29.

Lorsque Cassie revint à elle, hormis le soleil qui brillait au zénith, rien n'avait changé autour d'elle. La terre sous ses mains, la forêt qui l'entourait, cette brise hivernale qui soulevait ses cheveux : tout semblait identique et pourtant Hayden était bel et bien parti. Cassie referma ses yeux pour ne pas avoir à affronter cette réalité, mais cette précaution se révéla inutile tant son absence créait déjà un poids énorme dans sa poitrine.


N'avoir pas su retenir Hayden la remplit d'une rancœur qui se transforma au fil de ses pas en une colère qu'elle ne parvenait plus à contrôler. Sa route la mena jusqu'au bord du lac et sans réfléchir à la conséquence de son geste, Cassie en profita pour jeter ce maudit caillou au fond de l'eau. Il était responsable du départ d'Hayden, elle ne voulait plus en entendre parler.


Alors qu'elle conduisait, Cassie aperçut le sweat d'Hayden sur le siège passager et ne résista pas au besoin de toucher du bout de ses doigts la capuche de celui-ci. Lorsqu'elle l'avait rencontré, Hayden la mettait souvent pour se protéger de tout ce qui lui faisait peur. Durant les derniers jours qu'ils avaient passés ensemble, il n'avait plus éprouvé le besoin de l'enfiler. À présent, c'était Cassie qui s'y accrochait précieusement.

Sa route lui fit traverser le centre-ville de Glinwood où comme toujours rien n'avait changé.

— Les gens partent, mais le monde continue de tourner, souffla Cassie avec incompréhension.

Elle acheva son voyage devant la maison familiale. La voiture de ses parents garée dans l'allée lui indiqua qu'ils étaient rentrés. Elle aurait préféré être seule, afin d'être libre d'exprimer son chagrin encore quelques heures. Mais il en été ainsi.

Cherchant la force de retourner à sa petite vie, elle attendit quelques secondes avant de rentrer à l'intérieur. Lorsqu'elle le fit, Cassie ne répondit pas à la salutation de sa mère et monta directement à l'étage de crainte que celle-ci ne lui parle d'Hayden. À peine eut-elle rejoint sa chambre, son cri résonna dans toute la maison. Sa mère alarmée accourut auprès d'elle.

— Qu'est-ce qui s'est passé ici ? lui demanda Cassie sous le choc. Tout est rose. Rose. Entièrement rose !

— Ta chambre a toujours été ainsi chérie, poussa sa mère d'une voix étonnée.

Impossible.

Avec effroi, Cassie inspecta les murs dont la peinture défraichie s'écaillait dans les coins. Comme avant... comme si Hayden n'avait jamais repeint quoi que ce soit. Un doute terrible lui coupa le souffle.

— Maman quel jour sommes-nous ?

Face à la flagrante désorientation de sa fille, Mme Evans fit immédiatement le lien avec les crises qu'avait subies Cassie des années auparavant.

— Tu as à nouveau des trous de mémoire ? As-tu pris tes médicaments ce matin ? s'inquiéta-t-elle en vérifiant la boite de médicament posé sur la table de nuit.

— Quel jour sommes-nous ? insista Cassie.

— Mardi, ma chérie. Qu'est-ce qui ne va pas ?

Cassie conclut avec soulagement qu'elle n'avait pas remonté le temps. Néanmoins la situation n'en restait pas moins inexplicable.

— Hayden est parti et tout ce qui allait avec... résuma-t-elle d'une faible voix.

Qui est Hayden ?

Le cœur battant, Cassie leva son regard sur sa mère. Son visage était grave et inquiet. Elle ne plaisantait pas et réitéra sa question. Cassie se tendit. Sans trop savoir pourquoi son instinct lui dicta de s'enfuir loin de cet enfer. Comme si elle avait prédit son geste, sa mère lui barra le passage dans les escaliers. Impossible de descendre sans s'en prendre à elle. Cassie l'envisagea pourtant une seconde. Effrayée de cela, elle s'écarta brutalement de sa mère et se réfugia dans la salle de bain. Derrière la porte verrouillée, elle tentait de retrouver ses esprits malgré les cris de ses parents qui exigeaient d'elle qu'elle débloque la serrure. Face au miroir, Cassie paniqua. Tout se retournait contre elle. Sa mère qui ne semblait pas prête à la laisser tranquille s'entretenait à présent au téléphone avec le médecin.

— Hayden, j'ai besoin de toi, ça ne peut se terminer ainsi, sanglota-t-elle devant la glace. Il doit bien y avoir un moyen de changer les choses. Ça ne peut pas finir ainsi. Il doit y avoir un moyen. Je ne peux pas rester ici, s'il l'a fait je peux le faire aussi... Mais comment aller là-bas ?

