6.

Chapitre 6 

Hayden était déçu. Certes, il ne s'était pas attendu à un défilé de pom-pom-girl, mais n'avait pas imaginé non plus suivre un cours incompréhensible, dans un amphi vétuste rempli d'élèves qui tout comme lui se sentaient visiblement très peu concernés par ce que le prof leur racontait.

Un soupir s'échappa de ses lèvres tant il regrettait d'avoir accompagné Cassie à son cours même s'il savait pertinemment qu'il n'aurait de tout de façon rien trouvé de mieux à faire.

Lui qui avait quitté le lycée avant même d'obtenir son diplôme pour se lancer dans la musique, avait dû se contenter d'imaginer une vie étudiante basée sur ces films et séries américaines bourrés de clichés. Cette vie, il l'avait longtemps idéalisée de la même façon que beaucoup idéalisaient la sienne. À présent, il était sûr d'une chose : cette existence n'était pas faite pour lui.

— Devine quoi, je viens de trouver ce que je ferais si je n'avais plus qu'une heure à vivre, chuchota-t-il à Cassie.

Assise à côté de lui, celle-ci l'écouta d'une oreille distraite, encore absorbée par le cours qu'elle trouvait contrairement à lui passionnant.

— Hey bien, poursuivit-il. Je resterais là, pas pour suivre le cours, mais parce qu'on dirait qu'ici le temps a décidé de s'arrêter. Franchement, tu ne trouves pas qu'il y a un sacré problème ? Les minutes durent des milliards d'années !

Les idioties qu'il lui sortait avaient le don de l'amuser et cette remarque n'y échappa pas. Cassie esquissa un sourire à son encontre et répliqua sur un ton exagérément sérieux :

— Hum, il existerait donc une faille spacieuse temporaire dans ce monde en plus de tout le reste ?

Sans qu'elle ne le veuille, cette plaisanterie blessa Hayden. Suite à leur découverte de la veille, le jeune homme avait préféré ne pas s'acharner auprès d'elle pour la convaincre qu'il venait d'un autre monde comme il en était persuadé. Il faut dire que celle-ci n'avait pas non plus insisté pour connaitre sa théorie et voilà qu'elle s'en moquait ouvertement.

Lui, disparaissant mystérieusement sur le chemin de son audition et ses parents encore mariés...

Hayden aurait dû se réjouir de ce petit détail, mais comment le pouvait-il ? Sa mémoire gardait en lui l'image d'un père froid et distant. Un homme qui s'était tiré du jour au lendemain laissant sa mère se débrouiller seul pour l'élever lui et sa sœur. Après son départ, il n'avait plus vraiment donné de nouvelles, jusqu'à ce que son fils commence à percer dans la musique. Était-ce un hasard ? Voir son fils à la une des journaux avait visiblement éveillé son instinct paternel, c'était la théorie de sa mère qui d'une gentillesse à toute épreuve ne lui gardait aucune rancœur. Hayden quant à lui avait refusé de renouer avec lui, jugeant qu'il était bien trop tard pour rattraper toutes les larmes qu'il avait versées ainsi que les nombreux sacrifices qu'avait endurés sa mère pour les élever.

En y repensant, une angoisse monta en lui et ce lieu ne l'aidait pas à calmer ce sentiment croissant d'étouffement. Il ne se sentait pas à sa place dans cet amphi, même si cette impression lui collait à la peau de partout où il se trouvait. Se sentant observé, il aurait voulu instinctivement déguerpir, mais s'y refusa trouvant insensé qu'une cinquantaine d'étudiants puissent le rendre nerveux, lui qui performait régulièrement dans des salles de concert bondées aussi banalement que quelqu'un irait acheter son pain.

Pourquoi les choses lui semblaient si différentes ? Il n'avait aucune réponse si ce n'est que ce monde n'était pas fait pour lui. Lorsqu'il fit part de cette impression à Cassie, celle-ci lui rappela qu'il était sans doute normal qu'on le scrute vu ses tatouages et ses cheveux en bataille. Hayden fit la mou tout en passant la main dans sa chevelure pour tenter en vain de dompter sa tignasse.

— Plus que vingt minutes lui chuchota-t-elle pour l'encourager.

Hayden observa chaque élève autour de lui, essayant de démasquer qui pouvait bien le dévisager avec autant d'insistance. Sans succès, il reporta son attention sur les multiples cercles qu'avait dessinés Cassie sur la marge de ses feuilles. Puis, ce fut son écriture qui l'intrigua, il n'en avait jamais vu de telles, ses phrases non linéaires formaient d'où il se trouvait comme une partition de musique dont les notes alternaient de manière totalement aléatoire montée dans les aiguës et descente dans les graves.

Original, mais presque totalement illisible.

