2 - La rencontre
Andra
La rencontre
Chapitre 2
ANDRA
La rencontre
En se retournant, malgré la pénombre, je découvre qu'il s'agit d'un jeune homme d'environ vingt ans. Ce dernier est svelte et me surplombe largement par sa grandeur. Il est trempé de la tête aux pieds et entièrement vêtu de noir. Il a des cheveux courts, sombres, dont des mèches dépassent de sa capuche. Ces mèches qui s'agglutinent à son front sont baignées de sang.
Mes yeux balaient les alentours. Il semble seul. Derrière lui, il n'y a que la pluie, les éclairs à la cime des arbres d'automne et le bruit du tonnerre qui gronde. Le type sur mon porche appuie une main gantée contre le cadre de la porte laissant une marque sanglante.
— Bonsoir, madame... Désolé de vous déranger à une heure si tardive, mais... j'ai eu un accident avec ma voiture. Un... un chevreuil m'a surpris et j'ai perdu le contrôle de mon véhicule qui s'est retrouvé encastré dans un arbre.
Le mec se dépêche de trouver quelque chose dans sa poche et me montre son portable.
— En cherchant du réseau, il est tombé dans une flaque d'eau. La batterie est foutue.
Il jette un coup d'œil furtif à l'intérieur de la maison, puis repose son attention sur moi. Son regard est ténébreux et perçant. On se contemple un moment avant que je choisisse de lui offrir mon aide. Je m'écarte et il franchit le seuil en examinant l'intérieur.
— Vous êtes seule ?
— Je... vais chercher le téléphone.
Je vois qu'il dépasse le tapis d'entrée et que ses bottes laissent de la boue sur le parquet. Par réflexe, je l'arrête d'une main sur le torse et il effectue un pas en arrière.
— Ne bouge pas.
Il baisse la tête, comprenant qu'il salit le sol.
— Pardon, madame.
On dirait qu'il est tombé dans l'herbe et la terre mouillée. Une veine gonflée se trace sur son front. Il a un tic nerveux, celui de serrer la mâchoire, ce qui fait bondir un muscle dans sa joue.
Tout en me rendant dans le salon pour chercher mon téléphone qui se trouve dans mon sac à main, je garde un œil sur lui.
— Sur quelle route est ta voiture ?
— La vôtre.
— Et tu viens d'où ?
— De Sidney.
West River, la rue sur laquelle je vis, est un chemin étroit et toujours désert. Elle relie Waterville et Sidney. Habituellement, les gens passent par l'autoroute, mais rarement par ce chemin de campagne gorgé d'arbres où la visibilité est parsemée de brouillard le jour et d'une obscurité totale la nuit.
Ne trouvant pas mon téléphone, je vide le contenu du sac sur le canapé et le récupère enfin. En revenant vers lui, il retire ses gants avant de les mettre dans ses poches pour éviter de salir l'appareil et je le lui tends. À la commissure de ses lèvres apparaît un léger sourire.
— Merci, madame.
— Je m'appelle Andra, tu peux me tutoyer.
— Bien, madame. Euh... pardon, Andra.
Il prend enfin l'appareil sans jamais détacher son regard énigmatique du mien. C'est déroutant de le voir afficher un sourire presque séducteur dans cette situation.
Pendant qu'il compose un numéro, je disparais dans la salle de bain pour trouver de quoi le soigner. De l'autre pièce, je l'entends parler au téléphone. En fouillant les armoires, mes mains tremblent doucement et une migraine m'assaille. Ce sont souvent les effets secondaires du mélange de médicaments et d'alcool et c'est récurrent depuis le départ de Jonathan. Avant, je n'avais pas besoin de tout ça pour dormir.
— Tu as trouvé de l'aide ? lâché-je en sortant la tête de la salle de bain pour qu'il m'entende.
Il ne répond pas, alors je continue de chercher dans l'armoire à pharmacie. Je mets la main sur ma bouteille de désinfectant, des compresses et des gants chirurgicaux.
En longeant le couloir pour rejoindre la porte, mon cœur rate un tour. Il n'est plus là.
Je le repère près de la table de la cuisine, un bouquin en main. Il a pris soin d'enlever ses bottes.
— Je croyais vous avoir demandé d'attendre dans l'entrée.
— Je croyais qu'on se tutoyait, Andra..., réplique-t-il, amusé. Tu es romancière ?
Je dépose mes affaires sur la table et lui retire le livre des mains.
— Non, pas très futé, visiblement ce n'est pas mon nom sur la couverture.
— Mais il est écrit Andra Evans à l'intérieur...
Il a déjà feuilleté les premières pages ? Ça va, il est futé.
— Je... je traduis des séries best-sellers.
— Et ça te plait ces romans érotiques ?
J'esquisse un sourire et tire une chaise pour qu'il s'assoit et que je l'examine.
— Non, les romances avec des pirates et des sirènes, ce n'est pas mon truc.
— Et... c'est quoi ton truc ?
Gênée par sa question, je préfère esquiver et m'active à mettre les gants pour ensuite m'approcher de lui. Je retire sa capuche et dégage son front en écartant ses cheveux sombres, humides et un peu ondulés. J'entrevois l'entaille près de son cuir chevelu.
Du sang coule à nouveau. Une goutte longe la veine de son front jusqu'au creux de sa paupière. Je l'essuie rapidement avec un coton et j'en ai sur le gant.
— Je te rends nerveuse ? Je sens tes doigts trembler, remarque-t-il.
