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Iode commençait à s'inquiéter. On était vendredi et elle n'avait pas de nouvelles de Devon qui devait terminer les travaux sur le site de a Chouette pour le lendemain. Cette semaine, son moral n'avait pas été des meilleurs. Entre Elena qui s'était sûrement faite arrêter, Gamper qui ne donnait pas de nouvelles depuis qu'il avait rejoint l'underground et l'impossibilité de publier des nouvelles dans le journal, l'étudiante se sentait seule et inutile.

Il était 18h, Devon devait être chez lui alors Iode décida de passer voir où son ami en était. Avec un peu de chance, il aurait une bonne nouvelle à lui annoncer. Elle traversa le pont à pied, y flâna un peu pour regarder l'océan au loin puis monta dans les ruelles étroites de Recouvrance. Arrivée au pied de l'immeuble où il habitait, elle soupira. Monter les escaliers maintenant. Encore monter.

La jeune femme frappa à la porte de son appartement. Aucune réponse ne lui parvint.

-Devon? C'est moi, t'es là?

Une peur terrible la saisit au creux du ventre. Et si? Et si l'apprenti informaticien lui aussi s'était fait prendre? Elle tambourina plus violemment.

-Devon? Ouvre.

Iode pressa la poignée et celle-ci s'inclina sans résistance. Elle pénétra dans l'appartement, terrifiée à l'idée de devoir constater l'absence de Devon. Les rideaux étaient tirés et un désordre étrange régnait. La pièce centrale était d'habitude si lumineuse et rangée alors elle sentit un frisson la parcourir.

A l'opposé, la porte menant à la chambre de son ami s'ouvrit. Il était là. La visiteuse se précipita pour le serrer dans ses bras. Elle ne relâcha son étreinte que quand sa peur se fut totalement dissipée. 

Alors, s'éloignant légèrement de lui, Iode découvrit ses yeux rougis et rivés vers le sol, ses cheveux négligés, ses vêtements sales, sa lèvre inférieure qui tremblait. Elle l'entraîna vers le salon et lui demanda ce qu'il se passait. Il s'était affalé dans le canapé et gardait un silence déroutant.

-C'est à cause d'Elena? demanda son amie.

Devon hocha la tête tandis qu'une larme roulait à nouveau sur sa joue.

-Faut pas que tu te mettes dans cet état, boy, elle va s'en sortir. Tu la connais aussi bien que moi. D'ailleurs, j'aimerais bien voir la réaction du policier qui va se heurter à sa bonne vieille tête de mule.

Iode souriait tristement. Elle ne devait pas se laisser aller au désespoir pour le jeune homme qui, face à elle, gardait le regard fuyant et ne semblait pas réagir à ses paroles.

-Il faut qu'on soit forts, pour elle. On va continuer à publier dans la Chouette. On fera vivre le journal et de son côté, elle parviendra à s'échapper, c'est certain.

-Sors, sanglota Devon.

-Mais... qu'est-ce qu'il se passe? Dis moi, surtout garde pas tout ça pour toi. Tu te laisses aller là et c'est vraiment pas ce que tu devrais faire. Aller viens, on remet le journal en route et on se bat pour qu'Elena s'en sorte.

Le jeune homme s'était levé. Il braqua enfin ses yeux dans ceux d'Iode. Elle y vit la mer un soir de tempête.

-Dégage, je t'ai dit, cria-t-il.

Son amie sentit les larmes lui monter. Elle ne comprenait pas, voulait l'aider. Il la repoussait. Ensemble, ils auraient été mieux pour traverser cette drôle de période. Ensemble, ils l'avaient toujours été lorsqu'il avait fallu passer par des moments difficiles.

Elle rejoignit donc la porte en traînant des pieds. Elle cherchait ce qui aurait pu le réconforter mais ne voyait rien. Il fallait donc partir.



Mercredi 30 novembre 2017

Tout va mieux avec Devon et Iode, ça fait du bien d'avoir pu trouver deux amis aussi sympas. Ce midi, je leur ai proposé un surnom pour nous trois: les équilatériens. Il me semble qu'ils ont passé tout le reste de la pause à se foutre de mon idée mais c'était génial. Bon, je vais garder ce petit nom pour des usages personnels alors. Moi je trouvais ça pas mal, ça fait référence au triangle vu qu'on est trois et ça montre qu'on est tous proches les uns des autres.

Bon, en fait je suis pas sûre qu'on soit tous à la même distance. Iode m'a dit qu'elle ne savait pas si il avait réussi à oublier l'amour qu'il avait pour moi en début d'année. Simplement, il n'en parlait plus et espérait qu'il disparaisse de lui-même. Je pense que c'est ce qu'il faut qu'il fasse et que ça viendra avec le temps. Enfin je dis ça mais moi je pense toujours à Marco. Surtout quand je m'ennuie. Les trajets en car, le matin, le soir sont terribles vu que ça me fait deux heures par jour pour y penser.



Marco était arrivé au siège de la police à 9h ce matin. Ledanois lui avait jeté un sourire satisfait, il avait renoncé à sa fantaisie de la veille.

