Partie 1

« Vas-y Trevor un dernier verre !

-Hors de question. T'es déjà ivre mort et t'as même pas de quoi payer...

-Ma parole ! T'es barman ou prêtre ? Sers-moi du whisky !

-Je t'ai dit non, alors sors de mon bar Bob avant que je te vire à coup de pieds au cul ! »

L'ivrogne se pencha en avant pour m'attraper par le col mais tomba de sa chaise et roula au sol en criant comme un porc qu'on aurait égorgé. Je m'essuyai les mains avec flegme sur un torchon à la propreté douteuse et contourna le comptoir, sourire aux lèvres, pour virer l'individu déplaisant de mon bar. Malheureusement, ce plaisir ne me fut même pas accordé car il se traîna de lui-même à l'extérieur.

J'allai pour fermer la porte derrière lui lorsque je vis se profiler dans la demi-torpeur du soir deux silhouettes. La première, celle d'un homme, m'était bien trop connu. Il s'agissait de Diego, le gangster qui régnait en maître sur le quartier et qui s'occupait de me fournir l'alcool qui coulait à flot dans ma boutique alors que la prohibition vient tout juste d'être levée. La deuxième, celle d'une femme, devait sans doute être sa maîtresse du moment. Enfin, c'est comme cela que lui les appelait, mais le terme le plus approprié pour les désigner était bel et bien prostituées !

Je me disais, alors qu'ils s'approchaient et que je prenais l'air le plus digne possible, que celle-ci avait l'air moins sotte que les précédentes. Quoiqu'ainsi vêtue de rouge, elle ressemblait plus à un bonbon à sucer qu'à une femme... Ce qui était sans doute l'intention de Diego en l'habillant de cette façon.

« Bien le bonsoir Messire Diego. Entrez, entrez, dis-je d'un ton mielleux. Que puis-je pour vous ?

-Bonsoir Trevor, je suis simplement venu boire un verre et vérifier si les affaires marchent, m'annonça-t-il de sa voix traînante. »

Sur ces paroles, il s'avança dans le bar, la femme sur ses talons, et s'assit tout au bout du comptoir avant de claquer de la langue pour autoriser la prostituée à s'installer à ses côtés. Elle se hâta d'obéir et lui adressa un regard reconnaissant. Je ne laissai rien apparaître du dégoût que provoqua en moi cette scène et leur demandai ce qu'ils souhaitaient boire.

« Un verre de vin rouge ! »

La voix fluette eut le même effet que si on avait tiré un coup de feu dans la pièce. Le calme inquiétant sur le visage de Diego avait disparu et laissait désormais place à une rage terrifiante. Il attrapa le poignet de sa compagne et le tordit violemment tout en lui ordonnant de fermer sa bouche bonne qu'à ne sortir des obscénités. Alors qu'elle poussait un cri perçant, les larmes s'étaient amoncelées dans les yeux écarquillées de la jeune femme, qui devait avoir tout au plus vingt-cinq ans, sans pourtant couler.

Il finit par la lâcher et m'ordonna de lui ramener une bière blonde avec beaucoup de mousse. Je me précipitai pour assouvir son désir, trop content de m'éloigner durant quelques secondes du moins de cet homme ne m'inspirant que la peur. Plus d'une fois depuis que la prohibition a été annulée, j'avais pensé à faire appel à un industriel pour me fournir en alcool. L'un d'eux est même déjà venu me démarcher... Mais je savais que c'était hors de question. On ne rompait pas un contrat avec Diego. Pas sans mourir en tout cas.

« Voilà monsieur ! C'est offert par la maison... m'exclamai-je avec un enthousiasme feint. »

Il hocha de la tête et porta le verre à ses lèvres tandis que la femme gardait la tête baissée. Silencieuse, elle se contentait de masser son poignet ankylosé par la douleur autour duquel scintillait un bracelet en argent. Une grimace tordait son visage à la fois poupin et vulgaire. Voilà à quoi amène la misère... Que quelqu'un ose me dire qu'elle n'est pas la cause de la criminalité, de la décadence et de l'ivrognerie !

J'en étais là dans mes pensées lorsqu'un son de clochette annonça l'entrée d'un nouveau client. Je blêmis quand mon regard croisa celui de l'homme au chapeau gondolé par l'âge et le mauvais temps. Je le connaissais. Et il n'avait rien à faire ici. Encore moins aujourd'hui, alors que Diego était là en personne. Dans ma tête une seule phrase tournait en boucle. 

Qu'est-ce que cet idiot d'industriel fait là ? 

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