8.
Chapitre 8
Armé de la télécommande, Hayden avait fait défiler de nombreuses chaînes avant de porter son choix sur le canal d'ABC qui rediffusait une émission de Good Morning America : celle-là même dans laquelle lui et son groupe avaient fait une apparition le matin de l'accident.
Le jeune homme était conscient que son visage n'apparaîtrait pas à l'écran, cependant, il ne voulait pas louper la prestation des Sound Evidences à la fin de l'émission. Tandis que d'autres invités sans intérêt se succédaient sur le plateau, Hayden coupa le son et se leva pour s'assurer que Cassie était encore endormie.
Du bas du lit superposé où elle était perchée, il apercevait tout juste son visage. Ses yeux clos et sa respiration régulière lui confirmèrent qu'elle dormait encore profondément. Durant la nuit, son sommeil avait été mouvementé : Hayden n'avait jamais vu quelqu'un dormir dans une agitation aussi marquée.
Cette situation contrastait radicalement avec le calme qui émanait à présent d'elle. Son visage serein et détendu révélait une douceur indiscutable. Face à ce spectacle, son regret de l'avoir froissé à cause de son comportement de la veille n'en fut que décuplé. Déterminé à se rattraper, il entreprit de lui concocter un petit-déjeuner digne de ce nom.
Quelques minutes plus tard, réveillée par l'odeur du pain grillé, Cassie étira soigneusement chacune des parties de son corps et adopta une position lui permettant d'observer en toute discrétion son invité. Bien qu'elle n'avait pas été si silencieuse que cela, Hayden ne se rendit compte de rien. Toute son attention voguait entre la télévision et ce bout de papier sur lequel il gribouillait quelque chose avec concentration.
Cassie ne comprit pas ce qu'il faisait, mais le mauvais souvenir de la soirée qu'ils avaient passé la veille éclipsa ses interrogations.
Soudainement, l'odeur alléchante de pain grillé qui flottait autour d'eux muta en une repoussante senteur de brûlé. Hayden poussa un juron et se brûla les doigts en tentant vainement de sortir la brioche carbonisée du grille-pain. Cassie laissa échapper un rire enfantin en observant cette scène. Bien décidé à répondre de sa moquerie, Hayden lui lança un coussin en pleine figure en s'écriant avec bonne humeur :
— Debout flemmarde ! Viens manger.
— Va te faire voir Monsieur le pro du grille-pain grogna-t-elle amusée en se cachant sous les draps.
— Même brulé, je suis sûr que c'est tout de même très bon !
Cassie ne lui répondit pas, seul un rire étouffé s'échappa de sa cachette lorsqu'elle le vit gratter sa tartine carbonisée en grimaçant.
— Si je ne savais pas que tu étais seule là-haut, j'imaginerais des choses en t'entendant glousser comme cela. Tu ne veux pas venir tant pis, je mange sans toi.
Elle quitta finalement son lit, en se laissant tomber jusqu'au sol avec lourdeur dans un soupir qui ne put échapper à Hayden.
— Allez, ne me dis pas que tu fais partie de ces gens qui ne sont pas du matin. Le soleil brille, c'est une journée pleine de promesses !
Cassie n'aimait pas se lever tôt et encore moins les personnes qui osaient sortir ce genre de diction stupide. Elle grimaça en se disant que de tout de façon Hayden ne méritait pas sa bonne humeur vu son comportement de la veille.
— Je suis toujours fâchée contre toi alors n'attend pas de moi que je te fasse la conversation. Je ne suis pas d'humeur à ça. J'aurais préféré rester au lit, bougonna Cassie en attrapant la boite de céréales.
Hayden observa avec étonnement cette fille aux cheveux ébouriffés vêtue d'un pyjama rose en coton adorablement repoussant. Toutes celles qu'il surprenait à la sortie du lit étaient du genre à se précipiter directement à la salle de bain pour se maquiller et se vêtir d'une tenue affriolante hors de prix pour lui plaire. Cassie était différente et son naturel lui plaisait indéniablement.
