11.
Chapitre 11
Un vent glacial s'engouffra dans les cheveux de Cassie et fouetta son visage le gelant un peu plus qu'il ne l'était déjà. Zoey et Anna qui se tenaient à ses côtés ne semblaient pas connaitre ce problème. Il faut dire que leur enthousiasme à l'idée d'assister au concert de leur groupe préféré avait le mérite de leur provoquer une excitation que même un vent polaire n'aurait pu refroidir. Alors que ces deux-là entonnèrent les chants qui se propageaient parmi les fans présents autour d'eux, Cassie poussa un long soupir face aux vibrations incessantes de son portable.
Encore Isaac. Pour la troisième fois...
Concluant que la situation avait assez duré, Cassie glissa sa main gelée au fond de son sac pour récupérer son téléphone et éteindre celui sans prendre la peine de vérifier le numéro s'affichant sur l'écran. Qu'importe qui l'appelait, le seul un appel qu'elle espérait était celui d'Hayden et il n'avait pas son numéro.
À cette heure-ci, les abords du Madison Square Garden étaient déjà noirs de monde et Hayden eut toutes les peines du monde à se faufiler pour les rejoindre. Doublant un grand nombre de personnes, il provoqua l'exaspération de certains et les jurons de quelques autres. Mais, bien trop pressé de rejoindre Cassie, celui-ci n'y prêta guère attention.
Hayden aperçut Cassie plus rapidement qu'il ne l'aurait cru. Elle se tenait là, accoudée à une des barrières aux côtés des deux fillettes qu'ils avaient amenées à l'école. Dès que leurs regards se croisèrent, leurs yeux s'accrochèrent irrémédiablement l'un à l'autre. Le sourire aux lèvres, il accourut dans sa direction et un courant électrique parcourut Cassie.
En le saluant, celle-ci laissa échapper du bout de ses lèvres un nuage de buée qui rappela à Hayden le froid glacial qui les enveloppait.
— Mais tu es frigorifiée, remarqua-t-il face aux tremblements de Cassie qui lui expliqua la situation : Ce vent glacial, cette attente interminable et sa décision de donner son manteau à Zoey pour la réchauffer.
Hayden n'attendit pas la fin de son récit pour lui tendre sa veste bien que celle-ci la refusa prétextant qu'il se retrouvait alors dans la même situation.
— Mon manteau est large, on peut y rentrer tous les deux lui proposa-t-il avec insistance. Tes joues sont toutes bleues, tu as l'air d'une Schtroumpfette. Allez, laisse-moi arranger cela.
Sans attendre sa réponse, il prit Cassie par la taille et l'attira jusqu'à lui dans un geste tendre. Quelques centimètres à peine les séparaient. Un espace qui disparut lorsque Hayden se permit de resserrer un peu plus leur étreinte interprétant l'attitude stoïque de Cassie comme un signe d'approbation de sa part.
Bien que tendue, Cassie se laissa guider sous son manteau. Elle ne pensa pas un instant à le repousser, prétextant son corps et son esprit devaient être trop engourdi par le froid pour protester.
D'abord sur ses gardes, elle se détendit rapidement et finit par blottir sa tête contre son épaule pour profiter au mieux de la chaleur qu'il dégageait.
— Ne profite pas de la situation.
— Allons, allons, je te réchauffe juste. Je ne vais pas te faire un gosse de cette façon, plaisanta-t-il les yeux pétillants d'amusement.
Ne sentant plus ses orteils, Cassie se balançait d'un pied à l'autre exacerbant cette illusion qu'ils dansaient tous deux un slow au milieu de la foule qui grandissait autour d'eux.
Les yeux clos, celle-ci se laissa bercer par le rythme des battements de cœur qui raisonnaient contre le torse d'Hayden. Elle s'y focalisa au point de ne plus entendre le brouhaha ambiant et d'avoir l'impression que ce monde autour d'eux n'existait plus. Elle était ailleurs, dans un endroit chaud et paradisiaque, mais toujours blottie contre lui où elle se sentait en sécurité.
— Existe-t-il un endroit sur cette planète où il ne gèle pas en hiver ? soupira-t-elle pensivement.
La main d'Hayden saisit son menton pour soulever sa tête afin qu'elle puisse le voir répondre :
— Oui, chez moi à Los Angeles.
Sa réponse lui rappela qu'il n'était pas d'ici. Cassie se serra un peu plus fort contre Hayden comme pour lutter contre cette angoisse à l'idée qu'Hayden puisse disparaitre de sa vie aussi soudainement qu'il lui était apparu.
Bien qu'à peine perceptible, ce geste réconforta Hayden qui demeurait perdu et dévasté à l'idée de devoir rester coincé dans ce monde. Pensant que se laisser abattre ne lui apporterait rien, il tentait tout comme Cassie d'oublier cette situation. Mais, contrairement à elle qui disposait d'une imagination capable de remplir n'importe quel vide, la sienne peu développée ne lui apportait qu'un profond ennuie.
