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Elena referma le carnet sombre en sentant son portable vibrer. Un petit symbole s'affichait en haut de son écran: une chouette stylisée l'avertissait d'un message sur la messagerie cryptée. Elle déverrouilla son téléphone pour accéder au site du journal.
Le sourire qui planait sur son visage depuis qu'elle relisait son écriture fine s'effaça en découvrant un message du chef de l'underground de la ville.
"Globe:
Ils ont su que vous étiez de Brest. Un unité d'enquête sur le journal est nommée dans la ville. J'espère seulement qu'ils n'ont que votre localisation. Je te tiens au courant si j'ai d'autres infos. Bonne nuit."
La jeune femme s'y attendait, à ce qu'un jour, la pression de la police augmente autour de la Chouette. Malgré tout, elle sentit une panique, de la colère, un refus, de la peur et des questions lui labourer le ventre. Elle pianota un rapide remerciement au chef de l'underground brestois qui lui avait envoyé l'information puis s'allongea. Elena sentait qu'il lui allait être difficile de dormir cette nuit. Alors pour l'instant, elle se contentait de digérer la nouvelle comme elle pouvait.
Le temps passé à contempler le plafond réglait même les plus gros soucis. C'est ce que Devon lui aurait glissé. Mais son ami devait être en train de réfléchir à l'hébergement du journal. Peut-être qu'il avait fait une erreur, laissé une trace quelque part, quelque chose qui avait mis la police sur leur piste. Et puis non, elle se dit que l'indice ne pouvait provenir de lui, depuis deux ans que le journal existait, il avait toujours été irréprochable et c'était même le véritable ange gardien du groupe qui garantissait leur anonymat à tous.
Non, il fallait chercher ailleurs pour la jeune fille. Une dénonciation? Là aussi, elle n'y croyait que très peu, ils étaient six à participer à l'élaboration du journal. Une poignée d'amis soudés. Et en dehors de ce noyau, il n'y avait personne sauf Globe pour connaître leurs identités civiles.
Demain, ils avaient rendez vous chez Iode pour leur habituelle réunion de rédaction de la semaine. Elle chercherait des indices sur ce qui avait pu se passer là bas. Et pour l'instant, les autres ne seraient pas mis au courant, c'était courir le risque de voir la panique ou la paranoïa se répandre au groupe. Elena préférait se réserver ces étranges sentiments pour le moment.
Bon, pas question de dormir, elle l'avait bien compris. Alors, elle allait se pencher sur ses exercices de maths. Les nombres, la rigueur de leur agencement étaient universels. Loin des considérations politiques, ils canalisaient ses pensées effrayées et ses questions surexcitées.
Vers 4h, elle estima que physiologiquement parlant, elle n'était plus capable de tenir éveillée. Sa tête ne devrait plus trop la chercher quand la jeune femme lui demanderait si elle l'autorisait à dormir. Juste avant de se coucher, elle ressortit le carnet qu'elle avait tenu pendant son enfance et souhaita se replonger dans l'innocence qu'elle avait alors. Elle lut la page du mercredi 8 mars puis partit avec Morphée, lumière allumée, carnet ouvert sur sa poitrine.
Mercredi 8 mars 2015
Y a bien un nouveau qui est arrivé aujourd'hui. Il s'appelle Marco et avant il habitait en Italie. Du coup, il parle pas très bien français mais quand il essaye, son accent est très drôle. En maths, la prof m'a dit de lui montrer ce qu'on avait fait depuis la rentrée alors on a pu discuter un peu. Il est plutôt sympa, ça serait bien si demain il pouvait m'apprendre quelques insultes en italien. Je précise que c'est pour mon frère. Cet énergumène a encore cassé la maquette du système solaire que j'avais fabriquée.
L'inspecteur Ledanois et son assistant Marco rejoignirent donc la salle de conférence du premier étage. Au moment de démarrer l'appel vidéo avec leurs collègues parisiens, ils échangèrent un sourire déterminé.
-On n'a pas grand chose à vous transmettre, malheureusement. Ça fait un an et demi qu'on a le dossier et vingt personnes dessus et c'est le premier indice significatif qu'on trouve. En fait, avant ça, on n'avait qu'une étude linguistique des articles à retourner dans tous les sens.
-Vous pouvez nous parler un peu plus de cet indice, donc, demanda Ledanois.
-Bien sûr, nous avons appris, grâce à une enquête de collègues qui n'a rien à voir avec le journal, qu'une connexion au site de la Chouette avait été effectuée. Ils fouillaient les historiques des ordinateurs de la bibliothèque universitaire de Brest pour chercher des éléments dans une affaire de pédopornographie. Ils ont vu que quelqu'un avait consulté la page de la Chouette et plusieurs sites de médias dissidents qui existaient encore à l'époque. Bref, ce qui nous a frappé, c'est que juste après la consultation de ces pages qui parlaient des émeutes de mars 2021, un article était publié sur la Chouette. Il y a donc de grandes chances pour qu'il ait été écrit et publié sur cet ordinateur. Ce qui nous a beaucoup intéressé également, c'est cette date de publication, 8 mars 2021: Il y a deux ans, juste au début du journal. Bref, vous êtes mieux placés que moi géographiquement. En plus, je prends ma retraite à la fin du mois alors je suis content de pouvoir déléguer ça à des personnes de confiance. Vous avez d'autres questions?
-Juste une, dit Marco, vous avez parlé d'une enquête linguistique. J'imagine qu'elle est bien détaillée puisque vous y avez passé un an et demi. Que révèle-t-elle?
-Eh bien, pas grand chose en plus, plusieurs styles différents qui nous ont donné le nombre de rédacteurs. Pas vraiment plus, ils seraient plutôt jeunes vu le vocabulaire utilisé. Mais pas de patois, langues régionales ou expressions locales n'ont pu être décelées. Sauf peut être Pezzo di merda à l'encontre du ministre de l'éducation. C'est une insulte en italien si vous voulez tout savoir.
-Oui, oui, littéralement Morceaux de merde, je connais, sourit le jeune policier.
Ledanois raccrocha et referma l'ordinateur. Il jeta un regard mi-amusé, mi-accusateur à son assistant:
-Brest, insultes en italien, il va falloir que je te surveille de près mon p'tit Marco.
Devant le regard surpris et outré de celui-ci, il reprit une voix plus sérieuse.
-Non, en vrai, le type avec qui on vient de parler était un incapable, l'enquête a pris un an et demi de retard, il est grand temps qu'on reprenne ça en main. Je vais appeler la fac pour savoir s'ils ont conservé l'historique des connexions sur les ordinateurs. J'imagine qu'ils ne rappelleront que demain vu l'heure mais bon, on doit rattraper le temps que nous a fait perdre cet imbécile.
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