— Je t'ai déjà dit ça ne me pose pas de problème que tu me détestes.
— Je t'ignore, je ne te déteste pas. En fait, je m'en fous de toi grommela-t-elle agacée par la réponse qu'il lui avait donnée avant de craquer avec vigueur les céréales dans sa bouche.
— Je ne te crois pas, il y a une minute tu disais être furieuse.
— Va au diable !
— Ha je préfère ça s'esclaffa-t-il en lui servant du jus d'orange.
Leurs échanges auraient pu s'éterniser longtemps s'ils n'avaient pas été interrompus par l'apparition des Sound Evidences à la télévision. Hayden faillit laisser tomber le verre qu'il tendait à Cassie, tant son regard fut happé par l'écran. Celui de Cassie se figea sur le visage décomposé d'Hayden qui crispait nerveusement ses doigts sur le dossier de la chaise en face de lui. Que pouvait-il ressentir ? Cassie n'en avait aucune idée. Le son étant toujours coupé, un silence pesant planait dans la pièce. Si Hayden tenta de contenir son émotion du mieux qu'il le pouvait, il préféra finalement éteindre la télévision et faire comme si rien ne s'était passé.
***
Cassie suivait Hayden avec curiosité à travers les rues de Manhattan. Lorsqu'il avait émis le souhait de l'emmener quelque part, elle n'avait pas eu le courage de refuser sa proposition. Comment lui dire non après le choc qu'il avait subi en réalisant une fois de plus qu'il ne faisait pas partie de ce groupe ? Elle avait fini par se dire que l'idée n'était pas si mauvaise même si elle redoutait que cette sortie mystérieuse tourne au désastre tant leurs univers étaient opposés.
Après quelques minutes de marche le long de la 5e avenue, Hayden bifurqua sur la 53e en direction d'un imposant bâtiment. Cassie en apercevant les lettres "MoMa" apposées sur le building de verre, se demanda un instant qu'il ne s'était pas trompé d'endroit, mais quand il lui tint la porte pour l'invité à entrer elle sut qu'il n'en était rien. Voilà deux ans qu'elle habitait à New York et jamais elle n'avait pris la peine d'y mettre les pieds.
Un musée d'art moderne. Hayden s'y connaissait-il en arts ? N'ayant pas envie de le froisser en lui posant la question elle se contenta de lui demander s'il avait déjà visité ce musée. Sa réponse fut négative, pourtant il ne faisait aucun doute : Hayden était dans son élément. Il l'entraîna jusqu'au second étage. Ils traversèrent plusieurs galeries au pas de course jusqu'à ce qu'Hayden s'arrête brusquement devant un tableau en affichant un sourire de satisfaction non dissimulé.
Cassie ne comprit pas ce que cette toile avait de plus que les autres. C'était de l'abstrait : autrement dit à ses yeux, quelque chose qui ne représentait rien et qui n'avait aucune utilité.
— Je ne savais pas que tu aimais l'art remarqua-t-elle en s'efforçant de percevoir dans cette œuvre autre chose qu'une toile gigantesque où un abruti avait renversé un pot de peinture.
— Jackson Pollock... J'adore cet artiste. Je possède une de ses œuvres. Je sais, c'est un peu égoïste d'avoir un tableau pareil chez soi... Mais on m'a conseillé d'investir dans l'art et j'ai fini par me prendre au jeu précisa-t-il sans réfléchir.
Cassie pensa qu'il se moquait d'elle. Vrai ou faux, qu'importe, pour elle, il fallait être un petit malin pour acheter une toile pareille et l'être encore plus pour dire qu'on l'avait fait sans que cela ne soit le cas. La situation devint d'autant plus risible à ses yeux que l'œuvre en question s'intitulait : "Number 1A".
— Laisse-moi deviner... Tu as le B48 ? supposa-t-elle dans un éclat de rire qui se propagea à travers l'immense salle de la galerie.