S'il avait été un petit garçon calme et rêveur, le rythme de vie effréné qu'il avait mené ces dernières années était maintenant ancré en lui. Hayden n'arrivait pas à rester en place et l'idée même de ne rien avoir à faire l'angoissait terriblement.
17h30.
À cette heure-ci, il aurait dû être sur scène pour effectuer les derniers tests-micro. C'était toujours le même rituel, ensuite il avait pour habitude de s'isoler dans sa loge pour canaliser ce trac qui l'envahissait avant chaque concert. Il s'allongeait un instant pour mieux ressentir l'adrénaline qui se propageait dans ses veines au rythme du bruit des fans qui rentraient dans la salle. Une sensation délicieuse aussi enivrante qu'une drogue.
Aujourd'hui, il ne chanterait pas. Personne n'allait crier son nom, aucun projecteur ne serait braqué sur lui. Aujourd'hui et probablement même demain...
Fébrile à cette idée, Hayden fut heureusement distrait par un mouvement de foule qui les entraîna à l'intérieur de la salle.
Les places qu'ils possédaient étaient situées dans les gradins latéraux. Un emplacement qu'Hayden savait être loin d'idéal au point qu'il craignit que les jumelles ne soient déçues. Néanmoins, il fut rassuré de voir Zoey scruter la scène avec émerveillement et Anna s'enthousiasmer de la chance qu'elles avaient d'être ici.
Rien n'avait vraiment changé. Les fans étaient déchaînés. C'était étrange, effrayant et loufoque à la fois pour Hayden qui mit un certain temps avant de réaliser pleinement qu'il ne risquait rien à rester parmi eux.
Le concert commença et les chansons s'enchaînèrent, mais pour Hayden le spectacle était avant tout dans le public. Autour de lui cris, pleurs et chants se mélangeaient d'une personne à l'autre. S'il voyait cela quotidiennement parmi les premiers rangs, mais jamais il n'avait vu la réaction des gens situés dans le fond : ceux qui n'étaient pas fan au point de coucher la veille sous une tente pour être au plus près de la scène. Les gens autour de lui semblaient ravis du spectacle. Cassie captivée, lui avoua même sa surprise quant à la qualité de leurs chansons qu'elle ne connaissait jusque-là pas vraiment.
Sur scène tout se passait pratiquement de la même façon : l'ordre des chansons, les déplacements, les pitreries qu'ils avaient l'habitude de se faire sur scène. Tout était identique. Sans lui. Et le pire dans tout cela ? Il ne pouvait le nier : le groupe était bon. Égoïstement, Hayden aurait souhaité le contraire. Il regretta aussitôt cette pensée réalisant qu'il parlait de ses meilleurs amis. Bien qu'ayant pas mal de défauts, Hayden était une personne intègre faisant preuve d'une gentillesse à toute épreuve. Tout le monde le disait dans le milieu et pourtant, il avait l'impression d'être devenu dans ce monde l'exact opposé.
Parce qu'au fond, il ne supportait pas qu'un Luke le remplace. Ce type captait tous les regards, chantait d'une voix sublime et faisait le show. Comme lui. Peut-être mieux que lui. D'autant plus que Braxton était là. Pire ce con semblait heureux...
Dans son monde, Braxton avait quitté le groupe six mois plus tôt de la pire des manières qui soit. Un des seuls souvenirs qu'Hayden était prêt à oublier. Différends artistiques, épuisement physique et psychologique, problèmes d'addictions... Si Braxton avait eu bien des raisons de partir, sa présence aujourd'hui prouvait à Hayden que contrairement à lui, Luke avait réussi à le faire rester. Bien que cette théorie lui était insupportable, il la préférait largement à celle qui faisait de lui l'élément déclencheur dans son départ.
Ne pouvant supporter de voir plus longtemps les Sound Evidences triompher sans lui. Hayden s'éloigna trouvant refuge près de la buvette où des parents peu passionnés attendaient désespérément la fin du concert.
Abattu et rattrapé par la fatigue de cette longue journée, il finit par s'asseoir dans un coin à même le sol. Cette attente interminable l'avait exténué bien qu'il savait que cela n'était rien en comparaison des fans qui avaient attendu toute la journée dans le froid. Il admirait leur courage même s'il ne savait pas si le groupe méritait une telle attention de leur part. Pour la première fois, Hayden doutait même de sa légitimité à en faire partie. Alors qu'il avait toujours égoïstement cru le contraire, il avait maintenant la preuve sous les yeux qu'il n'était pas irremplaçable.
Pourquoi lui envoyait-on ces choses à vivre ? Qu'avait-il fait de si grave pour mériter cela ? Chaque question en amenait une autre dans sa tête.