« Carmen » pensa-t-elle alors. D'après ce qu'elle avait compris cette femme s'était montée peu coopérative avec Hayden, mais avait su répondre à ses questions. De ses mains tremblotantes, elle sortit son téléphone de sa poche et s'empressa de parcourir l'historique de ses appels pour trouver son numéro. Son temps était compté, sa mère ne serait pas occupée indéfiniment au téléphone. Par chance, celle-ci décrocha à la première sonnerie.

— Vous êtes Carmen ? demanda Cassie d'une voix hésitante.

— C'est moi-même.

— Je m'appelle Cassie, je suis une amie d'Hayden. Il est reparti là-bas, il ne reste plus rien de lui, tout le reste a disparu expliqua-t-elle à toute vitesse.

Malgré son discours incohérent, Carmen comprit parfaitement la situation et n'émit qu'un profond soupir en guise de réponse.

— Je dois aller le rejoindre, son monde sera le mien, je vous en supplie, je vous donnerai ce que vous voulez.

— Non.

— Quoi ? Mais vous ne comprenez pas. Je ne peux pas rester ici. En l'amenant ici, vous vouliez protéger Hayden n'est-ce pas ? Laissez-moi l'aider là-bas.

— Impossible.

— Pourquoi ? se désespéra Cassie. Parce que je ne suis pas connu ? Si vous refusez, je le ferais moi-même, dites-moi juste comment procéder. Il me faut une autre pierre de lune n'est-ce pas ? Je pourrai en chercher une, peut-être que...

— Une pierre de lune ? L'interrompit Carmen. C'est ainsi qu'il est reparti ? C'est irresponsable d'utiliser un objet aussi puissant.

— Peu importe, je dois retourner là-bas !

— Oublie cette idée. Quels qu'en soient les moyens, tu ne peux pas y aller pour la simple et bonne raison que tu y es déjà. Il y a une Cassie dans son monde et Hayden a pu venir jusqu'ici uniquement parce que la place était libre. Il en était ainsi parce son destin était ici.

— Je ne comprends pas. Dans ce cas, pourquoi n'est-il pas resté ? sanglota Cassie.

— Parce que si on peut être aveuglé par l'amour, bien souvent nous le sommes davantage par tout ce qui nous empêche de le vivre.

Cassie se tut. Si cela lui était effectivement impossible quelle autre option lui restaient-ils ?

— Donc je dois rester ici avec tous mes souvenirs ? conclut-elle sans le croire.

— Tu aurais dû oublier toi aussi sa venue, mais tu es différente, il faut croire que les éléments agissent d'une tout autre façon sur toi. Certains phénomènes ne t'atteignent pas contrairement à d'autres que tu ressens plus que n'importe qui.

— J'aurais dû oublier ? Attendez, est-ce que vous voulez dire qu'Hayden a oublié ? Non, il ne peut... je... non ! Il est différent lui aussi, il ne peut pas avoir oublié !

— Fais très attention Cassie, tes capacités sont une force extraordinaire, mais si tu les laisses te dépasser, elles courront à ta perte. Les dés ont été jetés, ton destin est déjà scellé, je ne peux rien faire pour toi, conclut la vieille dame en mettant fin à leur conversation.

Cassie laissa échapper son téléphone qui tomba avec fracas sur le sol. Comme si son cœur s'était arrêté, elle se sentait vidée de toutes émotions. Le vide, seulement le vide... Un bruit de serrure la sortit de sa consternation. Sa mère tentait de déverrouiller la porte à l'aide d'un tournevis. Le verrou ne résista pas longtemps et celle-ci pénétra dans la pièce en s'écriant :

— Ça recommence n'est-ce pas ?

Cassie tressaillit tant ces mots lui firent réaliser la gravité de la situation. Sa mère ne pouvait pas la croire folle une fois de plus. Cela n'avait rien à voir, tout était si différent...

— Je peux tout t'expliquer, Hayden a passé Noël avec nous. Il est parti et maintenant c'est comme s'il n'était jamais venu.

— Hayden ? Est-ce qu'il s'agit d'une de ces voix que tu entends dans ta tête ? Un de tes amis imaginaires ?

Un instant, le cœur de Cassie s'emballa à cette idée avant que celle-ci ne la rejette fermement.

— Non, il est réel ! Il était là. Je n'ai rien inventé !

Cassie paniqua. Elle avait besoin d'Hayden et plus urgemment d'une preuve de son existence. Elle n'était pas folle, tout cela était derrière elle. Elle n'avait pas pu l'imaginer. Impossible...