Un gardien qui passait par là, fronça des yeux dans leur direction et les invita à faire silence. S'ils furent obéissants, cela n'empêcha pas Cassie de se rapprocher d'Hayden pour lui chuchoter avec malice :
— Avoues, tu as les boules de ne pas avoir celui-ci.
Hayden lui expliqua qu'elle avait tort, le tableau en question étant bien plus grande que le sien et celui-ci ce ne serait pas rentré chez lui.
— Hum, je te pensai plus ambitieux que cela... le provoqua-t-elle avant de lui faire remarquer le manque d'originalité du nom de cette œuvre.
— Cet artiste ne donne pas de titre à ses tableaux, car il veut laisser libre à tous d'y voir et trouver ce qu'il veut.
— Hum, concept aussi pratique qu'intéressant...
— Qu'y vois-tu ? lui demanda-t-il avec excitation.
— Ho non, je n'y connais rien en art.
— C'est-ce qui est intéressant tu n'as aucune idée préconçue. Qu'est-ce qu'il t'évoque ? Dis-moi instinctivement tous les mots qui te passent par la tête. Ne réfléchis pas.
— Couleur, Gâchis, Bêtise, Accident, Arnaque...
Hayden était conscient que la tâche ne serait pas facile. La plupart de ses amis étaient tout autant réfractaires à l'art et il n'arrivait qu'en de rares cas à les faire changer d'avis.
— Et derrière tout ça ?
— Derrière tout cela ? Heu, le mur ? répondit-elle en ne voyant pas où il voulait en venir.
Hayden esquissa naturellement un sourire et lui expliqua :
— Il faut se dire que ce tableau ce n'est pas une seule image, mais plusieurs couches de peinture empilées les unes sur les autres. Les gens pensent trop facilement que seule la surface compte parce que c'est facile de voir ainsi, mais l'essentiel se cache derrière tout ce qui est caché... Essaie encore. Vois au-delà de tout cela, écoute tes émotions, ne regarde pas l'image, mais concentre-toi sur tous les sentiments que cette toile provoque en toi.
Cassie vida son esprit et se concentra sur le tableau sans trop y croire.
— La fougue, l'inattendu, le hasard, le destin, l'amour lâcha-t-elle instinctivement.
S'il fut heureux de cette victoire, Cassie encore interloquée laissa longuement ses yeux rivés sur la peinture, en se demandant comment elle avait pu ressentait autant de choses à son sujet.
Hayden la laissa dans sa contemplation et s'approcha d'une autre toile, même si son attention ne quittait pas la jeune femme. Il jeta plusieurs coups d'œil dans sa direction et se mit à l'observer comme il l'aurait fait pour un de ces tableaux. Il ne pouvait pas expliquer cela, mais il trouvait apaisant le fait de la regarder. Elle n'était pas plus belle que les autres, mais comme une œuvre d'art celle-ci avait inexplicablement le don de lui faire ressentir des choses enfuies au plus profond de lui.
— La fougue, l'inattendu, le hasard, le destin, l'amour... murmura-t-il en la regardant sans qu'elle ne l'entende.
De son côté, Cassie admit qu'Hayden avait raison, le jugement qu'elle portait aux autres était rapide et elle n'avait guère cherché à voir en Hayden plus que ce qu'il avait voulu lui montrer. Elle porta son regard en sa direction, ses prunelles d'un vert presque turquoise étaient comme une mer dans laquelle elle rêvait de plonger, une mer qui elle l'était sûre, regorgeait de merveilles inexplorées.
— Crois-tu qu'un jour, je pourrais voir ce qu'il y a au fond de toi ?
— Je le souhaite de tout mon cœur, il n'y a que comme ça que tu m'aimeras parce que tout ce que je montre aux gens est sacrement moche.
— Tu veux que je t'aime ? s'étonna-t-elle.
Il hocha des épaules cherchant à se justifier, mais lui-même ne savait pas vraiment pourquoi il désirait cela.
