9 - Épiée

Chapitre 9

ANDRA

Épiée

Mardi 13 octobre... En me levant, j'enlève mon débardeur et ma culotte. C'est entièrement nue que je me dirige vers le dressing afin de prendre mes vêtements pour la journée. J'ai pris ma douche hier et mes cheveux sont encore un peu humides, alors je les attache vite fait en une sorte de chignon déconstruit. Je pioche une petite robe noire classique avec un cardigan beige. Une fois vêtue, je prends le temps de mettre mes boucles d'oreilles et ma montre avant de filer au rez-de-chaussée.

Je constate qu'il y a de la boue sur le tapis d'entrée et, en vérifiant la porte, je découvre qu'elle est déverrouillée...

Sale con ! Jonathan a attendu que je dorme pour venir ici chercher un truc sans risquer de m'affronter. C'est un lâche. Il est venu prendre quoi d'ailleurs ?

Je fais le tour des pièces, pour vérifier s'il manque quelque chose. C'est étrange car dans ce divorce, il ne veut rien, pas même la maison.

Tout semble en parfait état, rien n'a été déplacé. Je ne peux pas me permettre d'être à nouveau en retard, alors je m'active. Je prends vite fait un croissant dans la cuisine que je mange pendant que je prépare du café que je vais emporter dans un Thermos.

Voyant l'heure défiler, je vais à l'entrée pour me chausser et enfiler mon manteau, sans oublier d'apporter mon porte-documents. Une fois dehors, avec mon breuvage chaud en main, je referme la porte à clé.

C'est en marchant dans l'allée de garage, sous le crachin, que je vois l'étendue du brouillard s'élève du sol allant sur l'herbe, la chaussée et jusqu'à la forêt. En levant les yeux, je repère une voiture garée de l'autre côté de la rue. Un Lincoln gris avec le moteur en marche, puisque de la fumée sort de l'échappement. Un individu semble m'observer derrière son pare-brise.

Intriguée, j'avance dans sa direction. Un homme en costard s'extirpe du Lincoln.

Je le connais. C'est l'inspecteur Mackay.

Je ne sais pas du tout pourquoi les flics cherchent mon mari, mais j'ai l'impression qu'il a fait une grosse connerie et je ne veux rien avoir affaire avec ça. Je commence à me demander si son départ n'a pas un lien avec un truc illégal. L'idée qu'il ait commis un crime et qu'il se cache m'effleure l'esprit. Et finalement, peut-être qu'il demande le divorce pour ne pas m'impliquer dans quelque chose... Par exemple, le fait de ne me fournir aucune explication m'innocenterait. Après, c'est possible que je délire, mon mari n'est pas un criminel et tout comme eux, je cherche des réponses. Cependant, là, je n'ai pas le temps de prendre le thé avec lui et de répondre à une série de questions auxquelles j'ai déjà répondu, alors je rebrousse chemin vers mon véhicule. Surtout que ce sera pire si je lui transmet que Jonathan est passé durant la nuit, on ne va plus me lâcher et je vais devoir passer la journée au poste alors que je ne sais rien du tout.

— Madame Evans, j'ai quelques questions.

Je me glisse derrière le volant de mon 4x4, balance mon sac à l'arrière, pose mon café et ferme la portière juste à temps. L'inspecteur insiste en cognant sur ma fenêtre.

— J'ai déjà répondu, je ne sais absolument pas où est Jonathan ! clamé-je derrière la vitre tout en démarrant le véhicule.

Main sur le levier, je recule mon 4x4 sous le regard austère de l'officier Mackay et disparais de son champ de vision.

+ + +

Arrivée à l'université Woodward, je me dépêche pour être à l'heure. À 7 h 15 exactement, je dépose mon café sur mon bureau et sur celui-ci, je découvre un bouquet extravagant de lys blancs...

Les étudiants entrent un à un dans la classe et s'installent tout en étant intrigués par les fleurs que j'ai reçues et la taille du bouquet. J'arrache rapidement la carte dessus avant que quelqu'un la voie. Sur cette dernière, il n'y a que des initiales en or « R.E » pour bien sûr... Roman Eaton.

Pourquoi il fait ça ? Et devant toute la classe ? J'essaie de ne pas y porter d'importance. J'observe plutôt le visage de chacune des personnes qui franchit la porte, et ne vois Roman nulle part. Je ne devrais pas penser à lui, ni même m'y intéresser. Même si une part de moi se demande pourquoi il est absent. La dernière fois que je l'ai vu, c'était dans les toilettes et ce moment m'a troublée. Roman dégage quelque chose qui me perturbe au point d'avoir du mal à avoir une pensée rationnelle. Il fait naître des tentations que je n'ai jamais ressenties avant lui. C'est comme s'il accaparait toute mon attention maintenant. Et il s'en assure avec ces fleurs.

Avec mon ex-mari, c'était très conventionnel. On ressemblait à un couple d'une soixantaine d'années avec une routine platonique. On faisait l'amour quand il y avait une occasion spéciale, comme notre anniversaire de mariage, les vacances... La position était le classique missionnaire et ça prenait fin quand il avait joui après cinq ou six minutes. Je ne me suis jamais plainte, je n'ai connu que ça et... que lui. Donc sentir les tensions de Roman et son aura très différente de celle de Jonathan me chamboule, mais c'est loin de me déplaire.

