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Gamper, Iode et Ivern étaient assis sur leurs lits. Le plus jeune du trio leur exposait son plan. Il leur demandait souvent leur avis, répétait ses idées et guettait les réactions de ses amis.
-C'est super, continue, le poussa sa camarade de la Chouette dont les yeux pétillaient de curiosité.
-Ok, du coup, pour terminer, il n'y aurait plus qu'à revenir ici avec Elena. Peut-être qu'on peut sortir de la ville en allant vers l'est, ça permettrait d'éviter les caméras. Ensuite, retour au bunker en passant par les routes de campagne où il n'y a pas de surveillance. Bon, le plan est un peu risqué mais c'est ce que j'ai imaginé et Globe a dit que ça pouvait marcher.
-Go, sourit Ivern en se levant mains sur les hanches.
-Du calme, intervint la seule femme de la chambrée, ton plan est génial, mais il va falloir que tout se passe comme prévu. On va essayer de bien dormir cette nuit. Je veux être en forme pour sortir Elena de là. En gros, essayez de pas ronfler trop fort les gars. Si ça foire, je dirai que c'est à cause de ça.
Ils éclatèrent de rire puis le visage de Gamper se fit plus soucieux, il reprit la parole:
-Iode? C'est pas toi qui vas y aller. C'est moi.
-Mais bien sûr... Je te rappelles que t'es actuellement recherché.
-Peut être mais si ça marche pas ce sera de ma faute vu que j'ai imaginé le projet d'évasion. Donc je veux pas mettre quelqu'un d'autre en danger.
-Putain, fais pas ta Elena, la logique veut que j'y aille donc j'y irai.
-Tu viens de passer trois jours à tourner autour du commissariat, ils vont peut être te reconnaître, intervint Ivern.
-Tu vas pas t'y mettre aussi. J'y vais et c'est tout. Bonne nuit les gars.
Iode tira la couette sur elle et se roula en boule pour faire face au mur. Elle sentait son coeur cogner contre sa poitrine. Elle se surprit à prier pour que ses deux amis ne l'entende pas. Gamper éteignit la lumière et le vacarme s'amplifia encore une fois que l'étudiante se retrouva dans la solitude de l'obscurité.
La détermination que montrait Elena dans tout ce qu'elle entreprenait l'avait toujours impressionnée. Jamais, elle n'avait réussit à saisir d'où lui venait cet entêtement et cette confiance. Pour demain, Iode en aurait eu bien besoin mais elle n'avait jamais eu l'idée de poser la question à son amie.
Un sourire s'était dessiné sur ses lèvres, interroger sa camarade sur n'importe quelle petite histoire personnelle était pourtant l'un de ses passe-temps favori. Elle avait hâte de la revoir.
Finalement, l'étudiante n'avait pas besoin de la motivation d'Elena, elle avait trouvé la sienne.
La respiration de Gamper s'était faite plus régulière. Elle devait réussir pour lui, pour lui prouver que son plan était une nouvelle fois, le génial fruit de son esprit. Elle savait également qu'Ivern brûlait d'envie de reprendre les activités sur la Chouette. Et pour que le journal ressuscite véritablement, leur cheffe devait revenir.
Pour Fred aussi. Sa petite amie ignorait son engagement dans la révolte. Elle avait donc peu de chances de pouvoir la revoir avant que le gouvernement ne tombe. Encore une raison de réussir demain.
Enfin, Iode pensa à Devon.
Sa trahison lui laissait un profond sentiment de tristesse auquel elle tâchait de ne pas trop penser. Elle ne savait pas ce qu'il lui était arrivé, si Marco était repassé le voir ou s'il continuait à faire comme si de rien n'était. D'après l'informaticienne qui passait ses journées à bosser sur le site avec Ivern, il n'y avait pas d'autre activité à part les siennes. Devon semblait donc avoir renoncé à la Chouette en même temps qu'il avait dénoncé Elena.
Iode aurait aimé aller discuter avec lui, essayer de comprendre mais le moment ne s'y prêtait pas et son raisonnement serait encore trop biaisé par la tristesse.