— Non, c'est... ce n'est pas toi.
Il mord sa lèvre ourlée pendant que je termine de nettoyer la plaie.
— Alors ce coup de fil ? Une dépanneuse va arriver ?
— La seule dépanneuse du coin est déjà occupée sur un accident en ville.
— D'accord... Tu as de la famille ?
Il déglutit lentement, fixe un point au sol et sa voix se perd dans un marmonnement, mais je décèle les mots « Ils sont morts ».
— Oh, je... je suis désolée. Sinon... un ami ? Un pote, comme vous dites, vous les jeunes.
Il redresse la tête et son regard ténébreux et charmeur trouve le mien.
— J'ai l'air si jeune ?
— Hum... oui.
— J'ai vingt-huit ans.
Je suis surprise, il fait bien plus jeune. Peut-être est-ce la pénombre qui lisse ses traits.
— Très bien... Alors, t'as quelqu'un qui peut venir te récupérer ?
— Non... on est vendredi. Y'a une fête dans une baraque à Sidney. À cette heure, ils sont tous bourrés. Vaut mieux pas qu'ils prennent la route et encore moins la West River par un temps pareil.
— Et le poste de police ?
Il rit, un peu mal à l'aise, et détourne la tête. Je pose la compresse imbibée de sang et retire mon gant.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Je reviens justement de cette fête et... je doute que la police soit clémente. J'ai consommé deux ou... trois bières, j'ai eu un accident. Ils vont me coffrer pour la nuit.
Je pose mes mains sur mes hanches d'un air rempli de reproches.
— À quel moment on se dit que ce serait une bonne idée de prendre le volant après avoir bu ?
— À quel moment ? Quand on a bu bien sûr. C'est rare qu'on dise « je vais conduire en état d'ébriété » alors qu'on est sobre.
Il ose le sarcasme. La situation aurait pu être grave. Il aurait pu se tuer ou percuter quelqu'un. Bon... même si personne n'emprunte la West River, reste que je ne cautionne pas ça.
Soudain, je crois qu'une douleur l'élance puisqu'il presse d'une main son torse.
— Ça va pas ? m'inquiété-je.
Je remarque qu'il a du mal à reprendre sa respiration, alors machinalement, je lui ordonne de retirer son sweat à capuche pour évaluer sa blessure. Il obtempère, je l'aide, même s'il laisse échapper quelques jurons d'entre ses dents serrées.
Une fois qu'il est dénudé, je suis un peu prise de court devant ces abdos taillés et ce torse découpé. Je n'étais pas prête. Le seul homme que j'ai vu dans ma vie a été Jonathan et il n'avait pas le moindre muscle. J'avoue que ça m'intimide. J'observe avec un peu de gêne l'hématome impressionnant qui s'est répandu sur sa poitrine.
— J'ai heurté le volant, se justifie-t-il.
— Tu n'étais pas attaché ?
Vu son expression, je comprends que la réponse est non. Penchée vers lui, quand je relève la tête, mon visage se retrouve près du sien. Ses yeux sondent les miens jusqu'à ce qu'il murmure d'une voix suave :
— On t'a déjà dit que t'étais magnifique ?
Je me fige.
Venant d'un inconnu, ça me dérange. Surtout d'un individu inconscient de conduire avec des facultés affaiblies.
Je me dresse et ramasse les trucs sur la table avant d'aller les jeter à la poubelle dans la cuisine.
— Excuse-moi, c'était déplacé. Et puis, de toute manière, quelle question stupide. Bien sûr qu'on te le dit. Ton mari doit constamment te complimenter.
Je fronce les sourcils et pouffe, un peu irritée.
— Mon mari... non... mon mari m'a quittée il y a cinq mois.
— Pourquoi l'alliance à ton doigt est-elle encore là ?
Je regarde ma main et soupire.
— Je... honnêtement, je ne sais pas.
— Bon, alors laisse-moi te dire que t'es une... beauté fatale.
Un frisson me caresse l'échine. Comme je ne porte pas de soutien-gorge, mes tétons pointent sous mon chemisier et il le remarque. Je croise aussitôt les bras.
— Merci... c'est quoi ton nom ?
— Roman. Roman Eaton.
Il se lève. Sa silhouette dans l'ombre et sa prestance augmentent les battements de mon cœur.
— OK... alors...
Il me fixe, sans ciller des paupières. Ça me rend nerveuse. C'est comme avoir un radar braqué sur soi. Je ne sais pas à quoi il pense ni pourquoi il me lorgne avec autant d'intensité.
— Tu peux prendre le canapé le temps que l'orage passe.
Il ne bouge pas d'un centimètre. Ses iris obscurs me détaillent. Puis il lâche :
— Puis-je me nettoyer un peu pour ne pas salir ton canapé ?
Il me montre ses vêtements tachés de terre et trempés.
— Bien sûr. Et... je... j'ai quelques vêtements qui restent de... mon mari. Je peux te prêter pendant que je sèche les tiens.
— Super...
Je lui désigne le couloir pour lui indiquer le chemin de la salle de bain. Il passe lentement devant moi. Avant de s'éclipser dans la pièce, il me jette un dernier regard. Roman ne ferme pas complètement la porte.
Je le virerais bien de chez moi, mais passer une nuit dehors en plein mois d'octobre, sous une averse, à des kilomètres de la civilisation, ce n'est pas une bonne idée. Je peux lui offrir l'hospitalité quelques heures. Ensuite, il devra partir.
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