C'est con comme Marco n'a pas changé d'odeur depuis le collège, répondit-elle en souriant pour la première fois, ça va le faire évidemment.

Iode alla ensuite débloquer la porte. La femme dont le visage reflétait tout l'énervement interrompit son flot d'injures en apercevant leurs uniformes policiers.

-Oh, je ne savais pas que vous utilisiez aussi ce vestiaire, excusez-moi.

-Pas de souci, répondit Iode en poussant son amie vers la sortie.

L'homme de l'accueil ne les dévisagea toujours pas. Les premiers souffles de vent vinrent chatouiller le visage d'Elena. Ca aurait pu être le soleil mais bon, on était à Brest, ne l'oublions pas. Les embruns puaient la liberté et le cri des oiseaux lui confirmèrent qu'elle étaient bel et bien dehors. Elle profitait de retrouver le dehors en ouvrant de nouveau ses sens au monde.

Soudain, Iode la pressa. Un homme s'était mis à courir derrière elles. Il avait les tempes grises mais encore ses jambes de vingt ans. Celles d'Elena avaient pas mal été endommagées ces derniers jours.

-Attendez! Arrêtez vous!

Elles traversèrent la rue et tournèrent à droite. Au bout de l'allée, le parking où la voiture les attendait. Le policier gagnait du terrain. Il continuait de hurler. Sa voix était pleine d'une détresse qui frappa Iode en plein coeur.

Les cris lui indiquaient qu'il était tout proche désormais. Elles atteignaient enfin le parking mais pas la voiture. Elle poussa Elena en avant pour la faire gagner quelques mètres et se retourna vers l'homme qui les poursuivait. C'était celui qui discutait avec Marco au troisième étage quand elle était tombée.

Elle leva les poings devant elle, prête à frapper. Il avait déjà sorti son arme et la braquait en tremblant vers elle.

L'inspecteur Ledanois ne parvenait pas à contenir une drôle d'euphorie. Drôle parce qu'imprégnée de déception.

-T'es venue aider ton amie? Bravo, ça a failli marcher. Je te l'accorde, ça avait plutôt mal débuté avec ta chute dans le couloir mais le reste a l'air d'avoir marché puisque vous vous retrouvez proches du but.

Elena était revenue aux côtés d'Iode et observait le visage déformé par la joie de l'inspecteur. Elle dût s'appuyer sur l'épaule de son amie pour tenir debout. Ca fit sourire Ledanois:

-T'inquiètes, j'imagine que si je vous ramène au commissariat, ils me rendront l'enquête. Plus de torture, rien que de la patience. Allez, en route.

Elles sortirent du parking suivies de près par le policier. Il tenait toujours son arme pointée vers Iode.

Une ombre attira l'attention d'Elena. Une petite ombre dans son dos. Sur le sol, la silhouette noire semblait se rapprocher d'eux. En fait, elle fondait vers Ledanois. Un cri étouffé lui confirma que l'ombre était bien réelle. Elle se retourna pour voir qui en était le propriétaire.

L'inspecteur était à terre et deux yeux verts pétillaient dans le soir brestois.

Iode avait récupéré son arme et commençait à tirer le corps inconscient vers sa voiture.

Elena sourit. Elle était libre et Marco était là. Il se mit à sourire lui aussi, heureux de la retrouver vraiment.

De loin, de très loin, la voix d'Iode leur parvint:

-Les concubins, on se bouge, allez. Marco, j'imagine que tu viens avec nous alors en voiture Simone.

-Je m'appelle pas Simone, dit le jeune homme en aidant Elena à rejoindre la voiture de la révoltée.

-Oh, tu t'appelles pas encore Simone mais dans la révolte, tout le monde a besoin d'un nouveau nom alors pourquoi pas, rit la cheffe de la Chouette.

Iode démarra. Elle savait qu'ils n'avaient pas le temps de traîner, il fallait quitter le ville truffée de caméras au plus vite. Lorsque Ledanois s'était élancé à leur suite en criant, il avait alerté l'homme de l'accueil. La révoltée l'avait vu saisir son téléphone. Sûrement pour appeler des renforts.

Elle décida de ne pas repasser devant le commissariat. Le trajet allait se ralonger un peu mais elle préférait ne pas revoir le bâtiment gris. Au fil des rues et des virages, elle jetait de nombreux coups d'oeil dans ses rétroviseurs. Tout semblait calme.

Calme, c'était également l'ambience sur la banquette arrière. Elena s'était à nouveau assoupie. L'adrénaline qui s'était déversée en elle en comprenant qu'elle allait sortir, retrouver sa liberté et échapper à la peine de mort s'était dissipée. Son corps accusait à nouveau le coup. Elle était allongée, la tête reposant sur les genoux de Marco.

Le jeune homme passait la main sur ses cheveux emmêlés par les semaines d'emprisonnement. Il répétait ce geste, le regard perdu dans le vide. Ses doigts tremblaient légèrement, trahissant sa peur.

-Iode? On va où?

-Au siège de l'underground, répondit-elle en jetant un nouveau coup d'oeil dans le rétroviseur.

-Tu penses que ça va le faire pour Elena?

-Bah évidemment, il y a de très bons médecins au bunker, t'inquiètes.

-Tu sais si elle m'aime toujours?

-Et toi?

-Je crois que oui mais j'ai pas vraiment envie de continuer de l'aimer si c'est pas pareil pour elle.

-Vous aurez bientôt le temps d'en reparler.

-Et Ledanois, il va se passer quoi?

-Je sais pas, c'était pas dans le plan mais y avait pas trop le choix. Globe décidera.

-C'est où le siège de l'underground?

-Tu verras bien.

-Ok. 

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