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En ce dimanche matin, Elena découvrit donc André Vasseur. Il n'avait pas traîné pour l'emmener en salle d'interrogatoire. Dès 9h. Elle détestait toujours autant les réveils matinaux.

Un peu surprise de ne pas se voir réveillée par Ledanois, elle l'avait interrogée. Le nouvel inspecteur s'était contenté d'un regard méprisant et d'un "il n'a pas réussi à obtenir de résultats".

Si Ledanois faisait un peu intello avec ses tempes grises et ses lunettes fines, lui avait un petit air de rockeur des années 70. Il avait une veste en jean qu'il avait plié soigneusement sur le dossier de sa chaise. Des boucles brunes encadraient son visage et rappelaient à la jeune femme une photo dans le bar de ses parents. Près du comptoir, un cliché de Dominique Rocheteau veillait sur son père. Le nouvel inspecteur devait approcher la quarantaine. Il possédait deux petits yeux sombres où semblait s'être installée une colère douce.

-Bien, Elena, commençons, dit-il d'une voix rocailleuse.

Elena n'avait vraiment pas de mal à l'imaginer en musicien raté qui travaillait dans la police et avait un groupe de rock à côté.

-Je vais t'exposer les règles clairement, reprit André en passant derrière elle pour coincer ses mains derrière le dossier de sa chaise, je te pose des questions et tu y réponds ou je frappe. C'est comme ça. Allons-y, as-tu fondé la Chouette?

-Oui.

-Parfait, quand ça?

-Il y a deux ans.

La jeune femme se dit que pour l'instant, ce que l'inspecteur voulait savoir, il le savait déjà. Elle pouvait donc répondre à tout ça sans problème.

-Pourquoi l'avoir fait?

-Pour lutter contre la désinformation et la censure du gouvernement.

-C'est une initiative personnelle?

-Oui.

-Vraiment?

-Oui.

-Pourtant tu as ensuite été aidée pour l'écriture des article non?

-C'est vrai.

-Par qui?

On en revenait toujours au même point. Elena laissa un soupir lui échapper avant de refermer les lèvres. Vasseur était toujours debout devant elle. Il avait laissé sa chaise avec son blouson de l'autre côté de la table. Il continuait de l'interroger du regard. L'inspecteur inclina légèrement la tête à droite et jeta un coup d'œil à sa montre.

-Par qui?

Une nouvelle fois, le silence lui répondit. Il dût donc asséner un premier coup à Elena. Elle étouffa un cri et tenta de garder ses yeux plantés dans les siens. L'impact avait eu lieu dans la pommette, en haut de sa joue. Par réflexe, Elena remonta la tête pour le défier et lui montrer sa détermination.

-Par qui?

-...

Nouveau coup au niveau de l'arcade sourcilière.

-Par qui?

-...

Et une nouvelle fois, il frappa. Un peu plus bas, dans la mâchoire. Elle abandonna son air fier pour mieux se protéger des coups suivants mais ils ne vinrent pas.

-C'est quatre fois la même question, après on passe à autre chose, tu comprends?

-Pourquoi quatre?

-Il y a quatre temps dans une mesure. Ca me permet de rythmer les interrogatoires. C'est joli, tu trouves pas?

Elena sourit légèrement. Elle avait vu juste, il aimait la musique. Par contre, le fait qu'il puisse s'amuser à composer en torturant des suspects fit remonter un frisson le long de son dos. Un vif sentiment de haine la prit aux tripes. Il semblait s'écouter parler et affichait une suffisance qu'elle ne supportait pas.

-Pourquoi n'y a-t-il plus de publications sur la Chouette?

La jeune femme hésita quelques secondes puis la devise du journal lui revint en mémoire: "Le savoir c'est le pouvoir". Il valait donc mieux laisser la police dans le flou. Elle prit une inspiration et se prépara à encaisser. André Vasseur visa son ventre d'un lourd crochet.

Il n'y avait plus de jeux, seulement une force brute et physique qui s'opposait à elle, lui posant des questions simples auxquelles elle répondait dans sa tête. Il ne fallait surtout pas que ses mots dépassent les barrières de son esprit. Ça aurait pourtant pu calmer les coups qui pleuvaient, lui rappelant les pires hivers brestois.

