24.

— Tu peux rester dans la voiture, tu sais.

— Ne t'inquiètes pas, je ne compte pas te tenir ta jupe gloussa-t-il d'une voix moqueuse en sortant du véhicule.

Du coin de l'œil, il la regarda s'éloigner avant qu'elle ne disparaisse dans l'obscurité des arbres bordant la route. Hayden ne relâcha pas son regard pour autant. La nuit était tombée depuis quelques heures déjà et bien qu'ils étaient pratiquement arrivés à destination, Cassie avait insisté pour qu'ils s'arrêtent prétextant un besoin urgent. Hayden n'était pas rassuré de la savoir seule dans cette forêt. Alors, il tendait l'oreille, se tenant prêt à intervenir au moindre bruit suspect.

Lui n'aurait jamais eu l'idée de s'aventurer là-bas en pleine nuit même pour pisser. Plutôt que d'admettre qu'il n'était qu'un froussard, il préférait penser que Cassie était sacrément courageuse.

Depuis combien de temps était-elle là-bas ? Il regarda machinalement à son poignet, mais sa montre n'y était plus depuis longtemps, seule une légère marque de bronzage trahissait encore son existence. Il patienta donc dans une attente qui lui semblait interminable.

Ce silence n'arrangeait rien à ce sentiment de solitude qu'il éprouvait lorsqu'il était loin de Cassie. Sans elle, il ressentait un énorme vide, un sentiment semblable que celui qu'il éprouvait lorsqu'il se retrouvait dans une chambre d'hôtel après un concert : l'impression être seul, perdu, loin de chez lui.

Il alluma une cigarette qui trainait au fond de sa poche. Il se sentait coupable de ce geste et redoutait la réaction de Cassie, mais c'était sa vie et il estimait pouvoir en faire ce qu'il voulait.

Fumer. Cela faisait longtemps, la première inspiration lui piqua la gorge, la seconde plus agréable le réchauffa. Cette cigarette qui venait tout droit de son monde partait sous ses yeux en fumée, il frissonna à l'idée qu'il puisse subir le même sort. Le plan de Cassie pouvait échouer. Qu'elles étaient ses chances ? Il n'en savait rien et préférait ne pas y penser.

Il soupira et expira la fumée de sa cigarette en levant la tête vers les étoiles qui décoraient le ciel. Tous ces scintillements lui rappelaient ce qu'il voyait depuis la scène. Il ne manquait plus que le bruit et les vibrations pour y croire. Il tenta de faire perdurer cette illusion, mais ce souvenir semblait déjà loin.

— Je ne savais pas que tu fumais.

Hayden sursauta. Cassie se tenait à quelques mètres de là dans le contrejour des phares de la voiture restée allumée. Depuis quand l'observait-elle ? Bien qu'intrigué, il fut surtout surpris qu'elle ne lui fasse pas davantage la morale.

— Je suppose qu'il y a plein d'autres choses que je ne connais pas chez toi...

— En tout cas, tu es la seule à voir autre chose que ce que je veux bien montrer, se justifia-t-il dans un haussant des épaules.

Hayden aspira nerveusement sa cigarette le regard perdu vers le ciel :

— La lune, elle est presque pleine.

Cassie leva les yeux et répondit dans un triste soupir :

— Après-demain elle le sera...

— Après-demain, répéta Hayden d'une voix tremblante.

Prise par l'émotion, Cassie se réfugia dans la voiture pour ne pas pleurer devant lui, le laissant finir sa cigarette. Ses affaires entassées à l'arrière du pick-up ne fit qu'accentuer son incertitude concernant son futur. Pour la première fois de sa vie, elle abandonnait le cours tranquille de son existence et rien de ce qu'elle avait pu vivre jusqu'à présent ne lui avait aussi essentiel que ces moments passés avec Hayden.

Elle voulait qu'il reste, mais détestait ce désir égoïste. Comment refuser qu'il retrouve sa famille et sa vie qui l'attendait là-bas ? Qui était-elle pour l'empêcher de vivre ses rêves ? Elle se résigna. Son bonheur là-bas devrait être la source de son propre bonheur ici. Mais ce n'était qu'une belle phrase et elle redoutait de ne pouvoir être heureuse de cette façon.

Cassie tenta de retenir ses larmes sans grand succès. Comme à chaque fois qu'elle était triste, elle éprouvait le besoin d'écouter une chanson de Tony Baker, mais celui-ci ne faisait pas partie des CD qu'Hayden lui avait offerts. Elle se rappela qu'il avait jeté sa cassette, l'empêchant de trouver un quelconque réconfort dans ces mélodies familières. Lorsque Hayden la rejoignit dans la voiture, elle démarra le moteur et fixa la route pour ne pas croiser son regard tandis qu'elle s'essuyait maladroitement les yeux avec la manche de son pull.