— Sa veste. Sa veste est dans sa voiture ! s'écria-t-elle avant de sortir avec précipitation de la maison.

En arrivant près de son pick-up, Cassie se sentit défaillir : l'habit en question avait disparu. Elle attendit quelques secondes espérant que son tour viendrait, mais rien ne se passa hormis sa mère qui l'extirpa de force du véhicule.

— Tu ne vas nulle part tu m'entends ! On va aller voir le Dr Peterman. Tout de suite !

Même si ce médecin avait été celui qui il y a quelques années avait suggéré à ses parents de l'interner, Cassie ne se sentait pas la force d'omettre une quelconque objection. Sans se débattre, ni même avoir conscience de ce qui l'attendait, elle suivit sa mère jusqu'à la voiture familiale.

Durant le trajet, Cassie reconnut tout juste cette route où Hayden s'était arrêté pour taguer un pont dans le but de marquer son monde. Ce souvenir la sortit de sa stupeur. Avec un peu de chance, cette marque n'avait pas disparu. C'était son dernier espoir de se prouver qu'elle n'avait rien inventé.

Malgré sa demande, sa mère refusa de s'arrêter. Qu'à ne cela ne tienne, Cassie n'avait plus rien à perdre. Elle ouvrit sa portière, sauta sur le bas-côté et dévala au pas de course la pente menant jusqu'au pied du pont.

Son sourire éclaira son visage au vu des six lettres de peinture qui trônaient majestueusement sur le pilier face à elle. Remplie d'enthousiasmes, Cassie se tourna vers sa mère qui arrivait tout juste auprès d'elle :

— C'est ici qu'il a voulu marquer ce monde et cela a marché ! Son nom est toujours là !

Sa mère ne voulant pas brusquer sa fille répliqua d'une voix calme :

— Mais il n'y a rien d'écrit.

Le regard de Cassie pivota à nouveau vers le pont. La marque n'était plus là. Elle l'avait pourtant vu à peine quelques secondes auparavant. Dépassée, la jeune femme se laissa tomber à genoux sur le sol boueux.

Tandis que sa mère tentait de la relever, une voix familière perça ses sanglots :

— Est-ce que tout va bien ?

Sora ? Cassie se retourna pour être certaine de sa présence. Elle se tenait là, à quelques mètres d'elle perchée sur son cheval, le buste droit, le regard dur. Sora ! Si une personne pouvait comprendre c'était bien elle réalisa Cassie avec soulagement.

— Sora ! Dieu merci, tu dois te souvenir toi aussi ! Les choses ne t'atteignent pas tu es spécial tout comme moi !

La cavalière fronça des sourcilles et comme si elle n'avait rien entendu s'adressa à sa mère :

— Est-ce que tout va bien, Mme Evans ?

— Dis-lui que tu connais Hayden, qu'il était bien là ! Tu le sais n'est-ce pas ? Tu ne peux pas avoir oublié ! Tu l'as même dragué dans ce bar ! C'est toi qui m'as aidé à le faire partir !

Mme Evans saisit sa fille pas les épaules pour l'inciter à retourner dans la voiture et expliqua avec gène :

— Ma fille Cassie est quelque peu perturbée, je comptais l'emmener chez le médecin... Allez, Cassie, retourne dans la voiture sans faire d'histoire.

— Dis-lui Sora ! insista Cassie.

— Cassie, je pense que tu devrais écouter ta mère lui adressa-t-elle d'une voix détachée.

— Comment peux-tu dire ça ! Hayden était là, pourquoi tu ne veux pas l'avouer ? Tu savais que tout cela arriverait. C'est de ta faute ! Aide-moi !

Sora descendit calmement de son cheval, empoigna Cassie par le bras et la contraignit à marcher jusqu'à la voiture. Cassie tenta de se débattre, mais face à la force de Sora celle-ci elle ne pouvait rien faire.

Profitant d'être pour quelques secondes éloignées de sa mère, Sora glissa discrètement à l'oreille de Cassie :

— Dis-leur ce qu'ils ont envie d'entendre. Tu te mets en danger en agissant ainsi, tu nous mets tous en danger. Oublie Hayden. Crois-moi, ceci est la meilleure des options. Je t'avais pourtant prévenu que cela finirait ainsi...

Bien que choquée par sa trahison, ses recommandations ne quittèrent pas son esprit et après réflexion, Cassie décida d'appliquer ses conseils. Que pouvait-elle faire d'autre ? Chez le médecin, elle obtempéra en adoptant une attitude passive et accepta une dose médicamenteuse qui la fit somnoler plusieurs jours.


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