Le nouvel inspecteur mit un terme à l'interrogatoire lorsqu'il constata qu'Elena n'était plus assez lucide pour lui répondre. Il la ramena dans sa cellule, parfois en s'assurant qu'elle ne s'effondre pas dans les couloirs.

Elle aligna deux pensées claires pour jeter un œil à son horloge solaire et faire un rapide calcul, 12h, avant de sombrer dans un drôle de sommeil.



Jeudi 16 juillet 2018

Cet après midi, on a été faire un tour en vélo avec Alexis et Gamper. Je sais pas pourquoi il insiste toujours pour que mon frère soit là quand on va faire du vélo. Il veut peut être un peu plus de challenge quand on fait la course dans la grand'rue. En tout cas, aujourd'hui, c'est moi qui suis arrivée en première en haut donc je choisissais le chemin qu'on prenait. J'ai fait en sorte qu'on passe par devant chez Marco. Je suis passée très lentement mais je l'ai pas vu. Je sais pas si il rentre chez lui pour les vacances d'été. Je me pose souvent la question mais je me dis que s'il avait été là, je l'aurai déjà revu à la plage ou au bourg. Aucune idée, il me manque plus maintenant que c'est l'été et que je dois m'occuper au village.



Le dimanche après midi, Marco s'était décidé à rendre visite à Ledanois. Il habitait dans une petite maison avec sa femme et sa fille, plutôt éloignée du centre ville.

Le jeune policier avait besoin de lui parler de ce qu'il s'était passé la veille. Il fallait qu'il comprenne. Pour lui, l'inspecteur était un dieu vivant.

Ils s'installèrent au salon pour prendre un café tout en discutant.

-Tu ne dois pas t'en faire, p'tit. J'ai eu le temps de réfléchir depuis hier. Peut être que c'est mieux comme ça, l'enquête progressera plus vite. Je n'arrivais pas à faire parler Elena et le temps presse. T'as vu, il y a encore eu des attaques de l'underground cette nuit.

-Mais... vous aviez réussi à l'arrêter, vous êtes parfaitement qualifié.

-C'était un coup de chance, on avait reçu des infos puis il y a eu cette lettre qui a précipité nos certitudes. On ne doit pas chercher à s'attirer le mérite de cette arrestation.

-Vous allez retourner aux stups du coup?

-Oui, je pense. Et toi, tu vas aider Vasseur pour l'enquête sur la Chouette et l'underground, sourit Ledanois.

-Quoi mais non, je reste avec vous. On fera comme avant.

-Je t'ai vu venir, p'tit, et je t'interdis de me suivre, d'accord? Ça sera bien plus intéressant pour toi de rester à l'anti-terrorisme. C'est clair?

-D'accord.

-C'était en tout cas très peu sympa à toi de croire que je n'allais pas m'en sortir sans ton aide.

Marco resta interdit et l'inspecteur dût se mettre à rire pour qu'il comprenne que c'était de l'humour, une nouvelle fois. Ils discutèrent ensuite des évolutions de carrière dans la police. Pour lui, il était trop tard mais pour son jeune collègue, il y avait beaucoup à gagner dans cette enquête à laquelle son nom resterait associé. Ledanois eut ensuite un sourire triste.

-Tu sais, ma sœur est morte parce qu'elle a été la victime gratuite d'une bande de gens qui avaient trop bu. Je me bats pour la justice depuis ce jour là. Tu sais bien que l'ordre est la seule chose qui nous préserve. Bourrés, apeurés, drogués, énervés, les hommes sont capables de choses horribles. Pour ce dossier, je n'était pas celui qui pouvait le mieux réussir à maintenir cet ordre. J'espère que Vasseur réussira et tu vas l'aider.

-Comment?

-En faisant ce qu'il te demande de faire, quoi que ce soit, tu le feras parfaitement, crois-moi. Et, je pensais à ça en entendant qu'il y avait eu des nouveaux attentats. Peut-être que tu pourrais lui recommander un procès. Ça pourrait effrayer l'underground et peut être les calmer un moment.

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