2.


Dès qu'ils furent dehors, Hayden jeta un œil inquiet autour de lui. Bien que la rue était déserte à cette heure tardive, il s'empressa de remonter la capuche de son sweat comme il en avait l'habitude lorsqu'il ne voulait pas attirer l'attention sur lui. La pluie ayant cessé, Cassie à s'amusa de cette précaution superflue. Hayden s'en moquait cette capuche, il ne l'aurait ôtée pour rien au monde : c'était sa meilleure arme pour passer inaperçu même si ce soir-là il aurait rêvé qu'on l'aborde et qu'on le reconnaisse enfin.

Ils se dirigèrent tous deux silencieusement vers la bouche de métro situé au coin de la rue. Hayden se sentait perdu, s'il avait à plusieurs reprises emprunté le métro de Londres bien avant qu'il ne devienne célèbre, celui de New York lui était totalement inconnu.

Une fois dans la rame, Cassie ne le quitta pas des yeux tandis que lui ne la regardait que furtivement préférant scruter le paysage à travers la fenêtre. Les bâtiments de la ville défilaient devant ses yeux jusqu'à ce que leur wagon s'enfonce dans les profondeurs de la ville. N'ayant plus rien à regarder, il dévisagea les quelques personnes présentes autour d'eux. Une femme exténuée par une journée de travail somnolait sur un siège, une autre dans le fond bougeait sa tête au rythme d'une musique électronique qu'on percevait à travers ses écouteurs. Il y avait aussi ce sans-abri, qui portait des chaussures fabriquées à partir de sacs poubelles, Hayden l'observa insistance. Cassie se racla la gorge pour lui faire remarquer sa maladresse. Il comprit son erreur et regarda ses pieds comme un enfant agirait suite à une bêtise.

Au fil des stations, Hayden et Cassie s'apprivoisèrent progressivement allant jusqu'à partager un long sourire complice. Ce n'était rien d'énorme, mais cet échange leur apporta à l'un comme à l'autre l'impression rassurante que celui-ci ne serait pas le dernier qu'ils échangeraient.

Sortir du métro, ramena brutalement Hayden à la réalité. Face à lui, une fois encore une affiche de concert annonçait la tournée de son groupe. Il s'arrêta un instant devant celle-ci, puis décida d'en faire abstraction. Peu importe, à la fin de ce cauchemar tout recommencerait : la tournée, les fans et cette folle existence qu'il menait... Sa vie n'avait pas que des avantages, mais perdre cette notoriété qu'il s'était battue à construire toutes ces années l'effrayait plus que tout.

Hayden rattrapa Cassie et se laissa conduire jusqu'à son appartement. C'était un immeuble typiquement new-yorkais pas spécialement chic, mais pas non plus délabré situé dans un quartier résidentiel. Une fois sur le palier, Cassie ouvrit la porte d'entrée avec hésitation, puis après s'être assurée qu'il n'y avait personne à l'intérieur invita Hayden à rentrer.

Le jeune homme parcourut l'appartement des yeux. Si la pièce dans laquelle il était entré restait d'une taille correcte, elle était la seule pièce de l'appartement. Hayden ne put s'empêcher de sourire en réalisant que les chaussures qu'il portait coûtaient probablement plus cher que le loyer de ce taudis avant que des vêtements masculins traînant sur le canapé n'attirent toute son attention. Cassie n'avait prévenu personne de son arrivée, il le savait, il ne l'avait pas quitté depuis son invitation.

— Tu habites seule ? lui demanda-t-il un poil déçu à l'idée qu'elle ne soit pas célibataire.

Évidemment, il n'était pas là pour ça et elle n'était pas son type de femme, mais il ne voulait pas avoir d'ennui.

— Oui, mais c'est temporaire. Je vais déménager.

— Ha oui ? Où vas-tu aller ?

— Je ne sais pas, lui répondit-elle légèrement troublée. La salle de bain est là si tu veux prendre une douche avant de dormir, tu n'as qu'à piquer des habits dans cette armoire, prends tous les habits que tu veux, tu peux même les bruler, je m'en fiche.

