1.
Chapitre 1
« Les étoiles qui nous entourent luttent chaque nuit pour percer l'obscurité afin de nous guider. On raconte même que pour cela, certaines d'entre elles tombent du ciel. »
En observant la neige tourbillonner autour d'elle, Cassie ne pouvait pas s'empêcher de repenser à ces mots que lui avait autrefois prononcé sa grand-mère. Petite, elle lui racontait toutes sortes d'histoires, provoquant l'agacement de sa mère qui s'exaspérait de ces sottises. En grandissant, Cassie avait fini par comprendre que ces récits extraordinaires qui l'avaient fait tant rêver étaient sans fondements. Néanmoins, son imagination exacerbée l'empêchait de croire que cette étoile glacée qui venait de se poser dans la paume de sa main n'était qu'un flocon parmi tant d'autres. Cela ne pouvait être un hasard, elle n'y croyait pas. Au plus profond d'elle-même, elle renfermait cet espoir qu'il s'agisse d'un signe. Une preuve irréfutable que quelque chose d'exceptionnel lui arriverait un jour. Elle ne savait quoi, elle ne savait quand, mais ne doutait pas de cela.
Cassie s'abrita un moment sous le porche du Sweetea-Coffee l'esprit encore absorbé par ces flocons qui virevoltaient autour d'elle. Si à New York, il n'était pas rare qu'il neige à cette époque de l'année, il flottait dans l'air un parfum particulier, quelque chose d'inexplicablement différent.
— Bon sang, mais où étais-tu passée ?
La remontrance de Jenna mit fin aux rêveries de Cassie.
— Je sortais les poubelles, se défendit-elle en rejoignant son amie qui retenait la porte pour l'inviter à entrer.
— New York sous la neige, il n'y a rien de plus romantique ! C'est une soirée idéale pour faire des rencontres ! D'ailleurs, regarde à la treize. C'est un morceau de choix tu ne trouves pas ?
Cassie se débarrassa de son manteau trempé et réajusta son uniforme de serveuse tout en jetant un coup œil furtif vers cette table au chiffre maudit. Elle ne prit pas plus de quelques secondes pour juger l'individu en question. Grand, typé italien, costume-cravate, pianotant sur un ordinateur portable, un café et une bouteille d'eau minérale alignée méticuleusement devant lui. Un seul regard avait suffi pour qu'elle en tire ses propres conclusions. Ce n'était qu'un dragueur qui ne pensait qu'au boulot, un obsédé du contrôle aux idées terre-à-terre possédant un esprit aussi fermé qu'une huître. Bref, le genre de personne qu'elle détestait par-dessus tout.
Elle classa cet individu dans la case des « indésirables » et Jenna soupira de son niveau d'exigences.
Alors qu'elles rejoignirent toutes deux le comptoir, Cassie remarqua qu'un client avait pris place toute au fond de la salle, près de la porte des toilettes. Elle trouvait étonnant qu'une personne ait pu délibérément s'installer à un endroit si peu attrayant alors que le café était quasiment vide.
— D'où sort ce type ? demanda-t-elle troublée.
— Aucune idée, il a dû arriver lorsque je te cherchais partout.
Si Jenna ne s'intéressa pas une seule seconde à lui, Cassie prise d'une curieuse sensation en l'observant ne le lâcha pas du regard. Elle avait beau chercher, aucune étiquette ne semblait correspondre à cet étrange visiteur.
— Hey ho, tu es avec moi ? Je t'explique pour la machine à café, mais tu n'as pas l'air de m'écouter !
Sans que Cassie ne dise quoi que ce soit, Jenna trouva rapidement ce qui distrayait son amie :
— C'est ce type que tu mates ? Il n'a pourtant rien de spécial.
— Je ne sais pas. Regarde, il se cache sous une capuche et des lunettes de soleil alors qu'il fait nuit dehors...
Jenna s'enthousiasma soudainement :
— Hey, mais bon sang tu as raison ! C'est peut-être une star !
En réalité, la tête de ce gars ne lui disait absolument rien, mais Jenna était comme ça, elle aimait s'imaginer qu'un jour un Prince charmant rentrerait dans ce café et l'emmènerait loin d'ici. Un peu comme dans Pretty Woman, se plaisait-elle à expliquer à qui voulait bien l'entendre. « Sauf que je ne suis pas une pute, juste une serveuse » précisait-elle toujours avec satisfaction à la fin de son histoire.