Je conçois que je suis en plein divorce, que je suis paumée émotionnellement, que je n'ai pas de plaisir intime, qu'on ne m'a pas désirée, ni éveillé mes sens depuis un bail, mais je dois me détourner de Roman. Il est trop jeune. Franchement, c'est bien plus attirant un homme mature, posé, bien apprêté, qu'un jeune assoiffé de sexe qui vit spontanément sans se soucier de rien. Et puis, je ne voudrais pas perdre mon boulot pour un flirt sans lendemain. Si je perds mon emploi, je vais avoir du mal à payer les factures et la maison. Les postes ne pleuvent pas dernièrement et encore moins à Waterville. Je crois seulement que la présence d'un homme dans ma vie et dans mon lit me manque, alors je me suis laissé séduire par Roman, mais je dois rectifier cela. Je pourrais m'inscrire sur un site de rencontre et voir ce que ça donne. Après tout, Jonathan m'a quittée, je peux me permettre un peu de plaisir... avant un dérapage avec Roman.

J'entame mon cours et à plusieurs reprises je note que Matt me lance des regards acerbes. Il est accoudé sur son bureau dans une estrade de l'amphithéâtre et reste de marbre, les yeux rivés sur moi. D'où je suis, je peux apercevoir l'arête de son nez qui est un peu boursouflée et rouge. La couleur d'un de ses cernes tend vers un violet ou un bleu prononcé, signe qu'il a reçu un coup au visage.

Je poursuis ma séance pendant trois heures consécutives jusqu'à ce que ce soit terminé et que chacun d'eux m'apporte la première partie de leur projet d'écriture avant de sortir de la classe. Les derniers à partir sont Matt et deux de ses amis qui restent un peu en retrait, Lorenzo, un Italien, et Min-Ho, un Coréen qui, lui, est un des meilleurs de la classe d'après l'établissement.

Matt dépose son travail sur mon bureau ainsi que ceux de ses amis.

— Merci Matt.

Il déplace mon café et vient s'asseoir sur le coin de mon bureau alors que ses amis se décalent près de la porte, soit pour intercepter quelqu'un qui voudrait entrer, soit pour me dissuader de sortir.

— Vous avez une question, messieurs ? dis-je en déposant mon crayon, incrédule en m'adressant aux trois étudiants.

J'ai cerné le personnage de Matt dès le premier jour : c'est un type arrogant et insupportable avec une pointe de narcissisme.

— On se demandait... toi et Roman...

— C'est vous ou madame Evans, le corrigé-je pour qu'il évite de me tutoyer.

— Ouais, comme je disais, entre vous et Roman, y'a un truc ? Non parce que je sens qu'il vous aime bien... Lui donnez-vous des cours particuliers ?

Il arrache un pétale d'une des fleurs de mon bouquet, le contemple et poursuit :

— Car j'aimerais bien avoir le même traitement... Ça m'aiderait à apprendre.

Il laisse tomber le pétale, place sa main vers son entrejambe et me fait un geste de masturbation. Dégoûtée, je me rapproche pour le surplomber et son sourire s'élargit. Il s'esclaffe en harmonie avec ses acolytes alors que je n'entends pas à rire.

— Tes propos sont déplacés ! Encore une inconduite de ta part et je t'exclus de mon cours officiellement. Tes parents vont en entendre parler et...

Les trois éclatent de rire à nouveau et Matt s'écarte de mon bureau pour se dresser devant moi et me surpasser, ainsi il renchérit :

— Ma petite dame, mon daron est placé au-dessus de toi dans cet établissement. Il n'entend que ma voix et ne vit que pour moi. Ma future carrière de hockeyeur. Je n'en ai rien à foutre de ton cours de merde, mais mon parcours m'y oblige. Sache que JE peux te faire virer. Tu crois que tu peux débarquer sur le campus et faire ta loi et m'obliger à te vouvoyer ? Nan, ici t'es personne. On te paye pour enseigner, pas pour ramener tes exigences.

Il fait un pas, puis deux dans ma direction. Je recule, la hargne m'envahit, mais je ne peux l'éviter puisque mon dos heurte Lorenzo qui doit faire dans les un mètre quatre-vingt-cinq et qui s'est placé derrière moi. Min-Ho se rapproche à son tour, croisant les bras sur son torse et me contemple, me laissant savoir qu'il adhère à leur comportement et que je ferais mieux de ne pas m'y opposer.

— Pour éviter que je te fasse virer de Woodward, tu pourras écarter les cuisses pour moi, comme avec Roman... Pour pas qu'il y ait de jaloux, tu devras accepter mes amis aussi...

Il échange un regard entendu avec Lorenzo et Min-Ho.

— Je ne sais pas quelle sorte de fantasme tu as dans la tête, Matt, mais il n'y a rien avec Roman Eaton, alors je te prierais de dégager de ma classe, j'en ai terminé avec toi. Lorenzo et Min-Ho, vous serez exclus aussi.

Je me sens étouffée, les trois pompent tout l'air près de moi, alors je m'écarte, mais Matt saisit mon poignet pour me retenir et Lorenzo enroule son bras autour de mon cou pour plaquer mon dos contre lui. La panique s'empare de moi.

— Oh... tu ne vireras personne ma jolie, parce que sinon... on te réserve un traitement qui t'empêchera de marcher pendant des jours... Vois ça comme un cours particulier, pour t'apprendre à fermer ta gueule et à faire tout ce qu'on te dit. Si t'es sage avec nous... on ne dira rien sur le fait que tu t'offres à des étudiants. À voir comment il a défendu ton honneur hier à la soirée et la manière dont il réagit dès qu'on prononce ton nom... ça confirme que vous baisez ensemble.

Roman a défendu mon honneur ? Il s'est battu avec Matt ? Est-ce qu'il est blessé ? C'est pour ça qu'il n'est pas en cours ?

Je réussis à me dégager de mes étudiants qui prennent un malin plaisir à me regarder prendre mes affaires et les fuir.

Manteau et porte-documents en main, je fonce vers la porte sous les rires des trois garçons dans mon dos. 





Matt


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