ETHAN ET MYLES

— Ça fait duh-duh-duh duhhh.

Myles tape ses baguettes l'une contre l'autre, assis à sa batterie. Depuis quelques mois, il laisse pousser ses cheveux pour se donner une allure de rockeur, des mèches brunes lui tombent devant les yeux. Malgré la température peu clémente, il porte un t-shirt à manches courtes. La porte du garage est grande ouverte et le vent s'engouffre dans l'espace. Ethan a légèrement la chair de poule alors qu'il gratte les cordes de sa guitare, pensif.

— Alors ? S'enquit Myles.
— Mmh ?
— Ce que je viens de jouer, là, ça va ?

Ethan hausse les épaules.

— J'sais pas, j'étais plus concentré sur ce riff là tu vois.

Il joue quelques notes qu'il a griffonnées dans son carnet. C'est plus doux. Myles soupire.

— Ethan, qu'est-ce qu'on est ? Demande-t-il.

Le garçon hésite, il redresse ses lunettes en faisant mine de réfléchir.

— Euh.. un groupe ?

Le début d'un groupe, en réalité. Lorsqu'on n'est que deux, c'est un binôme. Un duo, si on veut rendre ça légèrement plus sympa.

— Un groupe de..?
— Rock ?

Myles écarte grand les bras, désignant l'espace dans lequel ils se trouvent à l'aide de ses baguettes.

— .. Garage ? Ajoute Ethan.
— Voilà. Alors on n'est pas dans une chorale de scouts girls.

Myles se remet à taper sur son instrument avec ferveur. Ethan baisse les yeux vers ses mains, figées sur la guitare. Des pansements recouvrent ses doigts écorchés. Bientôt, il les enlèvera. Les plaies ouvertes cicatriseront, laissant de fines lignes blanchâtres sur sa peau. Il aimerait pouvoir en faire autant avec son père. Poser des pansements partout et attendre que ça guérisse. Ils ont essayé, par le passé, de soigner seulement la surface. Mais ça n'a fonctionné qu'un temps.

Une bruit de moteur se fait entendre derrière eux. Ethan se retourne. La Scenic de sa tante s'arrête dans l'allée juste devant le garage. Elle sort en claquant la portière, son téléphone coincé entre l'épaule et l'oreille.

— Non, mais tu penses bien, avec ce froid de canard.. mon fils s'est lancé dans une lubie de monter un groupe de musique.. oui, comme son père ! Alors il m'a rapatrié le garage, évidemment. Et ma voiture, dehors ! Je peux te dire que le matin quand je pars au boulot, ça caille.

Tout en discutant, elle ouvre le coffre d'un coup de coude et en sort plusieurs sacs en papier. Ethan pose son instrument et s'empresse de la rejoindre pour l'aider. Elle lui sourit en lui posant le sac le plus lourd dans les bras. Il faiblît légèrement sous le poids.

— Merci, cariño, chuchote-t-elle avant de reprendre sa conversation.

Myles ne se lève pas, concentré sur son enchaînement. Chargés comme des mules, Ethan et sa tante s'engouffrent dans la maison, se dirigeant vers la cuisine. Le comptoir et ouvert sur le séjour. Ils posent les sacs sur la table avec soulagement.

— Bon, on se rappelle lundi..? Oui, allez, bisous.

Sol raccroche et range son téléphone dans la poche de son pantalon ample. Ethan se met à déballer les courses sans un mot.

— En voilà un qui est mieux élevé que son cousin.. commente-t-elle en jetant un regard entendu vers la porte du garage.

Ethan hausse les épaules et elle lui ébouriffe affectueusement les cheveux. Le silence dure quelques instants. En réalité, Ethan n'est pas venu aider seulement par politesse. 

— T'as parlé à maman récemment ? Demande-t-il en rangeant un paquet de jambon dans le frigo.

Sa tante soupire, passant une main sur son front bruni, où quelques rides apparaissent déjà malgré son âge peu avancé. Elle s'accroupit pour avoir accès au placard sous l'évier.

— Un peu.
— Elle ne veut toujours pas me parler ?
— C'est pas qu'elle ne veut pas..
— Ah bon ?
— Elle a peur de t'inquiéter, c'est tout. Elle est dans un état..
— Ah et elle croit vraiment que m'ignorer en m'envoyant ici, ça va me rassurer ?

Ethan pose un peu brutalement un pot de confiture sur le plan de travail. Sol se redresse, faisant craquer ses articulations.

— Écoute, Ethan. Je n'ai jamais dit que t'éloigner d'elle était la bonne solution, mais elle n'a pas la force de s'occuper de toi.
— J'ai dix sept ans ! J'ai pas besoin qu'on s'occupe de moi.
— C'est plus que ça, tu le sais bien.
— Elle a peur de moi, avoue. Elle pense que je suis comme lui. Et toi aussi, tu le penses.

Sol secoue la tête de gauche à droite, fermant les paupières. Ethan serre les poings.

— Non, Ethan. Elle a juste besoin d'une pause. Ne lui en veux pas trop.