— J'ai dit cela instinctivement. J'aimerai que tu m'apprécies, mais pas au point de tomber amoureuse de moi, même si j'imagine ce genre de choses n'est malheureusement pas contrôlable.
— Tu penses sérieusement pouvoir me faire tomber amoureuse de toi ? lui demanda-elle avec perplexité.
— Ce n'est qu'une question de jours, deux semaines tout au plus... Les gens s'attachent vite à moi. C'est inévitable. Je passe pour un con et un prétentieux en te disant cela je te l'accorde je le suis peut-être, mais en général, c'est-ce qui arrive.
— Tu n'es ni con ni prétentieux ou peut-être juste en surface, derrière tout cela tu n'es pas comme ça. J'en suis certaine.
Hayden ne sut quoi répondre, ne sachant pas lui-même ce qu'il cachait au plus profond de lui.
— Je suis désolé pour hier soir se contenta-t-il de dire alors qu'ils exploraient les autres pièces du musée.
— Je sais, tu as des besoins...
— Pas ce genre de besoin. Hier soir je voulais me prouver que je pouvais plaire, que mon succès avec les femmes ne dépendait pas de ma notoriété. C'est stupide... Mais je suis ainsi, j'ai besoin qu'on me regarde, j'ai besoin qu'on m'admire. J'ai toujours cherché cela. Mon père s'est tiré lorsque j'étais gosse, il parait que c'est lié. Un psy m'a expliqué ça un jour, mais j'ose croire que ça n'a rien à voir, parce que ça me ferait chier que mon père ait pu influencer à ce point l'homme que je suis devenu.
— Les psys disent des tas de trucs stupides... Ce n'est pas dur de voir que tu te caches derrière un personnage que tu n'es pas. Je l'ai senti au premier coup d'œil le jour où on s'est rencontrés.
— Je garde ce que j'ai en moi pour des personnes qui comptent vraiment. Je suis très exposé à cause des médias, ils pensent tout savoir de moi, mais en réalité je le leur laisse pas voir qui je suis vraiment, c'est comme une protection. Un moyen de survivre.
Cassie gênée par le sous-entendu de cet aveu réorienta leur conversation :
— Et toi que vois-tu en moi ? Laisse-moi deviner je suis une fille minable qui croit naïvement au prince charmant. Avoue, je ne me vexerai pas.
— Non, tu es la fille la plus forte que je n'ai jamais vue. Tu es comme Don Quichotte, tu te bats désespérément contre des moulins à vent. Tu ne te bats pas pour les bonnes choses, mais peu importe. Tu te bats et c'est l'essentiel. Il te manque juste une bonne raison de faire cela, une raison qui donne un sens à ta vie.
Sentant le malaise de Cassie, il s'empressa d'ajouter :
— Et n'oublie pas : tu es une Nelson Mandela des phrases tu les rends libre d'aller dans la direction qu'elles veulent, c'est déjà une noble cause. Je t'adore rien que pour ça.
Cassie fut naturellement touchée par ses mots, néanmoins elle restait persuadée qu'Hayden serait déçu en découvrant ce qu'elle cachait au fond d'elle :
— Peut-être qu'il y a une part d'ombre en moi que tu n'as pas encore découverte, lui lança-t-elle d'une voix tendue.
— Chacun a son lot de sales histoires CassieSi un jour je trouve ta zone d'ombre, j'allumerai une flamme pour qu'elle disparaisse.
Cassie pivota sur elle-même, faisant semblant d'être attirée par un montage artistique afin qu'il ne puisse pas voir ses yeux se remplir de larmes. Ce n'étaient pas des larmes de tristesse ou de joie, mais des larmes d'espoir. Des larmes qu'elle se retenait de faire couler pour celui-ci ne s'envolent pas. Était-il possible qu'Hayden arrive à faire une telle chose : éclairer sa vie comme elle l'avait été autrefois ? Jusqu'à présent personne n'y était arrivé, mais elle avait toutes les raisons de croire qu'Hayden n'était pas personne.
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