CHAPITRE 9. ÉLONIE
C'est complètement fou.
Pas la folie des aliénés mais celle des insoumis ; ceux qui ont le goût de vivre encore un peu.
Je cours accroupie derrière une haie pour éviter qu'on m'aperçoive. Mon chauffeur improvisé tient fermement mon poignet et m'entraîne à sa suite. Ses doigts rugueux s'accrochent à ma peau blanchâtre. Il ne se rend pas compte qu'il est brusque et sa poigne me laissera sûrement un bleu demain. Lui me laissera sûrement un bleu un l'âme.
On arrive à rejoindre le parking sans se faire remarquer. Un peu plus loin, les fards d'une voiture s'illuminent et m'éblouissent quelques secondes. Pas surpris une seule seconde, mon acolyte saute par-dessus la portière pour atterrir directement sur le siège conducteur.
Je n'aurais jamais dû accepter cette escapade nocturne pourtant il y avait ce calme en moi ; alors que j'étais assise dans l'herbe humide avec cet inconnu cynique, je me sentais sereine. J'étais l'océan le matin, bercé doucement par le chant des oiseaux qui se réveillent et illuminé par la naissance du soleil. Dans le ciel de mon bonheur, il n'y avait aucun nuage. Ce même ciel qui n'est qu'orageux depuis le drame.
Puis il y a eu la voix de ma mère suivie par celle d'Adam qui m'appelait. J'ai fini par ne plus entendre mon nom, j'entendais les reproches cachées derrière les conseils et le bruit assourdissant de la routine qui me pourchassait avant de se moquer de moi en se dandinant devant mon nez.
Je ne voulais pas retourner dans cette salle où j'étouffais et sourire à ces gens qui m'oppressaient.
Alors j'ai fuis. J'ai sauté la tête la première dans l'échappatoire qui s'ouvrait devant moi, ne sachant pas où j'allais mais seul ce que j'évitais comptait.
Je rentre précipitamment dans la voiture et claque la portière. Ce n'est peut-être pas Adam que je fuis, peut-être que c'est la vie en elle-même ; pas seulement celle que je risque d'avoir avec lui.
Elle me rattrapera sûrement un jour mais pas tout de suite.
Il tourne la clef et le moteur hurle, il rugit comme un fauve qui s'échappe de son cirque. Il part en trombe en faisant sauter les graviers dans tous les sens. Il roule vite.
Pas une seule fois je ne me retourne. Il n'y a rien pour moi là-bas.
Le vent frais fouette mon visage et emmêle mes cheveux corbeaux tandis que je m'échappe avec un parfait inconnu.
Je lève une main et sens le vent siffler entre mes longs doigts. Je retiens mon souffle avant d'éclater de rire comme une alcoolique saoulée au bonheur.
Il me contemple du coin de l'œil et accélère encore.
La voiture rejoint une route en bordure de falaise. Je vois la lune sur le côté qui se reflète dans l'océan, j'ai l'impression qu'on essaye vainement de la rejoindre.
J'irai courir jusqu'à elle ; les pieds nus dans l'eau, le cœur bien au chaud. Je me noierai pour la rejoindre, pour qu'elle me caresse de sa lumière argentée.
Le paysage défile à une vitesse vertigineuse et je me retourne pour le regarder. Si je pouvais voler ce moment au temps, je le ferais et mes doigts me feront mal quand j'essayerai de le rentrer dans une fiole en verre bien trop petite pour le conserver. Je m'abîmerai les yeux à force de contempler la lumière qui irradie de cet instant incandescent.
Au loin, la bâtisse où la fête bat son plein sans moi diminue à vue d'œil et soudain ces dernières années m'abandonnent. Je les laisse derrière moi, les offre au vent pour qu'il les emporte.
Maman serait furieuse de savoir ce que je suis en train de faire. Elle n'est pas comme ça.
C'est pour ça que je profite encore plus de l'instant. Parce que c'est le mien, parce que je l'ai décidé seule.
Il met la radio en marche d'une main et installe une cigarette au creux de sa bouche pulpeuse. Il l'allume avec difficulté et quand il y arrive, il souffle une masse de fumée grise informe. Un coup de vent soulève ma robe et je la rabats sur mes jambes. Un rire naît dans ma gorge. Cette aventure ressemble aux vacances que j'avais avant.
Je baisse les yeux et m'émerveille devant mes pieds nus. Comme quand j'étais petite et que je marchais dans l'herbe en jouant à cache-cache avec Élise.
Je me rappelle parfaitement de la sensation de l'herbe qui chatouillait mes orteils pendant que j'attendais calmement le moment propice pour surgir de ma cachette et aller toucher le mur. Je n'y arrivais jamais.
Je n'y arriverai jamais sans elle.
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