Mardi 28 juillet 2020
Je crois que je vais arrêter d'écrire tous les soirs, c'est trop long à faire, je suis fatiguée. En plus, dans ce carnet, il y a beaucoup de Marco et je préfère essayer de l'oublier maintenant que j'ai l'impression qu'il a disparu. On ne se recroisera plus, sa mère s'était trompée.
Après sa ballade au port, Marco rentra chez lui à pied. Il ne savait plus comment marcher. Contrairement aux quelques pas qu'il avait fait près de l'eau, sur le chemin de son appartement, le jeune homme se sentait bien plus nerveux. Il ne savait plus comment il fallait faire pour marcher. Dès qu'il fixait ses pieds, il lui semblait que leur allure différait, qu'ils n'étaient pas droits à chaque fois qu'il les avançait. Dès qu'il relevait le regard, il ne savait plus sur quoi il devait le poser. Ses bras balançaient des mains moites. Mais à quel rythme devaient-elles le faire? Avec quelle amplitude?
Il fourra finalement ses extrémités dans ses poches. Elles touchèrent sa carte de bus et cela suffit à le décider d'abandonner sa marche. Marco soupira de soulagement en s'asseyant sur un des sièges libre. Quelle mouche l'avait piqué? Changer ses habitudes alors qu'il avait des tâches inconfortables à accomplir.
En arrivant chez lui, le jeune policier saisit un paquet de dragibus dans la cuisine puis s'assit dans son fauteuil préféré, ordinateur sur les genoux et sachet de bonbons ouvert sur l'accoudoir. C'était un fauteuil qu'il avait trouvé dans une brocante et qui avait immédiatement fait remonter en lui le souvenir de sa mère qui leur lisait des histoires le soir. Marco était allongé sur le canapé et laissait sa tête reposer sur les genoux de son père. Si l'on omettait le repas, c'était le seul moment de la journée où la famille Barcini était réunie (Adriana aimait raconter des aventures folles, Marco aimait les histoires et Giuseppe les parenthèses).
Ses doigts tremblaient toujours. Ils survolèrent le clavier et il lança la première vidéo que son moteur de recherche lui proposa à partir de sa recherche: "tuto pickpocket".
Il y passa plusieurs heures, concentré comme il savait l'être sur les images qui défilaient. Sa main allait au paquet de dragibus et ses yeux demeuraient immobiles. Quand il s'aperçut que la nuit était tombée, il reposa l'ordinateur sur la table basse. Marco sourit pour se donner du courage. Maintenant, il savait comment faire.
Il sentait l'air s'immiscer difficilement dans ses poumons. Le jeune homme tenta de se convaincre que tout irait bien. Il pouvait le faire. Il allait le faire.
Pas moyen. C'était comme avant un oral d'anglais. Son trac le rongeait. Il repensa à ces fameux oraux. Au collège, Elena lui avait un jour conseillé de répéter, répéter, répéter son texte. Une fois devant la classe, il aurait beau penser à sa peur de se tromper, aux yeux inquisiteurs du prof, aux rires de ses camarades. Il aurait beau penser, sa bouche saurait ce qu'il devait dire et n'aurait pas besoin de son cerveau pour la diriger.
Marco sentit son sourire s'élargir. Son amie avait décidément de bons conseils à lui prodiguer encore aujourd'hui. Il alla chercher un chaise, plaça son blouson dessus et glissa quelques dragibus dans la poche gauche.
Répéter, répéter, répéter. S'approcher, détourner l'attention, contact, rester concentré sur sa cible, se saisir des bonbons et les ramener vers lui, s'en aller.
Le jeune homme avalait les billes multicolores (il fallait bien un minimum de motivation) puis en plaçait de nouvelles dans sa veste. Ensuite, il recommençait les mêmes gestes. Répéter, répéter, répéter.
Vers trois heures du matin, il s'effondra dans le canapé, épuisé et le ventre explosé. Il avait vidé trois sacs de dragibus avec cette histoire. Marco ferma les yeux un instant, il craignait d'être malade le lendemain.
"Pour l'instant, je ne risque pas de voir demain si je ne vais pas bientôt me coucher, se dit-il."
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