Chapitre 19 - Alix

Le lendemain, je débute plus doucement. Je suis fatiguée, ma nuit ayant été encore tourmentée et peuplée de cauchemars, mais au fil de la journée et de mes échanges avec Lucas j'accélère la cadence. En début d'après-midi, nous faisons une pause, le temps pour les mécanos de faire quelques ajustements et de procéder à un changement de roues. Franck veut nous faire essayer un autre type de gomme. Il profite de l'arrêt pour redistribuer les ordres de passage. Cette fois-ci, il me demande d'ouvrir la rotation avec Gaël puis ce sera le tour de Mack et Glen. Antonio et Thomas fermeront le cycle.

Les recommandations de mon frère tournent sans relâche dans mon esprit. Je dois m'imposer, je dois leur montrer que je suis capable de m'aligner sur le meilleur pilote de l'équipe, ou du moins de lui coller aux fesses. Pour une fois que nous allons tourner en même temps, c'est l'occasion ou jamais ! Et puis, si je peux un peu lui rabattre le caquet, ça n'en sera que mieux !

Lorsque nous reprenons en milieu d'après-midi, nous chauffons les pneus sur un tour complet, puis une fois revenus sur la ligne des stands, nous augmentons le rythme. Je passe deux tours dans le sillage de Gaël, essayant de me caler sur ses trajectoires. Puis d'un coup, il me surprend avec une brusque accélération et me largue. L'écart entre nous se creuse brutalement. Il me faut cinq tours pour grignoter petit à petit la distance qui nous sépare et revenir lui sucer la roue. Un esprit de revanche s'empare de moi quand je repense à son comportement de macho. Être dans sa roue ne me suffit plus, j'ai envie de lui en mettre plein la vue et surtout je veux que Lucas soit fier de moi.

Je fais quelques essais d'accélération, je bloque la poignée dans le coin sur les lignes droites, mais je ne parviens pas à le dépasser. Il ne me laisse aucune ouverture. Après deux tours les gaz à fond, je dois me rendre à l'évidence : je n'ai aucune chance d'arriver à le doubler dans les parties les plus rapides du circuit, son pilotage est trop explosif. Il ne me reste plus qu'une solution : les virages. Adélaïde, le Château d'eau et celui du Lycée sont trop fermés, trop lents. Je ne peux les prendre qu'en premier ou éventuellement deuxième rapport pour celui du Château d'eau. Il ne me reste plus que le 180 et Estoril où je peux espérer lui faire l'intérieur quand il élargit.

Au dixième tour, je décide de ne plus me contenter d'être dans son sillage. J'en ai marre de voir son feu arrière. À moi de lui montrer mon cul. Enfin, plus exactement celui de ma moto !

Alors que nous arrivons sur le 180, l'opportunité que j'attendais se présente. Gaël élargit un peu plus sa trajectoire à l'entrée du virage. Suffisamment pour que je puisse m'engouffrer dans l'ouverture. Je freine tardivement, rentre fort, lui fais l'intérieur et arrive à son niveau, le genou et le coude frottant la piste. Mais j'ai trop de vitesse et je suis obligée d'écarter ma trajectoire alors qu'il revient pour prendre la corde et préparer l'enfilade d'Imola. Je perds de l'adhérence et je sens l'avant partir. Un frisson glacé dévale mon échine.

NON ! NON ! NON !

Le spectre de l'accident de Lucas revient me hanter. Je suis incapable de redresser, je pars en glisse avant, accroche la roue arrière de Gaël et le fauche. Ma tête heurte la piste tandis que mon corps est éjecté vers l'extérieur du virage par la force centrifuge. Je vois mon coéquipier et sa bécane subir le même sort un peu devant moi. Malgré le casque, j'entends le fracas des carénages sur la piste, je vois les étincelles faites par ma moto qui tournoie et glisse sur le bitume avant de se stopper dans le bac à gravier. Les mains en l'air pour ne pas me les brûler dans la glissade, j'arrive fort vers ma moto qui s'est immobilisée. Je la percute et suis propulsée par-dessus. Instinctivement, je replie les bras pour protéger mes épaules d'une luxation pendant que je plonge en avant et fais plusieurs roulés-boulés avant de m'immobiliser face contre terre.

Je reste groggy, allongée sur le gravier. Un hurlement s'immisce brusquement dans ma tête.

— ALIIIIIIIX !

Je me retourne péniblement et vois Gaël courir vers moi. Il se jette à genoux à mes côtés et ôte rapidement son casque. Son visage est crispé d'anxiété.

— Tu es blessée ?

Je m'assois avec lenteur, encore un peu sonnée.

— Je... je ne crois pas.

J'enlève mon casque puis fais bouger mes membres avec précautions pour m'assurer qu'il n'y a pas de casse. L'airbag s'est déclenché et m'a bien protégée. Mes bottes m'ont aussi évité de me fracasser sur la moto. Je ne ressens pas de douleur particulière à part quelques échauffements au niveau de la cuisse, du genou et de l'intérieur du bras qui a frotté sur le bitume. Probablement des dermabrasions.

— Tu as mal quelque part ?

— Ça... ça va.

Il m'aide à me relever, passant un bras autour de ma taille. Je me redresse lentement en prenant appui sur lui.

Dès que je suis debout, le comportement de Mervans change radicalement. Ses sourcils se froncent, son regard se durcit, et d'un coup, il gueule :

— Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ! Putain de merde !

Encore sous le choc de ma chute, je suis incapable de répondre et le regarde fixement.

— Tu aurais pu nous tuer avec tes conneries ! Depuis hier, on te dit que tu prends trop de risques ! Non seulement tu n'en tiens pas compte, mais tu pousses encore plus loin ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Tu es suicidaire ou quoi ?

Je n'écoute pas ses invectives. Je le laisse s'agiter en gueulant, mon esprit étant comme paralysé. Les souvenirs de l'accident de Lucas tournent en boucle dans ma tête. Les images de sa moto et de la mienne s'entremêlent. Je revois le corps de mon frère rouler puis s'immobiliser dans le même bac à gravier où je suis. Il était quelques mètres plus loin quand sa Suzuki l'a écrasé. Machinalement, je tourne la tête pour chercher l'empreinte de son corps, la carcasse de sa bécane et les débris épars. Même si ma vision est floue, je me rends compte qu'il n'y a rien à l'emplacement où devrait se tenir Lucas. Une tache de couleur bleue attire mon regard un peu plus sur la droite. Une moto est couchée à quelques mètres de moi. Ma moto. Non loin de là il y a des fragments de carénage et une autre bécane gît aussi sur le côté. Celle de Gaël.

Ses beuglements percent de nouveau le brouillard qui m'entoure. D'autres voix se mêlent à la sienne. Probablement des commissaires de piste ou du personnel de maintenance du circuit. Une main s'empare de mon bras et me tire doucement en arrière tandis que quelqu'un prend ma défense :

— Tu la fermes, Gaël ! Tu ne vois pas qu'elle est en état de choc ? Vous vous expliquerez plus tard.

J'entends parler autour de moi sans vraiment comprendre ce qui se dit. Alors que l'on me fait asseoir dans une voiture garée au bord de la piste pour m'emmener au poste médical, une pensée se fraye un chemin dans ma tête : j'ai merdé. Dans les grandes largeurs. J'ai probablement foutu en l'air mon rêve en voulant rendre mon frère fier de moi.

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Une grosse frayeur pour Alix et Gaël. Gaël est visiblement fou de rage. Quelles vont être les conséquences de la chute d'Alix ? Gaël va-t-il demander son exclusion du team ?

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