Le jeune homme l'air perdu bougeait nerveusement sa jambe droite, tout en regardant autour de lui comme s'il ne voulait pas être remarqué.
— Une star ? s'étonna Cassie sans le quitter des yeux. Un artiste peintre tout au mieux admit-elle intérieurement.
À l'instant même où Cassie avait prononcé ces mots, les filles le virent ôter sa capuche.
Jenna grimaça :
— Oublie ce que je viens de dire, vu ses cheveux sales je penche plus pour un SDF ou un fugitif recherché... Un violeur ou un tueur en série est aussi envisageable, après tout c'est bien connu New York regorge de types louches.
Bien qu'elle plaisantait, sa propre remarque parvint à l'inquiéter. Jenna inspira un grand coup et se raisonna. Pas de quoi stresser, les cours d'autodéfense qu'elle avait pris au lycée étaient censés la sortir de n'importe quelle situation. Rassurée, elle décida de prendre la commande de ce mystérieux client pour s'autoproclamer la fille plus courageuse de New-York.
Mauvaise idée. Peu de temps après, elle rejoignit son amie en pestant contre ce garçon présomptueux. Cassie légèrement perplexe face à ses vagues explications n'eut pas le temps de lui demander davantage de détails. Jenna été déjà sur le point de partir à son rendez-vous.
— Tu n'as qu'à fermer lorsque tout le monde sera parti, personne ne remarquera quoi que ce soit. Tu y arriveras ? demanda-t-elle en déposant son tablier négligemment sur le comptoir.
— Bien sûr. J'ai démissionné il y a à peine quatre mois, je n'ai pas perdu la main et pour cette nouvelle machine à café ça ne doit pas être bien compliqué.
Sans s'attarder sur sa réponse, Jenna la remercia d'avoir accepté de la remplacer et s'éclipsa sans attendre. Cassie la regarda avec amusement rejoindre au pas de course son Ex ou Ex-ex (elle ne savait plus trop dans quelle catégorie le placer) qui l'attendait déjà sur le trottoir d'en face.
Et en parlant de cases non attribuées, Cassie comptait bien profiter de son absence pour aborder ce mystérieux client et résoudre le vide qu'il incarnait. Son but : le cerner et le ranger dans une catégorie comme elle aimait si bien le faire.
Un sans-abri.
Un tueur en série.
Même si les suppositions folles de Jenna ne quittaient pas son esprit, Cassie était dans le fond bien plus intriguée qu'apeurée. Si son cœur s'emballa d'une façon incontrôlée en s'approchant de lui, elle adopta face au jeune homme une attitude décontractée et assurée qui ne la caractérisait pourtant pas habituellement.
— Bonjour, je crois que vous avez traumatisé mon amie, alors je prends le relais, lança-t-elle dans un enthousiasme trop poussé pour paraitre naturel.
Choisir l'humour comme angle d'attaque lui avait semblé la meilleure des options, persuadée que garder un serial killer détendu réduisait considérablement ses chances de finir dans la rubrique faits-divers du New York Times. Manque de chance, sa plaisanterie laissa son interlocuteur de marbre.
— Est-ce que je peux vous aider ? ajouta-t-elle alors plus sérieusement alors que celui-ci n'avait toujours pas pris la peine de lever la tête vers elle.
— Je ne pense pas.
Surprise par cette réponse aussi sèche que désagréable, Cassie répliqua avec agacement :
— Si vous ne consommez pas, vous ne pouvez pas rester ici.
— J'ai des problèmes plus graves que cela.
— C'est moi qui vais en avoir si vous ne payez pas, protesta-t-elle tout en tapotant son stylo contre son carnet de commandes en signe d'impatience.
— Je ne suis pas là pour boire un café, je suis venu me cacher.
— Vous jouez à cache-cache avec votre neveu ? Ou bien vous êtes un genre de... tueur en série ?
Elle prononça ces derniers mots avec hésitation et les regretta aussitôt réalisant en avoir sans doute trop dit. De l'autre côté de la table, le jeune homme soupira face au manque de discrétion dont elle faisait preuve.
— Je me cache des fans et des paparazzis expliqua-t-il comme si la chose était évidente.
Il releva la tête vers elle, laissant pour la première fois leurs regards respectifs se croiser. Cet instant fut bref, mais suffisant pour qu'elle puisse découvrir ses yeux verts. Un vert envoûtant qui lui fit douter l'espace d'une seconde que la personne face à elle était bien réelle. Comme figée, Cassie le dévisagea avec instance.