Hayden ne se fit pas prier et se faufila dans la minuscule salle de bain. La porte de celle-ci ne fermait pas bien. Après avoir vainement usé de sa force pour la fermer, il abdiqua. Cela lui était égal il n'était pas pudique et n'avait qu'une envie : prendre une douche. Il s'exécuta et ce n'est qu'une fois sorti de celle-ci qu'il surprit Cassie en pleine discussion dans la pièce d'à côté. La seconde voix était indéniablement celle d'une femme ce qui le rassura même s'il ne put s'empêcher de continuer d'écouter la conversation avec curiosité :

— Je ne sais pas, ça s'est passé comme ça. Il est parti, ce n'est pas la première fois.

— Mon Dieu et moi qui ai toujours soutenu ce type, je t'ai même conseillé de sortir avec lui. Comme j'aimerais ne pas être à l'autre bout du monde !

— Ce n'est pas grave de tout de façon je dois gérer cela toute seule.

— Cassie ! Je suis ta grande sœur je veux juste t'aider, je sais que je n'ai pas toujours été là pour toi et je...

— C'est différent... Les choses sont différentes. Je peux me débrouiller à présent.

— Vraiment ? Ça n'a pas recommencé ?

— Je vais bien, ici je mène une vie normale... Tout va bien. Écoute, je dois te laisser, ne dis rien aux parents. Je n'ai pas envie que mes malheurs sentimentaux soient le principal sujet de conversation à Noël.

N'entendant plus aucun bruit, Hayden sortit de la salle de bain et comprit en voyant Cassie penchée sur un ordinateur que celle-ci venait d'avoir une discussion vidéo sur MSN.

— Est-ce que ça va ?

— Ouais, tout baigne, lui répliqua-t-elle dans un sourire forcé.

— Je suppose qu'on a tous nos problèmes, la provoqua-t-il en espérant qu'elle lui en dise plus.

— Tu as écouté ma conversation ?

— Ben, la porte ne ferme pas, alors... lui avoua-t-il en jugeant préférable de ne pas insister pour en savoir plus.

À sa demande, Cassie lui laissa accès à son ordinateur. Hayden eut alors le loisir de se connecter à internet pour googler son nom. Bien qu'il s'y attendait, un sentiment indescriptible s'empara de lui face à cette page vide sur l'écran.

Tous ces sacrifices pour rien...

Depuis ses seize ans il avait travaillé sans relâche pour sa musique passant à côté de tous ces moments affreux d'une adolescence normale que l'ont fini par chérir en devenant adulte. Ils avaient écouté, appris et appliqué à la lettre les consignes qu'on leur avait données pour que leur groupe connaisse le succès dont ils rêvaient. Tout avait fonctionné à la perfection, un brillant avenir l'attendait en tant qu'artiste solo et voilà qu'en un jour Hayden avait tout perdu.

Même s'il savait qu'il n'en tirerait rien de bon sa curiosité le poussa à consulter le site web des Sound Evidences. À première vue, le blond qui le remplaçait avait lui aussi un certain succès avec les filles. Ils avaient appliqué la même stratégie marketing. Ce type avait pris son rôle : celui du play-boy du groupe. À part cela rien n'avait vraiment changé, leurs chansons auxquelles il n'avait jamais vraiment pris la peine de s'impliquer dans l'écriture et la composition étaient quasiment les mêmes. Face à ce constat, Hayden se demanda tristement s'il avait tant apporté au groupe que cela et même s'il regrettait de penser ainsi, il était déçu que le groupe s'en sorte si bien sans lui.

Un changement attira son attention : les motifs des tatouages qu'ils portaient sur le corps. Pour certains, ce n'était plus les mêmes et pour d'autres, ils avaient tout bonnement disparu. Hayden porta machinalement son regard sur ses propres bras dessinés, beaucoup de ses tatouages étaient liés aux autres membres de son groupe. Des symboles opposés ou complémentaires qu'ils portaient les uns les autres en souvenir de tout ce qu'ils avaient traversé ensemble. Dans ce monde, ses dessins indélébiles sur sa peau n'avaient plus aucun sens.

D'une main tremblante, il éteignit l'ordinateur et prit place sur le canapé, tandis que Cassie monta se coucher en haut dans la mezzanine. Ce soir-là, Hayden s'endormit avec la conviction qu'il retrouverait à son réveil tout ce qu'il avait perdu sans savoir que les étoiles en avaient décidé autrement.