Ils reprirent la route en silence. Alors que Cassie ne l'espérait même pas, la radio locale qu'ils écoutaient diffusa Never see you again, titre phare de son artiste préféré. Cet heureux hasard réconforta Cassie et Hayden ne manqua pas de remarquer le sourire en coin qu'elle affichait soudainement.

— C'est Tony Baker c'est ça ? Tu étais à ce point fan de lui ?

— Ses chansons m'ont beaucoup aidé à l'époque. Quand ça n'allait pas, je m'évadais à travers ses chansons. Il met toute sa souffrance dans ses morceaux, malgré cela sa musique est magnifiquement pleine d'espoirs... S'il a vraiment fui dans ton monde, j'espère qu'il est heureux là-bas.

— Si seulement je pouvais avoir des fans aussi conciliants que toi. Je ne sais pas s'ils seraient contents que je parte pour vivre ma vie ailleurs, avoua-t-il sceptiquement.

— Il m'a aidé suffisamment, il a le droit d'être heureux. J'aimerais aider une personne de la même façon, tu vois, compter dans la vie de quelqu'un, ou même l'inspirer. C'est la seule chose que je t'envie dans ta célébrité, tu peux donner de la force aux gens à travers la musique.

— Tu m'as aidé Cassie et tu m'inspires.

— J'aurais voulu faire plus...

— Je ne suis pas encore partie. Peut-être qu'il n'est pas trop tard. Moi aussi j'aurais voulu t'aider.... Est-ce que ça ira lorsque je ne serai plus là ?

— Oui, tout ira bien lui assura-t-elle la gorge serrée.

— Je viens de te faire pleurer...

Les joues de Cassie s'empourprèrent face à son aveu, mais heureusement la nuit le dissimulait.

— Tu as besoin de quelqu'un de bien pour prendre soin de toi, ajouta-t-il pensivement.

— Tous les hommes que j'ai aimés ont fini par partir... soit avec d'autres filles, soit dans un autre monde, avoua-t-elle en se faisant la réflexion qu'elle ne savait pas ce qui est le pire.

Hayden se mordit les lèvres. Ses doigts se crispèrent en réalisant le mal qu'il s'apprêtait à lui faire. Se sentant coupable et n'ayant aucune idée de comment la réconforter sans lui mentir, il préféra garder le silence. Lorsqu'ils arrivèrent à destination, c'est une maison vide qu'ils retrouvèrent. Cassie avait oublié que ses parents ne rentreraient pas de vacances avant trois jours. À leur retour Hayden ne sera plus là.

Alors que Cassie déchargeait une partie de ses affaires de la voiture. Hayden en monta quelques-unes jusqu'à sa chambre profitant de l'occasion pour préparer à Cassie une surprise qui permettrait, il l'espérait de la réconforter.

— C'est bon, ta chambre est prête ! Viens voir s'empressa-t-il d'annoncer en la guidant jusqu'à celle-ci.

Elle s'émerveilla, face au mur parfaitement repeint d'une peinture beige agrémentée de touches d'un prune qui formait une frise sur deux des quatre murs. C'était classe et élégant, exactement comme elle l'avait imaginé.

— Ce n'est que le début... lui susurra-t-il sans qu'elle ne l'entende.

La nuit étant déjà bien avancée, Cassie s'empressa de prendre une douche. Lorsqu'elle sortit de la salle de bain, elle hésita avant de se rendre dans la chambre d'Hayden. Sa propre chambre était qu'une pièce vide, mais celle de sa sœur restait vacante. Elle frappa finalement à la porte d'Hayden.

Elle le trouva assis sur son lit. Le regard perdu vers la fenêtre. Exactement de la même manière qu'elle l'avait elle-même attendu lorsqu'ils étaient sortis dans ce bar. Se rappelant très bien de ce moment, elle ne manqua pas d'emprunter sa réplique :

— Ça fait longtemps que tu m'attends ?

— Une éternité, je n'arrive pas à te sentir arriver répliqua-t-il avec amusement.

Hayden torse nu et ne portait qu'un bas de survêtement. Cela lui faisait toujours autant de sensations de le voir ainsi, mais ces choses qui n'étaient pas désagréables. Elle leva les draps pour se glisser dans le lit, mais Hayden l'en empêcha :

— Tu as ta chambre maintenant.

