Ma mère se tenait devant moi,un sourire niais aux lèvres les yeux vides.
Son fauteuil roulant semblait l'avaler tant elle était maigre et pâle.

-Bonne journée Alicia, me déclara ma mère les yeux rempli d'un brouillard impénétrable.
-Merde,pensais-je,elle refait une crise!Pourquoi maintenant?

Doucement pour ne pas froisser mon chemisier,je m'accroupis pour me mettre au niveau de ma mère et saisis son minuscule visage dévoré par la déprime et la folie entre mes mains:
-Maman?C'est moi...C'est Ashley qui te parle...Ce n'est pas Alicia...Tu te rappelles?

Je parlais très lentement en bougeant distinctement mes lèvres pour qu'elle comprenne bien.Ses grands yeux gris et rêveurs me mettait dans un étrange état de torpeur et de fatigue mais je ne céda pas et répéta ma question jusqu'à ce qu'elle me réponde:
-Mais alors...C'est qui Alicia ?

J'inspire profondément et lui dit doucement:
-Écoute Maman...On va refaire ensemble l'exercice du médecin d'accord?
Ma mère hoche la tête et répète mécaniquement ce que le docteur lui a fait apprendre par cœur.Je calque mon rythme sur le sien et nous répétons doucement:
-Je m'appelle Anaïs Johnson et j'ai 42 ans.J'ai un mari qui s'appelle Arthur qui a 44 ans et une fille qui s'appelle Ashley qui a 16 ans.J'aime bien cuisiner et lire des romans épistolaires.J'habite en Californie,mais je suis née en Floride...

La litanie continua jusqu'au moment où ma mère retrouva le fil de ses pensées et un semblant de normalité.
-Alors...Alicia ce n'est que ma cousine!
J'hocha la tête contente que sa crise soit passée.
Je me leva très doucement sans la lâcher du regard avant de jeter un coup d'œil à ma montre et de me retenir de lâcher un juron.
J'étais en retard!J'allais louper mon bus!

Mais avec la même douceur qui me caractérisait quand j'étais avec maman je lui déposa un baiser sur la joue et lui murmura:
-Maman?Je vais partir au lycée...Je rentre ce soir d'accord ?Si tu as un problème appelle Papa!

Le regard rêveur de ma mère me transperça comme un laser et elle me salua de la main tandis que je quittai lentement l'entrée.
C'était son médecin qui nous avait dit qu'il ne fallait surtout pas parler trop fort,bouger trop vite ou nous énerver devant ma mère.Cela pourrait la déstabiliser et lui donner une crise.

Alors j'attendis d'avoir délicatement fermée la porte pour me mettre à courir jusqu'à l'arrêt de bus tout en me répétant mentalement comme une sinistre chanson:
-Elle avait le regard rêveur,elle avait le regard rêveur,elle avait le regard rêveur...

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