CHAPITRE 3. ÉLONIE

Le shopping n'est pas rempli pour un vendredi après-midi. Les longues allées encadrées d'enseignes très connues sont quasiment désertées par les fanas de lèche-vitrines. C'est plutôt inhabituel pour cette bourgade qui a la réputation de ne jamais vraiment dormir sur ses deux oreilles.
La ville borde des plages paradisiaques où la mer est bleu azur et où le sable blanc est toujours chaud sous le pieds des surfeurs. D'immenses falaises côtoient les routes sinueuses, donnant naissance à des paysages célestes.
Le ciel ne pleure jamais de ce côté du globe, ce sont les gens qui prennent la relève.

Candice tire la manche de ma veste pour me guider vers une boutique de vêtements, comme si j'étais un enfant un peu égaré.
En vérité c'est sûrement ce à quoi je ressemble avec mes grands yeux clairs mais vides : une gamine perdue, essoufflée par la course folle que nous inflige la vie.
Elle se colle presque contre la vitrine où trône fièrement un mannequin longiligne vêtu d'une robe rose poudrée fendue sur un côté.
Osée sans être vulgaire, jolie sans être magnifique.
La beauté devient, sous mes yeux, insipide.
Je regarde à droite et à gauche, cherchant quelqu'un pour voir la même chose que moi et qui, lui aussi, s'en alarmait.
Personne.
La masse humaine est vide.

Les gens marchent vite, sûrement un peu trop, passent devant les devantures chargées de belles choses sans regarder, peut-être même sans voir.
Aucun ne s'inquiète de voir la beauté se faner pendant que j'angoisse devant ce triste spectacle, terriblement seule alors que j'aurais tant voulu être accompagnée.
J'avais envie de leur hurler de se réveiller.
À quoi leurs yeux servaient-ils s'ils n'arrivaient même pas à percevoir le désastre qui nous guettait ?

La beauté ne pouvait pas se flétrir, elle aurait dû briller, être resplendissante. Si même elle abandonnait la partie qui resterait-il ? Qui nous sauverait tous de la vie monocorde qui attendait impatiemment de nous engloutir dans ses ténèbres assommantes ?

- C'est la robe de mes rêves ! S'exclame-t-elle folle de joie.

Elle se précipite à l'intérieur sans regarder derrière elle et, avec l'allure d'une mère lassée de ses quatre enfants, je suis forcée de lui emboîter le pas.

À peine entrée, elle prend une des vendeuses d'assaut et sans que je n'y comprenne grand-chose, à vrai dire voilà longtemps que je ne comprenais plus rien, je me retrouve seule dans l'immense magasin entourée de robes qui semblaient répéter une litanie bien morose.
J'allais finir avec Adam et je ne l'aimerais pas.
Nous vivrons dans un appartement alors que je rêvais d'une maison sur la côte.
Nous aurons trois garçons alors que je voulais des filles et nous vieillirons alors que j'avais peur de la mort.
Les robes devinrent mes amis, mes proches, ma famille, mes parents. Ils me crient d'obéir, de suivre la destinée qu'ils ont écrit pour moi, sans moi.

Mon souffle devient lourd et irrégulier. J'essaye de respirer mais l'air qui rentre dans mes poumons se fait épais. Il alourdit mon corps. J'essaye d'inhaler de petites quantités d'oxygène mais cela me demande une force colossale, une force que je n'ai plus.
Je ne sais pas si on peut mourir d'angoisse mais mon supplice y ressemble grandement.
J'étouffe.
J'agonise.
Je veux pleurer mais les larmes ne sortent pas. À contrario, je veux inspirer mais l'air ne rentre pas.