— Moi qui pensais que tu étais une maniaque de l'ordre et des choses carrés, tu écris n'importe comment.

— J'aime les règles et les classements, mais pourquoi les phrases devraient toujours filer droit ? Avec moi elles se perdent et vont où elles veulent.

— Quelle noble cause cela ferait donc de toi une Nelson Mandela des phases ?

Elle n'avait jamais vu les choses de cette façon, mais le point de vue d'Hayden lui plaisait drôlement.

— Ouais affirma-t-elle fièrement.

D'habitude on se contentait de dire qu'elle avait une écriture illisible. Il faut croire qu'Hayden avait le don de voir chacun de ses défauts comme une qualité.

La voyant reporter son attention sur le cours, Hayden renonça à la déranger davantage. Il décida à observer le mur blanc situé à sa gauche en se disant que ce passe-temps n'était pas plus bête qu'un autre jusqu'au moment où une fille assise derrière eux interpella discrètement Cassie.

— Hey Cassie ! Tu viens à la fête de ce soir ?

— Les soirées étudiantes, ce n'est pas vraiment mon truc je préfère me préserver pour demain je vais au concert des... répondit-elle sans continuer sa phrase.

Devinant qu'elle n'avait visiblement pas envie d'avouer qu'elle se rendait à leur concert, Hayden fut légèrement vexé. Était-ce une honte d'aller voir les Sound Evidences ? Son groupe était cool et populaire, peut-être un peu commercial, mais il ne voyait pas où était le problème.

— Tu parles d'un bal de fin d'études ? intervint-il en se retournant vers cette fille.

— Il sort d'où celui-là ? répliqua celle-ci en le relookant de la tête aux pieds.

— C'est mon correspondant Anglais, tu sais l'échange entre universités... expliqua Cassie se justifier.

Cassie avait toujours pensé que les Anglais étaient bizarres alors cette excuse lui sembla toute trouvée. La fille osa des épaules pour signifier qu'elle s'en fichant même si elle ne résista pas à la tentation de lui répondre sur un ton légèrement hautin :

— Ce n'est pas un bal, on n'a pas quinze ans ! Si tu es curieux et que tu convaincs Cassie de t'accompagner, tu pourras découvrir ce qu'est une vraie fête américaine !

Hayden fut emballé par cette idée, cela faisait une éternité qu'il n'était pas sorti faire la fête et lui qui en avait l'habitude estimait en avoir follement besoin. Cassie ne semblait pas de son avis, mais peu importe il savait qu'il finirait par la convaincre.

Le cours s'acheva sans qu'Hayden n'arrive à comprendre le sujet du cours ce qui le persuada que tout ceci n'était qu'une perte de temps.

— Tu penses vraiment que cela te sera utile plus tard pour gagner ta vie ? demanda-t-il à Cassie en l'aidant à ramasser les sept feuilles qu'elle avait remplies.

Cassie émit un profond soupir. L'avenir. Pourquoi les gens n'avaient que cela à la bouche ? Hayden avait même utilisé le terme « Gagner sa vie ». Quelle drôle d'expression ! Sa vie, elle estimait l'avoir déjà gagné il y a longtemps en payant le prix fort.

— Que veux-tu faire plus tard ? insista-t-il face à son silence.

Cassie n'aimait pas qu'on lui pose ce genre de questions n'ayant jamais de réponse claire en tête. Il faut dire qu'elle s'était toujours imaginé mourir avant ses vingt-cinq ans, d'une maladie lente et douloureuse ou bien d'un accident de moto. Le problème c'est qu'elle n'en faisait pas et qu'elle se sentait depuis toujours en parfaite santé.

L'avenir. Un jour, peut-être. Pas maintenant. Elle n'avait pas le temps, estimant devoir se concentrer sur des choses plus importantes comme profiter de la vie et rattraper cette adolescence qu'elle n'avait pas vécue.

— Vivre, juste vivre... se contenta-t-elle de lui répondre.

— Concrètement, ce n'est pas en étudiant des trucs inutiles que tu profiteras de la vie.

— Étudier est un luxe que je n'ai pas toujours eu. J'ai loupé la moitié de ma scolarité au lycée, alors ici je me fais les souvenirs que je n'ai pas eus.

Hayden mourait d'envie d'en savoir plus, mais devinant qu'elle ne se confirait certainement pas dans le couloir bondé de cette université, il n'insista pas et garda le silence.

— Je dois étudier pour comprendre le monde qui m'entoure pouvoir raisonner par moi-même, être libre de prendre mes propres décisions.

Hayden reconnut que c'était ambitieux. Prendre ses propres décisions : un objectif qui lui-même n'avait jamais eu la prétention d'atteindre malgré cette détermination sans limites qui l'avait toujours habité et qui l'avait mené jusque sous les feux des projecteurs.



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