Sa remarque la troubla, à New York ils avaient pris l'habitude de dormir ensemble dans le canapé-lit, elle ne s'était donc pas doutée que cela puisse lui poser problème. Face à sa confusion, Hayden lui sourit et lui prit la main pour la conduire à celle-ci. Sa chambre était allumée par une lampe de chevet qu'il avait posé par terre. Elle découvrit qu'il avait aussi disposé une couverture et un matelas directement sur le sol.

— Tu es moins doué en déco qu'en peinture, le taquina-t-elle.

Elle se coucha et Hayden la borda arrangea la couverture contre elle. Assis sur le sol à ses côtés, il lui demanda de fermer les yeux. Elle l'écouta sans broncher et sentit les lèvres chaudes d'Hayden se poser sur sa joue.

D'une façon légère, douce, un baiser chargé d'espérances.

— Je tiens toujours mes promesses Cassie lui murmura-t-il avant de s'éclipser.

Cassie mit un moment avant d'ouvrir ses yeux. Elle voulait imaginer qu'il se tenait encore près d'elle et que son corps n'était qu'à quelques centimètres du sien.

« Je tiens toujours mes promesses ». Qu'avait-il voulu dire ? Que lui avait-il promis ? Elle retraça tous les moments qu'ils avaient vécus, toutes ces choses qu'il lui avait dites. Son cœur se mit à battre intensément, elle n'avait pas encore ouvert les yeux qu'elle savait déjà qu'elles étaient là, à briller au-dessus d'elle...

— Hayden ! s'écria-t-elle les yeux brillants d'émerveillements en découvrant le plafond de sa chambre recouvert d'étoiles fluorescentes.

Attendant sa réaction derrière la porte, Hayden s'empressa de la rejoindre. Ne trouvant pas les mots pour le remercier, elle se contenta de le serrer dans ses bras. Leur étreinte fut brève. Cassie était bien trop enthousiaste pour réaliser et s'émouvoir de ce geste. Excité à l'idée de lui expliquer la signification de son œuvre, Hayden alluma une bougie et la posa au sol près du matelas sur lequel il invita Cassie à se coucher à ses côtés.

La faible luminosité de la flamme éclairait leur visage sans parvenir à effacer les étoiles du plafond seulement perceptible dans le noir. Une fois leurs têtes accolées l'une contre l'autre, Hayden tendit son doigt en direction des étoiles pour lui décrire les constellations que celles-ci formaient les unes avec les autres :

— Il y a la constellation du papillon, pour te rappeler que tu es magnifique. Il y a la constellation de l'hirondelle, qui te dit que tu es libre d'aller là où tu veux. Il y a la constellation de l'ancre pour tu t'accroches à elle lorsque tu douteras.

— La constellation de l'ancre ? Vraiment ? le reprit-elle en ne pouvant se retenir de rire.

— Ouais, c'est un peu bizarre... Ces étoiles te guideront quand je ne serai plus là.

Alors qu'Hayden ne quittait pas le plafond des yeux, Cassie avait déjà tourné sa tête sur le côté afin de l'observer. Son regard vagabondait entre ses yeux brillants et son torse dénudé. Elle était si proche de lui qu'elle percevait pour la première fois les détails de ces tatouages disséminés sur son corps.

— L'encre, le papillon, l'hirondelle... Ils sont tous sur ton corps, leurs significations sont celles que tu viens de m'avouer ?

— Non, je ne les ai pas faits pour leur symbolisme, je les ai choisis au hasard des étapes de la vie.

—Certaines personnes se font des tatouages dans le but de détourner l'attention des gens, pour qu'on les questionne sur leurs tatouages plutôt que sur leur vie...

— Les gens ne viennent pas me parler pour mes tatouages. Ils ont d'autres raisons pour cela.

— Ha, ma théorie tombe à l'eau soupira-t-elle avec déception.

— C'est une belle théorie en tout cas.

Bien qu'Hayden ne se l'avoua qu'à moitié, Cassie avait en partie raison. Ne voulant pas s'attarder sur ce sujet, il ajouta :

— Il est tard on devrait dormir... Est-ce que je peux profiter des étoiles avec toi cette nuit ?

Cassie approuva en souriant. Hayden s'endormit contre elle, les battements de cœur et le doux parfum de Cassie aspirèrent dans sommeil enivrant. Cassie quant à elle, ne trouva pas le sommeil. Au vu du peu de temps qu'ils leur restaient ensemble, dormir lui semblait stupide et les cauchemars qui la hantaient ne l'incitaient pas à fermer ses yeux. Ceux-ci restés jusque-là braqués sur le plafond étoilé, redescendirent vers Hayden.

Pourquoi son amour ne suffisait pas à le rendre heureux ? Elle devina aisément la réponse, elle était incapable de lui apporter la gloire et l'adrénaline de cette vie qu'il menait là-bas à cent à l'heure...


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