Le jeune homme avait l'habitude de ce genre de réaction, où qu'il se trouvait, tous le scrutaient constamment avec plus ou moins de discrétion. Il ne fut donc ni choqué ni agacé : c'était son quotidien, il avait appris à vivre avec. Comme toujours lorsqu'il se retrouvait dans ce genre de situation, il se contenta de faire semblant de ne pas avoir remarqué l'attention qu'on lui portait. Cet instant gênant prenait heureusement fin lorsqu'on osait lui demander une photo ou un autographe.
Il comprit que ce moment ne ferait pas exception lorsque d'une voix hésitante Cassie lui demanda un autographe. Il n'était pas emballé par l'idée, mais avait-il le choix ? Il récupéra le stylo de celle-ci et gribouilla illisiblement son prénom sur une serviette en papier qui traînait sur la table. Lorsqu'il lui tendit, le visage de la jeune femme dissimula à peine sa déception.
À quoi s'attendait-elle ? Il n'avait pas de temps à perdre avec ces bêtises ! Tous devaient le chercher à présent ce qui le mettait dans une situation délicate.
— Est-ce que je peux passer un coup de fil ? demanda-t-il nerveusement. C'est important et je n'ai pas mon portable avec moi.
Cassie eut un mouvement de recul. Une star aux cheveux sales sans téléphone... Voilà qui était des plus étrange. Un gars louche... Si elle fut satisfaite d'avoir enfin pu identifier sa catégorie, elle demeurait intriguée par l'autographe qu'il lui avait donné. Elle avait espéré découvrir son identité en décryptant sa signature, mais s'était retrouvée bien déçue en ne découvrant qu'un gribouillis illisible. Sans doute un acteur de seconde zone, conclut-elle en s'éloignant avant de faire demi-tour vers lui :
— Quel est votre nom déjà ? C'est que... Je n'ai pas une très bonne mémoire à ce niveau-là balbutia-t-elle pour se justifier.
Agacé, un soupir s'échappa à nouveau de ses lèvres avant qu'il ne se raisonne et décide de ne pas lui faire part du fond de ses pensées, conscient que les circonstances ne jouaient pas en sa faveur. Il devait absolument joindre son garde du corps. Si son manager ou qui que soit d'autres découvraient son escapade improvisée il risquait de gros ennuis. Le genre d'ennuis qu'il préférait ne pas imaginer.
Ainsi, il se contenta de lui répondre aussi aimablement que possible :
— Je suis Hayden, Hayden Howells, mais ne le répétez pas... Je ne voudrais pas créer un attroupement.
Il s'attendait à ce que la révélation de son identité fasse son petit effet, mais son interlocutrice resta totalement indifférente.
— Est-ce que je peux compter sur votre discrétion et utiliser votre téléphone ? insista-t-il en lançant un regard accentué en direction de la serveuse.
Ce genre de regard charmeur qu'il maitrisait parfaitement et dont lui seul avait le secret.
— D'accord, je vais le chercher l'entendit-il bafouiller.
Elle avait accepté, Hayden ne put s'empêcher d'en sourire. Personne ne lui refusait jamais rien surtout la gent féminine. C'était facile. Tellement facile que cela en devenait presque lassant. Pourtant, contrairement à ce qu'il pensait, seule cette curiosité à son égard poussait Cassie à s'intéresser à lui.
Hayden Howells? Jamais entendu parler. Hayden Howells...
Elle se répéta son nom une dizaine de fois, sans que cela y change quoi que ce soit. À son accent, elle se doutait qu'il était anglais. Qu'il soit connu outre-Atlantique pouvait expliquer le fait qu'elle ne le reconnaisse pas.
Elle récupéra son portable derrière le comptoir et retourna auprès de lui en constatant au passage que les tous les autres clients étaient partis.
— Mais vous êtes quoi exactement ? Un acteur ?
Bien qu'il en fût d'abord amusé, Hayden perdit rapidement patience, lorsque celle-ci insista :
— Répondez-moi ou je ne vous donne pas mon téléphone !
Il comprit après coup qu'elle agissait ainsi afin d'attirer son attention. Cela n'avait rien d'étonnant, ses fans débordaient toujours d'imagination pour cela.
— Je suis chanteur dans un groupe britannique, les Sound Evidences, on joue au Madison Square Garden dans trois jours, la télé, la radio ça n'existe pas pour vous ? soupira-t-il en la prenant de haut.