Précipitamment, je sors de la pièce où les vendeuses aux airs hautains me jugent du regard presque autant que les quelques clientes qui zonent entre les vêtements.
Je ne regarde pas où je vais, je sais juste que je dois sortir de cette affreuse boutique où tout me rappelle qu'à vingt ans je n'ai absolument aucun contrôle sur ma vie. Comme du sable, elle glisse entre mes doigts. Elle m'échappe et j'essaye vainement de la rattraper mais l'existence est le meilleur des sprinteurs.

Ma tête est lourde, mes oreilles sont agressées par un opéra de bruits aigus. Elles sifflent et mon crâne est envahi par une infernale cacophonie. Je presse mes paumes moites contre mes tempes et ferme les yeux.

Je supplie le ciel pour que ça s'arrête, si fort que j'ai l'impression que mes prières percent les nuages, slaloment entre les étoiles à la recherche d'un Dieu, n'importe lequel, prêt à me prendre en pitié.

Un choc.

J'ai foncé dans un corps solide comme un mur en béton. Je tombe lourdement au sol, arrachée brusquement à mes pensées, et mes fesses deviennent douloureuses.

- C'est ce qui s'appelle tomber sous mon charme.

Un grand brun me tend sa main pour m'aider à me relever.
J'accepte son offre et d'un geste précis il me fait remonter à mon un mètre soixante-deux.
Il sourit de toutes ses dents, un peu comme ces mannequins qui font la couverture de nombreux magazines.

Lui, il n'est pas beau comme la robe fade de la vitrine. Il n'est pas d'une beauté délavée, passée mille fois au sèche-linge et pourtant toujours entachée par la banalité. Il se dégage de lui une saveur épicée et une odeur d'océan salé.
D'immenses tatouages noircissent ses bras et son cou à la manière d'un brouillon d'écolier.
Je frisonne presque face à son aura aussi obscure que lumineuse. Comment arrive-t-il à être sombrement incandescent ? Il semble respirer le malheur et l'espoir en même temps, dans un étrange tumulte qui finalement forme une jolie oxymore.

- T'es simple d'esprit ou juste muette princesse ?

Un garçon à côté de lui, je le remarque seulement, rigole la bouche fermée. C'est ce qu'on fait quand une blague n'est pas drôle mais qu'on est obligé de rire pour éviter d'entacher le prestige de l'humoriste.

- Les deux on dirait bien, répond l'acolyte à la question de son ami.

Cette fois, c'est l'armoire à glace qui se marre. Ses épaules montent et descendent lentement, au ralentis, comme si quelque chose pesait dessus.

- Je ne suis pas muette.

Je ne parle pas beaucoup aux inconnus, ou simplement aux gens en général, alors la seule phrase que j'arrive à murmurer est un réel exploit pour moi.

- Juste débile alors.

Il se marre en tapotant mes cheveux. Le genre de truc qu'on fait à un enfant qui demande si le prince charmant existe.
Pourtant, je sais bien que les princes charmants n'existent que dans les contes et que les « happy end » sont réservés à Cendrillon et à la clique des princesses parfaites.
Je n'en fait pas partie parce que je n'ai jamais été extraordinaire. Je critique la banalité mais elle me noie. Je suis bancale, cassée et raccommodée à la va-vite.

Ils partent sans même me laisser le temps de leur crier dessus, de leur hurler que déprime ne rime pas avec débile.
Heureusement je n'ai pas le temps de leur aboyer mes pensées, si je l'avais fait Candice se serait sentie obligée d'en parler à mes parents et maman aurait épousseté la boîte d'antidépresseurs.

Mais moi, j'en avais marre des médicaments et des souvenirs constants. Ils pouvaient bien prendre la poussières ces narcotiques analgésiques.
Quand plus rien n'avait de sens, comment pouvions-nous vraiment espérer en trouver dans un gramme de pilule non-identifiée ? Est-ce qu'on était vraiment esseulé au point de penser trouver le sourire dans une poignée de médicaments achetés à un prix exorbitant ?
Si le bonheur savait rentrer dans une si petite boîte c'était sûrement qu'on ne voyait plus assez les choses en grand.


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