* * *

Le clapotis des vagues contre la jetée provoquait un tintement familier tandis qu'une brise chaude transportait un rire d'enfant perçant au loin. Ce rire raisonnant comme un écho se rapprochait rapidement. Le vent s'intensifia, faisant tanguer une balançoire vide à quelques mètres de là. Une petite fille apparue comme sortie de nulle part riant de plus belle en l'apercevant.

— Chut ! lui dit-elle en posant son index sur sa bouche.

La petite fille regarda dans le vague et désigna du doigt quelque chose d'invisible.

— Est-ce que tu le vois ? Il cherche sa princesse. C'est un très long voyage pour un papillon...

Elle s'assit sur la balançoire et se mit à chantonner tout en se balançant avec enthousiasme :

— Papillon, papillon déploies tes ailes et envole-toi vers les étoiles !

Un bruit sourd interrompit sa chanson, la fillette sursauta. Un air de panique marqua son visage angélique. Les bruits s'intensifièrent, faisait trembler ce monde autour d'elle. Puis le ciel s'assombrit aussi soudainement que tout disparu.

* * *

Cassie se réveilla en sursaut. Quelques secondes lui furent nécessaires avant de réaliser que ce n'était qu'un rêve. Un de ces rêves aussi réels qu'un lointain souvenir. Rien qu'une hallucination essaya-t-elle de se persuader horrifiée à l'idée que tout puisse recommencer.

Son sommeil avait été interrompu par des bruits métalliques provenant de la porte d'entrée : quelqu'un tentait de pénétrer dans l'appartement. Hayden ouvrit un œil, mais arrivant à peine à réaliser où il se trouvait, ne saisit rien à la situation.

Cassie comprit instantanément qu'il était revenu. Le cœur battant, elle sauta de son lit atterrissant à quelques centimètres seulement d'Hayden allongé en contrebas. Son empressement fut tel que lorsque ce visiteur passa le pas de la porte, Cassie se trouvait déjà au milieu de la pièce bien décidée à l'affronter.

— Whoo ! cria le visiteur en appuyant sur l'interrupteur.

Hayden ébloui par la lumière referma immédiatement ses yeux, ce qui l'empêcha de voir qui avait soudainement débarqué.

Lui cracher à la figue ou même le frapper. Cassie avait imaginé toutes sortes de scénarios, mais en le voyant face à elle, une série d'émotions contradictoires la pétrifia. Isaac ne lui prêta pas attention, il inspecta l'ensemble de la pièce et son regard se fixa naturellement sur cet inconnu qui dormait dans son canapé.

— C'est qui lui ? pesta-t-il d'une voix éraillée.

Comprenant que l'on parlait de lui, Hayden ouvrit les yeux et se redressa avec prudence en se demandant s'il devait intervenir.

— Mais il porte mon tee-shirt ! Tu couches avec ce type ? Sérieusement ? Ha tu cachais bien ton jeu derrière ton air de sainte-nitouche ! Dans le fond ça ne m'étonne même pas de toi.

Cassie gênée ne savait plus où se mettre. Isaac avait visiblement trop bu bien que cela ne n'excusait pas le fait qu'il parle d'elle de cette façon. Elle tenta de le conduire dans le couloir afin que leur conversation n'arrive pas aux oreilles d'Hayden, mais celui-ci ne se laissa pas faire et repoussa Cassie sans retenue.

— Ce n'est qu'un ami. Cela fait deux semaines que tu es partie pour rejoindre cette fille sans me laisser de nouvelle et tu oses critiquer mon comportement ?

— À ton avis qui est responsable de cela ? pesta-t-il en s'approchant d'elle.

— Nous deux c'est fini je te l'ai déjà dit.

— Ouais, tu dis toujours ça... Tu cries, tu pleures et tu finis toujours par t'excuser. Tu ne finiras par t'excuser, crois-moi.

— Je ne te laisserai pas revenir, pas cette fois...

— Arrête Cassie, tout ce que j'ai fait pour toi, personne ne l'aurait fait et personne d'autre ne le fera. Tu le sais très bien alors réfléchi bien avant de jouer les princesses ingrates !

Il s'avança vers elle l'air menaçant.

— Tu as bu... Ne complique pas les choses, répliqua Cassie en l'esquivant.