Avait-elle l'air aussi bête que cela ? Pensait-il qu'elle ne connaissait pas ce groupe mondialement connu ? Cela en était définitivement trop pour elle ! Ce type se foutait d'elle et abusait de son temps, d'autant plus qu'elle ne rêvait que d'une chose à présent, rentrer chez elle et dormir.
— Hayden Howells ou n'importe qui d'autre, peu importe, je dois fermer, alors dehors !
Hayden ricana, bien décidé à ne pas bouger de là.
— J'ai une alarme anti-agression si vous ne sortez pas j'appuie sur le bouton, le menaça-t-elle durement.
En réalité, il n'y avait aucun bouton, mais elle s'en était toujours sortie ainsi, bien que cette fois, cela ne semblait pas impressionner son interlocuteur.
Cassie se demanda comment elle allait se sortir de ce pétrin. Le garçon devant elle avait beau demeurer calme, elle n'était pas rassurée pour autant. Son imagination exacerbée la poussa même à penser qu'il pouvait être ce genre de personne dérangé ayant l'habitude de braquer les commerces et de kidnapper ses victimes, au point de n'en éprouver plus aucune émotion.
— Écoutez, assez joué, laissez-moi passer un coup de fil ! Je m'en vais juste après. Mettez le haut-parleur je ne toucherai même pas à votre téléphone.
Malgré l'arrogance de ces mots, sa voix rocailleuse trahissait une inquiétude grandissante. Percevant cela, Cassie éprouva soudainement une sincère compassion pour ce garçon manifestement bien plus perdu que dangereux.
Après quelques secondes d'hésitation, Cassie sortit son portable et s'assit en face de lui. Ayant toujours la conviction d'avoir affaire à un escroc, celle-ci prit soin de ne pas lâcher son Nokia de ses mains de peur de se le faire dérober.
— Je n'ai pas l'intention de vous le piquer, soupira-t-il avant qu'elle ne compose le numéro qu'il lui dicta. C'est le numéro de Dan mon garde du corps...
Elle leva les yeux au plafond.
— C'est votre truc pour emballer les nanas de dire que vous avez un garde du corps ?
— En général, je n'ai pas besoin de ça pour les impressionner. Et si vous saviez, vous draguer est la dernière de mes priorités.
Piquée au vif par sa remarque, elle répliqua aussitôt :
— Quoi, vous êtes gay ?
Il fut surpris par l'audace de sa question. Même s'il ne l'était pas, c'était un de ces sujets sensibles dont il n'était pas autorisé à parler ni aux journalistes, ni aux fans et encore moins à une parfaite inconnue.
— C'est un peu prétentieux de sous-entendre cela au motif que vous ne m'intéressez pas, répondit-il avec habilité tandis que la tonalité de l'appel débutait.
Cassie n'eut pas le temps de réagir, quelqu'un décrocha la laissant spectatrice d'une conversation des plus invraisemblable. Bien qu'elle ne comprît pas tout à leur échange, une chose était certaine : ce Dan ne le connaissait absolument pas.
Hayden se liquéfia face à cette situation incompréhensible.
— Je ne comprends pas... Il faut que j'essaye quelqu'un d'autre.
Il réfléchit un instant, mais ne connaissait pas d'autre numéro de téléphone par cœur. De nos jours plus personne de ne se préoccupe de les retenir. Il avait bien en tête le numéro de la maison où il avait grandi, à Manchester où vivait encore sa mère, seulement il devait être 3 h du matin en Angleterre et celle-ci allait paniquer s'il l'appelait à cette heure.
Tant pis, il estimait ne pas avoir le choix. Que pouvait-il faire d'autre ? Regagner seul son hôtel lui avait traversé l'esprit, mais il n'était même pas sûr de retrouver celui dans lequel il était descendu. Il ne faisait jamais attention à ce genre de détail et s'estimait déjà heureux de savoir dans quelle ville il se trouvait. Avec un petit effort, sans doute aurait-il pu retrouver où il logeait, mais l'idée de parcourir la ville et de tomber dans une embuscade de fans l'effrayer plus que tout.
— Je dois appeler ma mère, lança-t-il désespérément à la serveuse, persuadé que celle-ci pourrait l'aider à contacter un membre de son staff.
Cassie hésita, mais finit par accepter sa requête de peur qu'il ne la lâche plus s'il n'obtenait pas ce qu'il voulait.
— Hey, c'est un numéro anglais en plus... bougonna-t-elle.
— Je vous dédommagerai généreusement.
