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Elena s'était ennuyée. Pour une fois, elle s'était réveillée tôt, la jeune femme avait noté mentalement qu'elle avait intérêt à utiliser la nuit pour dormir à la place de la matinée, ce dont elle n'avait plus l'habitude. Une maigre fenêtre laissait passer les rayons du Soleil. Elle était plutôt sensible à la luminosité quand il s'agissait de sommeil.

La cheffe de la Chouette ne s'était rendue compte de ce réveil matinal que lorsque la porte s'était entrouverte et que quelqu'un avait déposé un sandwich et de l'eau dans l'entrebâillement.

"Il doit donc être midi"

Son ventre la tiraillait depuis la veille. Son dernier repas remontait à celui qu'ils avaient partagé chez Iode. Avant de se jeter sur la nourriture, elle prit soin de dénouer ses lacets pour les étaler le long de la frontière entre ombre et lumière. Ainsi, elle marquait sur le sol de la cellule là où projetait le Soleil vers midi.

Elena se mit ensuite à dévorer ce qu'on lui avait déposé en réfléchissant à comment calculer l'heure grâce aux informations qu'elle venait de récolter.

-J'ai un premier repère, on va dire qu'il correspond à midi, commença-t-elle à voix haute, il me faudrait la trace du Soleil à un moment dont je connais l'heure. Ensuite, je mesure la distance entre les deux avec euh... mon pouce, ils sont pas cons ces anglais quand même, et je saurai à peu près combien de temps correspond à combien de pouces donc. Ça me parait pas mal tout ça.

Elle soupira lentement, le temps allait être long et l'ennui, elle détestait.

La prochaine fois qu'elle aurait un sandwich, la jeune femme le mangerait moins vite.

Elena fit quelques pas, s'assit dos au mur, s'allongea, se redressa, revint s'asseoir mais au milieu de la cellule cette fois-ci.

Sinon, elle pouvait compter jusqu'à 3600, se dit-elle, puisqu'il y avait ce nombre de secondes dans une heure, et elle pourrait lire la distance que parcourait le rail de lumière pendant ce temps là.

A 746, une clé remua dans la serrure et la porte s'ouvrit, cette fois bien grand.

L'inspecteur posa un regard décidé sur celle qu'il était parvenue à arrêter.

-Bonjour Elena, tu me suis?

-Bonjour... Ledanois? Je vous suis.

-C'est ça, sourit-il en lui montrant le chemin.

Ils n'allèrent pas au troisième étage comme la veille mais au deuxième, dans une salle d'interrogatoire comme elle avait pu en voir dans les films. Elle rayonnait, heureuse de sortir de la solitude, amusée d'avoir eu du mal à marcher puisqu'elle n'avait plus de lacets. Son envie actuelle était donc de discuter tranquillement avec l'inspecteur, sans rien lâcher sur la Chouette évidemment, et de profiter de ce temps hors de sa cellule.

Sa bonne humeur alla faire un tour lorsque Marco entra dans la pièce. Il alla s'asseoir en face d'elle, aux côtés de Ledanois.



Vendredi 20 octobre 2017

J'en peux plus, Marco me manque beaucoup trop. Depuis une semaine, je suis en train de réfléchir à un truc. J'ai cherché la liste des lycées de St Brieuc qui avaient un internat. Il y en a trois. C'est les vacances alors je crois que je vais avoir le temps d'aller faire un tour dans les Côtes d'armor. Gamper m'a déjà dit qu'il venait. Iode me trouvait bizarre depuis quelques jours et elle m'a pas lâchée avec ses questions alors je lui ai raconté ce que je voulais faire. Je crois qu'on va être trois dans cette expédition.



Marco détaillait Elena. Par intermittence. Son regard fuyait, c'était étrange pour lui de ne pas parvenir à contrôler ses yeux. D'habitude, s'il voulait voir quelque chose, il le fixait. Ca lui semblait logique.

Enfin bon, son corps n'avait jamais rien fait de logique devant elle. C'était d'ailleurs en constatant toutes ces inhabitudes physiques qu'il avait compris, qu'il avait décidé de lui demander si elle voulait sortir avec lui. Il espérait que tout redevienne normal s'il pouvait extérioriser son amour. Ça avait empiré.

-Bien, commença l'inspecteur en voyant qu'aucun des deux jeunes gens ne comptait saluer l'autre, commençons. Une idée de qui aurait pu écrire la lettre qui t'a dénoncée?

-Aucune.