Le jeune policier avait maintenant deux principaux suspects à avoir pu écrire la lettre de dénonciation: Ivern et Devon. Il avait décidé d'aller leur rendre visite dans la soirée. On était vendredi alors il avait peu de chances de trouver ces deux étudiants chez eux dans la matinée ou l'après midi. Agir le démangeait, d'autant plus qu'il y avait eu trois nouvelles explosions dans la nuit. Elles étaient dirigées contre le siège local d'un journal, un poste de police à Recouvrance et la sous préfecture. Marco proposa donc ses services à l'inspecteur qui, comme à son habitude, avait du retard sur le rapport qu'il devait rédiger pour ses supérieurs.

-J'imagine qu'il faudra pas trop traîner dans les prochains jours pour transmettre l'avancée de l'enquête vu le message d'hier, sourit tristement Ledanois.

18h arriva enfin et Marco se mit en route pour Recouvrance. Il avait décidé de commencer par Devon puisque ça arrivait avant Ivern dans l'ordre alphabétique et aussi parce qu'il semblait plus proche d'Elena selon le fichier de Nolwenn.

Le jeune policier soupira en constatant qu'il n'y avait pas d'ascenseur. Il soupira à nouveau dans les escaliers en se rendant compte qu'il n'avait pas le numéro d'appartement de son suspect et que tout le monde n'avait pas inscrit son nom sur sa porte. Alors qu'il passait en revue les entrées du premier étage, il entendit du bruit au dessus de sa tête. Il se précipita dans les escaliers et atteignit le couloir du quatrième en un instant. Marco pût tomber sur une jeune femme.

-Bonjour, commença-t-il avant de reprendre son souffle, excusez-moi, vous habitez dans l'immeuble? Je cherche un Devon Charrondière, vous savez où je peux le trouver?

Après être restée une seconde interdite, son interlocutrice lui adressa un grand sourire:

-Ah, je vois qu'on est venus pour la même personne, rit-elle. Malheureusement il n'est pas là. Son appart, c'est le 402. Si vous voulez, je peux lui passer un message ou vous passer son numéro de téléphone.

-D'accord, merci beaucoup, je pense que je repasserai du coup. Je peux vous demander pourquoi vous veniez, l'interrogea Marco en faisant demi tour.

-Bah vous êtes de la police ou quoi? Non rassurez-vous, je vais vous le dire, c'est un gars de la fac et je passais lui passer les cours vu qu'il était pas là aujourd'hui. Comme il est diabétique, ça lui arrive de temps en temps de pas pouvoir être là donc je lui passe mes notes. Et vous du coup, vous lui vouliez quoi?

-C'est gentil à vous. Moi euh... ben je suis effectivement de la police.

Ils étaient arrivés au pied de l'immeuble et Iode se força à éclater de rire.

-Vous êtes un rigolo vous. Bon, je pars par là.

-Ah moi aussi, dit innocemment Marco, et je vous promets que c'est vrai sur la tête de ma mère.

Son interlocutrice aurait aimé lui hurler que sa mère était morte il y a des années, qu'elle savait qui il était, qu'il avait trahi Elena et que ça ne semblait pas lui poser de problèmes, qu'elle était elle-même membre de la Chouette. Mais elle se retenait et tissait un mensonge. Iode pouvait glaner quelques informations. Si Devon était inquiété, peut être qu'ils étaient tous en danger. Il fallait qu'elle sache.

-Je ne vous crois toujours pas, vous êtes trop jeune pour être policier, non?

-J'ai oublié ma plaque au commissariat mais sinon je vous l'aurai montrée. Mais si vous voulez tout savoir, j'enquête sur qui aurait pu écrire une lettre de dénonciation contre une personne importante de la révolte brestoise.

-Waouh, répondit Iode avant de se mordre la lèvre, comprenant ce qu'il s'était passé, bon je prends le tram. Contente d'avoir pu vous aider.

-Moi j'ai encore une visite à rendre, merci pour votre aide en tout cas, salut.

La jeune fille était restée longtemps assise dans l'arrêt de tram. Plusieurs passèrent passèrent et elle les suivait de son regard vide.

Elle venait de comprendre ce qu'il s'était passé. Devon était capable de tout lorsqu'il était énervé. Le soir où elle était passée chez lui et l'avait prévenu de l'enquête contre la Chouette, il n'avait pas été perturbé par l'enquête en elle-même mais par une drôle de jalousie très ancienne. Le lendemain, après leur réunion pour savoir s'il fallait se mettre en sécurité auprès de l'underground, elle l'avait entendu dire à Elena qu'il était désolé.

Putin, c'était lui qui avait écrit la lettre qui avait précipitée l'arrestation d'Elena. C'était elle qui avait mis le feu au poudre en lui parlant de Marco.

Iode devait se reprendre. Elle envoya un pavé à Ivern et Gamper pour leur expliquer ce qu'elle venait de réaliser. Rapidement, celui qui avait rejoint l'underground leur répondit. Il les invitait à venir au bunker eux aussi. De là-bas, ils pourraient se poser pour réfléchir à ce qui s'était passé, être en sécurité, recommencer à faire vivre la Chouette et lutter pour tenter de libérer Elena.

Les deux révoltés savaient que la solution que leur proposait leur ami était la bonne. Ivern rejoignit donc Iode à l'arrêt de tram.

-Dans les escaliers, y a un mec qui m'a demandé si je connaissais un Ivern Berthélémé, annonça le nouveau venu à sa collègue de journal, je lui ai répondu que non mais je crois que Gamper a raison, on sera mieux là bas.

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