Chapitre 20 - Gaël

Alix grimpe dans la voiture en s'excusant pour ce qui vient de se passer. Elle part pour le poste de secours où elle sera auscultée par le médecin. J'ai le cœur qui bat à deux cents à l'heure. Pas tant à cause de l'accident parce que ce sont des risques que nous acceptons et nous avons l'habitude de prendre des gamelles. Non, c'est parce qu'elle était impliquée et qu'elle aurait pu se faire super mal.

On l'avait prévenue, putain ! Qu'est-ce qui lui a pris ? Pourquoi prendre tous ces risques ? Pour montrer qu'elle est aussi forte que nous ? Pour rattraper les essais calamiteux du Castellet ? En attendant, ses conneries nous coûtent cher. Je regarde le résultat de notre cascade improvisée. Les deux motos sont en vrac, il y a des bouts de carénage partout et il va falloir l'intervention du camion plateau pour qu'on puisse les ramener au stand.

— Comment tu vas, mon pote ? me lance Mack qui vient d'arriver en scooter depuis les stands et qui se presse vers moi, me scrutant pour tenter de détecter la moindre blessure.

— Je suis fin énervé, je lui balance en ramassant mon casque que j'ai jeté il y a quelques minutes et qui est foutu.

Et merde !

— Je parle pas de ça. T'as mal quelque part ? demande-t-il encore en me tournant autour.

— Nan !

— Monte, je t'emmène voir le Doc.

— Pas besoin, ramène-moi au paddock.

— Si je fais ça, Marie va me tuer, objecte-t-il parce qu'il sait que la femme de notre boss est intraitable quand il s'agit de notre santé et de notre bien-être.

— Fait chier !

Je monte derrière Mack et je le laisse me ramener au stand. Dès qu'on arrive, Franck se précipite vers moi.

— Tu m'expliques ?

— Elle a merdé, voilà ! Elle a voulu me faire l'intérieur. Elle arrivait trop vite et elle a perdu l'avant. Du coup sa moto a embarqué la mienne.

— On l'avait prévenue, bon sang !

Je connais le boss et je sais qu'il se retient. Alix a foutu une sacrée merde. Les mecs vont devoir bosser toute la nuit pour remettre en état les bécanes. D'ailleurs, Franck demande à Hassan de nous rejoindre à la maison pour lui faire un rapport sur les dégâts. J'espère seulement qu'on va pas perdre trop de temps. Le planning est serré et la première compétition approche à grands pas. Il manquerait plus qu'on ne soit pas prêts.

— Allez, je t'accompagne chez le toubib, ordonne Mack.

— Tu me lâcheras pas, hein ?

— Bouge !

Quelques brûlures sur la cuisse et la hanche. L'airbag de la combinaison a bien fait son boulot. Le bilan médical est bon. Je n'ai rien, je suis apte au service.

— Franck nous attend pour rentrer.

— T'es même pas un peu en colère, toi ? je demande à mon pote, surpris de le voir aussi cool alors qu'un des pilotes de son équipe vient de détruire sa bécane et la mienne par la même occasion.

— À quoi ça servirait ? On a tous fait des conneries, Gaël.

— On la prévient depuis hier, et malgré tout, elle fait n'importe quoi, je râle encore.

— Elle a voulu montrer qu'elle est capable d'atteindre nos chronos.

— Et merde !

Le retour à la baraque est silencieux. Alix est déjà rentrée avec Marie. Les mécanos sont en train de dresser le bilan de la casse. Hassan va nous rejoindre et on en saura un peu plus. Nos mecs sont des cadors, mais ce ne sont pas des magiciens. Nous arrivons et je monte directement au second pour aller prendre une douche et me changer. Quand j'entre dans la salle de bain, la porte de la chambre d'Alix est entrouverte. Je l'entends parler. Elle doit être au téléphone. Je devrais m'en foutre et aller sous la douche directement, mais je n'y arrive pas et je m'approche pour en entendre davantage.