Chanter sur scène était sa raison de vivre, sa manière d'exister. Jouer, provoquer, étonner, être admiré, faire rêver... Que pouvait-il envisager de mieux ? Rien. Il voulait que le monde entier le regarde, l'écoute et comprenne ce qu'il vivait, mais tous ces gens devant lui ne faisaient que passer sans lui adresser un regard.
***
Remarquant son absence, Cassie partit à sa recherche considérant que Zoey et Anna captivées par le concert ne bougeraient pas d'où elles se trouvaient.
Lorsqu'elle l'aperçut enfin, l'air triste qui se dessinait sur son visage la frappa. C'était prévisible et elle comprenait qu'il soit difficile pour lui d'admettre qu'il n'avait jamais vécu cette vie qu'il rêvait sans doute de connaitre.
— Dur retour à la réalité, j'imagine... souffla-t-elle en s'asseyant à ses côtés.
— Ce n'est pas ma réalité.
— Le vrai monde est ici ! Ouvre les yeux !
Jusqu'ici, Hayden avait toujours cru que Cassie le comprenait un peu. Il savait que s'il n'arrivait pas à la convaincre, il serait seul avec son histoire et ses souvenirs : une chose qu'il redoutait de peur de penser un jour avoir réellement tout inventé.
— Pourquoi tu ne me crois pas Cassie ? s'emporta-t-il. Qui veux-tu que je sois d'autre ? Ce concert je le connais par cœur, je l'ai vécu tant de fois depuis la scène, je connais les musiciens, le staff... Demande-moi leurs noms, leurs histoires, n'importe quoi ! Je suis prêt à te donner toutes les preuves que tu veux, car j'ai besoin que tu me croies.
Toutes personnes sensées auraient refusé d'admettre que cela puisse être vrai. Son esprit luttait contre cette intuition enfuie en elle qui lui soufflait que cette histoire était réelle et que derrière celle-ci se dissimulait des choses plus étonnantes encore. Partager entre sa raison et son intuition, Cassie ne savait quoi penser.
— Ton histoire est juste difficile à admettre. Aussi étrange qu'entendre des voix et ressentir certaines choses... si je te disais cela à mon sujet, tu me fuirais n'est-ce pas ? C'est ce que tout le monde fait en général.
— Entendre des voix ?
— Ce n'est qu'un exemple réfuta-t-elle gênée au point de détourner volontairement la conversation. Je reconnais que ça doit être quelque chose, de faire partie de ce groupe...
Il n'en fallut pas plus pour qu'Hayden lui détaille ses souvenirs.
— Des moments extraordinaires et d'autres affreux, lui avoua-t-il nostalgiquement. Avec les gars on était toujours fourrée ensemble, oui c'est beau à entendre comme ça, mais il faut dire qu'on ne nous donnait pas trop le choix... Faire partir d'un groupe c'est contraignant néanmoins cela a aussi un avantage non négligeable : ne rien avoir à affronter seule. C'est rassurant et ça te donne une force extraordinaire qui te laisse penser que rien ne peut t'arriver... Ici, j'ai perdu cette force et pire j'ai l'impression de n'être rien sans cela...
— Tu n'es pas seul Hayden, tu peux te reposer sur moi. On peut former une équipe, tout se dire et trouver des solutions ensemble.
Hayden hésita un instant. Former une équipe avec Cassie alors qu'ils n'avaient rien en commun et qu'elle ne pouvait lui être d'aucune aide ? Sa proposition était plutôt cocasse, presque ridicule néanmoins elle était loin de lui déplaire.
— J'avais une piste pour rentrer chez moi lui avoua-t-il d'une petite voix. Mais ça n'a pas marché et maintenant je dois tout recommencer à zéro...
Cassie ne s'était pas doutée une seconde qu'il ait pu chercher des informations sans elle. Si elle n'osa pas se montrer trop curieuse à ce sujet, Hayden prit les devants et lui résuma la rencontre qu'il avait faite.
— En résumé, elle t'a dit débrouille-toi tout seul ?
Hayden le regard abaissé vers le sol ne lui répondit pas. Désemparée de le voir ainsi, Cassie s'efforça de tourner les informations qu'il lui avait confiées le plus positivement possible :
— En y réfléchissant, ça veut dire qu'il n'est pas impossible pour toi de retourner là-bas...
Cassie avait raison, mais possible ou non, Hayden n'avait aucune idée de comment procéder et ni même conscience de ce que cela lui coûterait.
— On trouvera un moyen... conclut-elle pensive en posant sa main sur la sienne.
Cassie avait une solution en tête, une idée trop dangereuse et effrayante pour qu'elle puisse la considérer comme une option. Elle préférait réfléchir à un plan B ou mieux, faire en sorte qu'il ne veuille plus jamais repartir.
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