Pour Hayden la situation avait trop dégénéré. Il ne se gratifiait pas d'être un exemple en matière de galanterie ou de relation amoureuse, mais le comportant de ce type lui semblait inacceptable.

— Bon maintenant ça suffit ! Laisse-là tranquille et dégage d'ici ! hurla-t-il sèchement en s'avançant vers lui.

— T'es qui toi ? répondit bêtement Isaac.

— La question n'est pas qui je suis, mais qui tu es pour elle ? Et la réponse est : plus rien alors dégages !

Les mots d'Hayden furent comme un déclic pour Cassie qui reconnut qu'Hayden avait raison. Isaac n'était plus rien à ses yeux et peut-être l'avait-il jamais été. Pourquoi s'était-elle laissé marcher sur les pieds si longtemps ? Quelle image renvoyait-elle à Hayden et à tous ceux qui étaient au courant des tromperies à répétition qu'Isaac lui infligeait ouvertement ? Et surtout, qu'aurait penserait cette petite fille qu'elle avait été jadis en voyant la fille faible et résignée qu'elle était devenue.

— Ferme-là le tatoué ! Tu ne connais rien à notre histoire ! Cassie, dis-lui où tu serais encore si je n'avais pas été là ! insista-t-il en se tournant vers celle-ci qui s'était inconsciemment cachée derrière Hayden. Ha, évidemment tu ne lui as rien dit !

— Peu importe le passé, tu n'es plus rien à présent réitéra-t-elle d'une voix presque inaudible.

Hayden juge cela insuffisant :

— Je crois qu'on n'a pas entendu.

Placé entre eux deux, Hayden s'écarta afin que Cassie puisse s'exprimer directement devant Isaac, mais celle-ci ne dit rien et n'osa plus bouger d'un centimètre. Hayden se tourna alors vers elle, se rapprochant au plus près de son visage.

— Fais-le, dis-lui ses quatre vérités tu en as visiblement besoin, je te couvre tu ne risques rien. Cassie, je suis là. Je te protège souffla-t-il d'une voix bienveillante dans le creux de son oreille.

C'était la première fois qu'il prononçait son nom. Sa voix douce fit naitre en elle un courage qui lui donna la force d'exprimer tout ce qu'elle avait sur le cœur depuis si longtemps.

— Isaac, c'est fini, même je doute qu'on ait vraiment été ensemble, puisque tu m'as toujours trompé. Mais tu sais, le plus triste dans tout cela c'est de réaliser que malgré toutes ces années qu'on a passées ensemble, tu n'as même pas réussi à briser mon cœur, sans doute parce que tu n'as jamais réussi à l'avoir.

Isaac ne réagit pas.

— Dégage ! Dégage, lui répéta-t-elle en le poussant par les épaules.

Furieuse, elle lui asséna un regard assassin et Isaac consentit à partir bien plus facilement qu'elle ne l'avait imaginé.

Cassie resta stoïque, fixant longuement cette porte close qu'il venait de claquer. Il ne l'avait jamais aimée, c'était évident à présent, elle n'en voyait que des preuves dans chacun des souvenirs qu'ils avaient construits ensemble... Mais le pire restait qu'elle comprenait pour la première fois que ses sentiments à son égard n'avaient été qu'une illusion à laquelle elle s'était désespérément accrochée.

Trois ans perdus à jamais.

Cassie pleura un instant sous le regard gêné d'Hayden puis regrettant de se montrer si fragile face à lui, reporta sa colère contre celui-ci :

— Pourquoi as-tu fait ça ? Tu n'aurais jamais dû intervenir, tout ça ne te regarde pas. Je n'ai pas besoin d'aide !

— Tu veilles sur moi, je veille sur toi. Parce que mine de rien, si j'avoue être complètement largué par ce qui m'arrive, tu es visiblement tout aussi perdu que moi. Pas de la même façon, mais tout aussi dramatiquement. Tu me remercieras un jour et si tu veux me détester fais-le, je ne suis pas là pour me faire aimer de toi.

Les paroles du jeune homme la laissèrent sans voix si bien qu'elle préféra ne pas s'étendre sur le sujet:

— Ne parlons plus de tout ça. Dormons c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Demain, tout ira mieux...

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