— Je sais, je suis désolée, dit-elle d'une petite voix.

Je ne sais pas à qui elle s'adresse, mais vu le ton qu'elle emploie, il ou elle doit compter pour elle.

— Lucas...

Merde, c'est le prénom du pilote avec lequel elle a bossé. Je devrais vraiment reculer et fermer cette putain de porte, mais c'est impossible.

— Je t'aime tellement. Tu me manques.

Bien fait pour toi, crétin!

Pourquoi ces mots, adressés à un autre, m'agressent-ils aussi fort ? J'avais raison depuis le début. Elle a baisé avec ce type. Elle ne bosse plus avec, mais ça n'empêche qu'elle a encore des sentiments pour lui.

Je recule enfin, finis de me dévêtir et je file sous l'eau. Quoi qu'elle fasse, elle me fait chier, elle me perturbe. J'avais pourtant décidé de l'ignorer. De n'avoir que des rapports professionnels avec elle. Mais même ça, je n'y arrive pas. J'en suis incapable. Il me suffit de me souvenir de la peur que j'ai ressentie après notre chute quand je l'ai vue immobile, sonnée. Si je lui ai hurlé dessus, c'est avant tout parce que j'ai eu peur puis parce qu'elle se comporte d'une façon bizarre.

Bon sang, il faut que j'arrête ! Elle n'est pas le centre de mon univers, bordel ! Elle est simplement ma coéquipière, point barre. Si je me le répète assez souvent, je finirai sûrement par intégrer l'info.

Après ma douche, je descends retrouver les autres. J'espère que notre chef mécano sera arrivé et qu'on en saura davantage sur l'état de notre matériel. Alix est là. La tête baissée, elle fixe l'écran de son téléphone. Je comprends qu'elle ne le lâche pas. Je suppose qu'elle échange avec son mec. Avec celui qu'elle aime et qui lui manque.

Arrête, bordel!

Franck et Hassan nous rejoignent au salon et prennent place sur deux chaises qu'ils installent face à nous. Marie nous a apporté de quoi nous désaltérer et grignoter. Chacun d'entre nous est pressé d'en savoir davantage parce que ces nouvelles détermineront l'organisation de notre prochaine journée de boulot.

— Bon alors, commence Hassan en laissant planer le suspense.

— Allez mec, arrête de nous faire lanterner, râle Mack.

— Plus de peur que de mal, lâche-t-il avec un grand sourire. Bon, y a pas mal de choses à changer, mais en gros, la partie mécanique n'a rien. Elles tournent toutes les deux. Les gars ont déjà commencé à bosser dessus et tout sera prêt pour demain à l'heure prévue.

— Yeah ! hurle Antonio en se tournant vers Alix qui a quitté son téléphone pour écouter le compte rendu de notre chef mécano. Tu vois, cara mia, y a eu plus de peur que de mal. En plus, tu nous as pété de super chronos.

— Et tu balances ça comme ça ! je ne peux m'empêcher de réagir. Alors parce qu'elle a fait des chronos potables, elle peut se permettre de tout foutre en l'air ?

— C'est bon Gaël, j'ai déjà dit que j'étais désolée, objecte Alix sur la défensive.

— Oh pardon, alors parce que tu as présenté tes excuses, on doit passer l'éponge ? On te demande depuis hier d'y aller mollo. Résultat, tu fais n'importe quoi, tu te fous en l'air et tu m'entraînes avec toi.

— Tu n'as jamais commis d'erreur ? s'énerve-t-elle en se levant d'un coup. Tu n'es jamais tombé ? Il faut savoir ce que tu veux. Mes chronos sont mauvais, tu m'en mets plein la face, ils sont bons, tu fais pareil. Il faut que je fasse quoi pour te satisfaire ? Que je me casse ?

Son explosion jette un putain de froid sur notre petit groupe. Je n'ai pas le temps de réagir qu'elle se lève, bouscule Antonio qui s'est levé aussi et sort.