Elle se remet à ranger les provisions, ouvrant plusieurs placards successivement. Ethan n'a plus vraiment envie d'aider, il garde ses bras ballants. La porte du garage s'ouvre dans un claquement. Myles entre et s'accoude au comptoir, pianotant distraitement sur son portable.

— Ethan, on bouge ce soir, dit-il.
— Vous bougez où ? Demande Sol en posant un poing sur sa hanche.
— Chez Garett.

Il se penche pour attraper une pomme rouge dans la corbeille à fruits et croque dedans à pleines dents. Le jus coule sur son menton et il l'essuie distraitement avec sa manche. Sol arque un sourcil.

— Et à qui t'as demandé la permission, exactement ?

Myles affiche un sourire innocent et contourne le comptoir pour l'embrasser sur la joue.

— À toi, maman chérie.

Elle repousse son visage en rigolant.

— Mais oui, allez. À quelle heure vous rentrez ?
— On dort là-bas.

Myles se dirige vers la sortie en grignotant sa pomme. Avant de s'enfoncer dans le couloir, il se tourne vers Ethan.

— Tu viens ?

Le jeune homme hoche la tête. Après un dernier regard indéchiffrable pour sa tante, il suit Myles à travers la maison.

— Chaussures ! Crie Sol.

Elle a horreur qu'on salisse sa moquette. Docilement, les deux garçons retirent leurs baskets puis se faufilent par la deuxième porte à droite.
Myles se jette sur le lit, et s'allonge les bras croisés derrière la tête. Sa chambre est une collection de reliques du monde de la musique. Des posters, des CD, des vinyles, des pins, des vêtements recouvrent chaque centimètre carré de la pièce. Juste au dessus de son lit est punaisé un poster de KISS. Paul Stanley et sa légendaire étoile noire sur l'œil gauche le fixent depuis le plafond. Ethan se demande souvent comment fait son cousin pour dormir avec ce regard inquisiteur juste au dessus de lui.

— Hé, Myles ?
— Mmh ?
— Je me suis toujours demandé..

Ethan tire la chaise de bureau pour s'asseoir dessus à l'envers, les jambes de part et d'autre du dossier.

— Est-ce que tu te branles en le regardant dans les yeux ?

Il désigne le poster d'un coup de menton. Myles éclate de rire, manquant de s'étouffer avec sa pomme.

— Seulement quand les autres trucs me suffisent plus.

Ethan jette un regard au magazine Playboy caché sous le matelas, un coin dépasse légèrement et laisse apercevoir un bout de poitrine particulièrement imposante.

— Ok, je vois. Paraît que tout le monde a un cousin gay, après tout.

Myles lui présente son majeur avec une grimace.

— Va te faire.. Tu sais combien de meufs j'ai chopé ?
— Zéro ?
— Six.
— Dans tes rêves, puceau.
— Je te jure !

Myles s'assoit en tailleur et sort le portable de sa poche. Il fouille dans sa messagerie quelques secondes puis montre l'écran à Ethan.

— « Tro bien hier soir bb », lit-il à voix haute, étrécissant les yeux.
— Tu vois ?
— Pas moyen. Tu t'es envoyé ce message tout seul.

Myles hausse les épaules avec un sourire énigmatique et ferme le clapet de son téléphone. Ethan lève les yeux au ciel.

— Et toi alors ? Demande Myles, narquois. T'as emballé dernièrement ?
— Je me préserve, moi. Pas besoin d'être un trainé pour prouver mon hétérosexualité.

Myles lui jette un oreiller en riant. Ethan ne fait pas l'effort de le rattraper et le reçoit en pleine figure.

— Emmène Mathilda, dit le cousin. Les meufs adorent les mecs qui jouent de la guitare. Faudrait pas mourir puceau.
— Laisse. De toute façon je vais pas rester tard.
— Hein ? Pourquoi ?
— Fatigué.

Ethan se lève et s'étire, retirant ses lunettes pour se frotter les yeux.

— Bon, préviens moi quand on y va.

Il quitte la chambre en traînant des pieds, sûrement pour rejoindre la sienne, qui n'est autre qu'un bureau avec un lit de camp improvisé. Il oublie de fermer la porte. Myles vise sa corbeille à papier mais se rate ; le trognon de pomme atterrit parterre. Il claque sa langue contre son palais puis se rallonge, tripotant machinalement le bas de son t-shirt.

Il s'inquiète pour son cousin, évidemment. Il veut lui changer les idées. Ce n'est pas la première fois qu'il vient passer quelques semaines chez eux. Mais bon, là ça semble plus sérieux. Il a carrément été transféré dans leur lycée, sa mère dit qu'il risque de rester longtemps. Plusieurs mois, sûrement. Elle veut que la tante emménage ici, aussi. Darlene habite dans la ville voisine mais c'est quand même trop loin. Sol a peur pour elle. De manière générale, Sol a peur pour beaucoup de monde. Elle est comme ça.

Souvent, quand son cousin est là, Myles pense à son propre père. Il lui manque. Puis il se dit que mieux vaut un père absent qu'un père comme celui d'Ethan.

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