Ledanois fit glisser la feuille de papier sur la table et l'interrogea à nouveau du regard.

Elena put enfin saisir le putain de truc qui avait fait qu'elle se retrouvait ici. La veille, l'inspecteur s'était contenté de le mentionner pour lui expliquer comment ils l'avaient trouvée.

"Elena Quemeneur est la cheffe du journal clandestin la Chouette."

C'était factuel. La police utilisée était la même que celle qu'ils employaient pour écrire les articles sur le site. Elle ne pouvait rien en tirer d'autre.

-Vous voulez que je vous dise quoi? On a lu les mêmes mots.

-Quelqu'un t'en voulait, était jaloux, des disputes récemment?

-Non, tout allait bien.

-Tu te retrouves là alors que celui qui t'a dénoncé profite de sa liberté, ça t'inspire quoi?

La jeune fille planta son regard dans celui de l'inspecteur pour tenter de lui montrer sa sincérité:

-Je veux savoir autant que vous qui a écrit ça. Mais pour l'instant j'en ai aucune idée. Il y avait une enveloppe? Une adresse écrite à la main? Je pourrais peut être reconnaître l'écriture.

Ledanois lui tendit le contenant de la lettre en hochant la tête. Marco se revoyait en train de l'ouvrir. Elena eut un petit sourire. Papier recyclé, des lettres tremblotantes pour former l'adresse. L'expéditeur avait sûrement utilisé sa mauvaise main. Elle élimina de sa liste de délateurs potentiels Ivern qui était parfaitement ambidextre. Son sourire s'élargit quand une image se forma dans son esprit: son ami en train d'essayer de diriger un crayon coincé entre ses orteils vers le papier. Ça aurait été la seule solution s'il avait voulu transformer son écriture.

Marco l'écoutait. Et en voyant son expression plutôt joyeuse, il s'entendit dire:

-C'est moi qui ai ouvert l'enveloppe... Il n'y avait rien d'autre à l'intérieur que ce bout de papier.

Pour la première fois depuis la veille, Elena se sentit craquer sans qu'elle ne puisse rien y faire. Ses yeux étaient déjà remplis de larmes quand elle les releva vers le jeune policier. Il était en train de sortir de la salle.

Ledanois attendit quelques minutes puis rangea l'enveloppe et la lettre à l'intérieur d'un dossier gris. Il se leva à son tour, signifiant à la jeune femme que c'en était terminé pour aujourd'hui. Devant la cellule, une pensée lucide traversa son esprit nuageux:

-Il est quelle heure?

-19h18.

-Merci.

Marco était parti, était rentré chez lui.

Il ne comprenait pas pourquoi il avait dit ça, pourquoi il l'avait sciemment rendue triste et surtout, il était effrayé de s'être lui-même senti désemparé devant ses larmes. Il avait eu envie de... la prendre dans ses bras.

Le lendemain matin, lorsque Ledanois arriva dans la pièce de travail, dix minutes après ses deux collègues habituels, il vint s'asseoir près de lui. Le vieux policier savait bien qu'il aurait dû engueuler Marco, on ne doit jamais montrer de signe de faiblesse lors d'un interrogatoire, c'est donner un ascendant à son suspect.

Mais la détresse qu'il avait entrevue la veille chez le "p'tit" décourageait ses reproches. Détresse qui lui disait aussi bien d'autres choses qu'il n'aurait pas aimé entendre. Le coeur de son protégé avait été chahuté. Son téléphone sonna à ce moment et il eut un discret soupir de soulagement en découvrant cette excuse pour penser à autre chose.

C'était Jules. Il mit sur haut parleur puisque ça concernait la planque qui avait été décidée la veille.

-Inspecteur? Gamper n'est pas rentré chez lui hier soir.

-Étrange ça, merci Jules de m'avoir prévenu, tu continues de surveiller et vous vous relayez avec Pauline, d'accord?

-Ouais, ok.

-Il aurait eu peur en voyant qu'Elena s'était faite arrêter? demanda Marco.

-Ou bien il est en couple et il dormait pas chez lui hier soir, intervint Nolwenn.

-Oh non, dit Ledanois, croyez moi, quelqu'un l'a prévenu, tout comme quelqu'un avait prévenu le journal qu'on enquêtait sur eux, c'est pour ça qu'ils ont arrêté de publier. Marco, tu peux continuer le rapport s'il te plaît?

-Ok, répondit le jeune policier en regardant l'inspecteur sortir de la pièce.

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