Médusés, on la regarde quitter le salon en trombe. Le premier à réagir est Antonio. Je pense qu'il va la suivre, mais ce crétin se tourne vers moi.

— T'es content ?

— Quoi, angelo mio ? j'ironise.

— Tu joues à quoi, Gaël ? demande-t-il encore.

— À rien, elle fait de la merde, c'est tout. Tu veux que je rajoute, « je vous l'avais bien dit » ?

— Elle a fait une erreur, bordel ! Ça nous est tous arrivé ! me balance-t-il, hargneux.

— Mais t'es prêt à tout lui pardonner, espèce d'idiot ? Tu sais au moins qu'elle a un mec et que tu n'as aucune chance ?

— Mais t'es vraiment qu'un abruti quand tu t'y mets !

— Alors, demande-lui de te parler de son cher Lucas.

— Tu...

— Fermez-la, bordel !

Antonio et moi nous tournons vers Hassan, surpris qu'il nous reprenne aussi brutalement.

— Pardon ?

— Lucas Cortez n'est pas son mec, crache-t-il. C'est son frère. Il s'est gravement crashé ici, il y a deux ans, sous les yeux d'Alix qui était sa mécano.

Une putain de bombe qui nous pète à la gueule. Je regarde les mecs qui ont l'air aussi abasourdis que je le suis.

Nous nous tournons tous vers notre chef mécano et vers Franck qui n'a pas bougé d'un pouce.

— Et pourquoi il porte pas le même nom de famille qu'Alix si c'est son frangin ? questionne Mack.

— Parce qu'Alix a adopté le nom de sa mère. Peu de personnes savaient qu'ils étaient de la même famille. Je suppose qu'Alix préférait qu'on l'embauche pour ses capacités et pas pour ses liens avec le pilote vedette du team Suzuki, nous renseigne Hassan.

— Bordel, comment vous avez pu fermer vos gueules là-dessus ? s'énerve Antonio qui prend plus mal que nous les révélations sur Alix.

— Tu le savais, Franck ? j'interroge encore.

Nous attendons tous sa réponse, mais son silence est plus éloquent que n'importe quel mot.

— Et l'accident ? Qu'est-ce qui s'est vraiment passé ? Qu'est devenu son frère ? demande l'Italien.

— Ce n'est pas à moi de vous le dire, se défend notre boss.

— Mais pourquoi ? objecte Mack. C'est notre coéquipière. On roule sur la même moto, elle bosse avec nous tous. Tu ne crois pas que c'était un truc qu'on avait besoin de savoir ?

Ouais et qui aurait évité que je l'ouvre pour sortir des conneries plus grosses que moi.

— Je pensais qu'elle le ferait quand elle se sentirait prête, conclut Franck qui semble avoir un peu de mal à encaisser ce retournement de situation.

En même temps, qu'est-ce qu'il croyait ? Qu'Alix allait se pointer ici, sans repenser à ce qui a dû être une véritable épreuve pour elle ? J'ai beau ne pas savoir ce qui est réellement arrivé, voir une personne qu'on aime se vautrer n'est pas quelque chose de facile et si en plus ça finit de façon dramatique, c'est encore plus traumatisant. Franck l'a mal joué sur ce coup et je crois qu'il s'en rend compte à cet instant.

— Qu'elle vous dirait tout quand elle se sentirait en confiance avec nous, reprend notre boss.

— C'est-à-dire jamais, vu la manière dont Monsieur Gaël la traite, me reproche l'Italien.

Je ne réponds rien à Antonio. Parce qu'il n'y a rien à dire. Il a raison. J'ai merdé et maintenant je devrais sûrement aller lui demander pardon. Ce qu'Alix a vécu n'excuse pas tout, mais au moins ça l'explique. Je prends sur moi et je me décide à me lever. Je sors du salon suivi par Mack. J'ai envie de lui balancer que je n'ai pas besoin de lui, mais après tout, son état d'esprit doit être proche du mien. En plus, il saura sûrement mieux que moi ce qu'il faut faire et ce qu'il faut dire.

Je ne me sens pas très à l'aise alors que nous grimpons au second. Nous arrivons devant sa chambre dont la porte est fermée. Ni une ni deux, je pénètre dans la mienne, toujours suivi de mon pote, et passe par la salle de bain. J'espère qu'elle n'aura pas pensé à verrouiller cette porte-là aussi, sinon on sera condamnés à lui parler à travers un panneau de bois.

Le truc très simple, quoi !

J'actionne la poignée et – oh bonheur – la porte s'ouvre. J'entre le premier et je la découvre assise par terre, le dos contre un des murs, la tête posée sur ses genoux. Ses épaules tremblent. Elle pleure en silence et c'est entièrement ma faute. Mack me jette un regard désolé, la désigne d'un mouvement du menton, et de concert, on va s'installer à côté d'elle. Je m'aperçois que j'aimerais la prendre dans mes bras, trouver les bons mots pour lui demander pardon, mais je ne le ferai pas. Je reste assis en tailleur et j'attends, comme mon pote, qu'elle veuille bien relever la tête.

Elle le fait après quelques minutes et sursaute en nous découvrant devant elle.

— Je ne vous ai pas entendus frapper, nous reproche-t-elle. Vous n'avez rien à faire là. En plus, je préfère être seule.

— Pourquoi ne pas nous avoir dit que Lucas Cortez était ton frère ? s'enquiert Mack avec douceur.

Alix semble surprise et nous dévisage, peu amène.

— Qui vous l'a dit ?

— Hassan.

— Il aurait dû la fermer.

— Peut-être, mais pourquoi ces non-dits, insiste Mack.

— Parce que ça aurait changé quelque chose ? lui répond-elle sans oublier de me jeter un coup d'œil accusateur et plein de rancœur.

— Ça aurait pu nous aider à comprendre, continue mon pote, décidément beaucoup plus doué que moi pour lui parler.

— À comprendre quoi ? Ça n'aurait rien changé ! Est-ce que Gaël m'aurait moins pourrie ? Est-ce que vous m'auriez moins fait sentir combien ça vous emmerde que je sois là et que je courre avec vous ?

— Arrête de penser à ma place ou à notre place, je riposte. On aurait seulement pu anticiper ta venue ici.

Mack m'incite, d'un geste de la main, à y aller plus mollo.

— Tu nous racontes ? lui demande-t-il avec douceur.

— Je n'en ai aucune envie, se renfrogne-t-elle.

— Une vraie bourrique, je balance.

— C'est mon histoire et j'en fais ce que j'en veux, espèce d'âne bâté ! me crache-t-elle.

— Il faut faire quoi pour que tu comprennes qu'elle nous concerne aussi, putain ! je m'agace alors qu'elle s'entête dans son mutisme.

— Même s'il est un peu brut de décoffrage, Gaël a raison, commence Mack avant de m'inciter à la fermer. Si tu as des soucis, tu ne piloteras pas au mieux de tes capacités, Alix. Si tu n'es pas sereine tu peux te mettre en danger et nous aussi par la même occasion. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé ici, quelle est ton histoire sur ce circuit, mais peut-être que ça te ferait du bien de tout nous raconter. On est une équipe et on se soutient, qu'on vive de bons ou de mauvais moments.

— Eh bien, vous l'avez bien caché jusqu'ici ! nous balance-t-elle douloureusement.

Ce en quoi nous ne pouvons pas la détromper.

La balle est dans son camp. Moi qui essayais de me convaincre de demeurer le plus indifférent possible, c'est raté. Sa douleur me touche, son désarroi, son silence si lourd aussi. Pour autant, je n'arrive pas à rester calme, à lui parler comme le fait si bien Mack. Je me sens débordé, dépassé par quelque chose que je n'identifie pas et ça me gonfle.

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Retournement de situation ! Alix va-t-elle saisir la maain tendue ? Et Gaël va-t-il mettre de l'eaau dans son vin et être plus sympa avec elle ?

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