Cassie ne crut pas une seule seconde ce qu'il venait de dire, mais de tout de façon l'appel aboutit vers une voix préenregistrée indiquant que le numéro n'était pas attribué.
Lassée par son petit jeu, elle lui rappela qu'il était tard et qu'elle devait dormir. Conscient qu'il l'importunait depuis un moment, le jeune homme hocha la tête et s'en alla aussi discrètement qu'il était rentré en prenant soin de remettre sa capuche.
Cassie ne s'attendait pas à ce qu'il parte si facilement. Son trouble lui fit oublier de fermer la porte d'entrée derrière lui. Elle partit dans la réserve se changer puis effectua les derniers préparatifs de fermeture avant d'éteindre les lumières de la boutique qui se retrouva plongée dans une quasi-obscurité où seuls les néons des frigos diffusaient une faible lumière tamisée.
C'est à cet instant que le carillon de la porte d'entrée retentit.
Elle craignait et espérait à la fois son retour. Elle ne savait pourquoi, ces deux sentiments contrastés se mélangeaient en elle.
Oui, c'était lui. Il était revenu.
Le regard abattu, il s'avança dans sa direction, retira sa capuche mouillée par la pluie avant de prendre place en face d'elle au comptoir.
Le cœur de Cassie s'emballa en réalisant la situation. Elle, seule, avec cet étrange inconnu et pour unique décor cette pénombre aussi romantique qu'inquiétante.
— J'ai marché jusqu'à la station de métro et...
Hayden hésita un instant réalisant le non-sens de ce qu'il s'apprêtait à dire puis reprit :
— Et je ne comprends pas... J'ai vu cette affiche annonçant le concert... Cette photo. Le groupe. Je ne suis pas dessus. Il y a même Braxton. Qu'est-ce qu'il fiche là ce con ? Et il y a ce blond qui me remplace, comment est-ce possible ?
Cassie ne comprit pas un mot de ce qu'il racontait, mais la voix enrouée du jeune homme ne laissait aucun doute sur le fait qu'il avait pleuré. Bouleversée à cette idée, elle l'écouta du mieux qu'elle le put espérant pouvoir l'aider.
— Je pensais qu'on m'avait dépouillé, que j'avais abusé de certaines substances. Je me suis réveillé tout à l'heure dans un bus, en plein New York, je ne sais pas ce que je fous là...
— Peut-être tu as pris un coup sur la tête et tu ne sais plus qui tu es...
C'était peu probable, mais Cassie n'avait pas d'autres théories que le résultat d'un choc post-traumatique. Elle pensa un instant à appeler les secours, mais renonça à cette idée sachant pertinemment le sort qui lui serait réservé s'il tenait devant la police ou les médecins un discours pareil. Rien que d'y penser, un frisson tétanisant la parcourue.
Durant sa réflexion, son regard se fixa sur le tatouage qu'Hayden portait près de l'épaule et qui dépassait au niveau de son cou. Étant à demi cachée, elle n'y avait pas fait clairement attention jusque-là, mais elle devinait à présent qu'il s'agissait d'un papillon. Le dessin était classique, le genre de motif qu'on croise de partout, c'était sans doute pour cela qu'elle semblait l'avoir déjà vu.
Un tatouage si commun sur un homme si étrange... signifiait-il qu'il ne l'était pas tant que cela ou à l'inverse qu'il était différent, un peu comme elle ? Dans le fond elle ne savait pas ce qui aurait été préférable. Elle qui passait son temps à courir après les gens normaux reconnaissait que seuls les gens dans son genre retenaient son attention bien qu'elle ne se souvenait pas en avoir croisé de semblables.
— Où habites-tu ? De quoi te rappelles-tu ? Quel est ton dernier souvenir ? l'interrogea-t-elle portée par le désir de l'aider.
— Un peu partout... officiellement en Californie, mais on est toujours sur la route avec le groupe.
Cassie se mordit la lèvre en comprenant qu'il restait encore accroché à cette folle idée d'être une superstar :
— Tu ne fais pas partie des Sound Evidences... Je suis désolé, si tu ne te mets pas ça en tête, je ne pourrais pas t'aider et tu auras des ennuis.
— Est-ce que tu crois aux choses inexplicables ? Parce que tu vois, je n'ai aucune explication à cela. C'est inexplicable, mais c'est la vérité.
Touchée par ces mots, Cassie se décomposa, craignant qu'il ait cerné ses secrets bien que cela était impossible. Des choses inexplicables, il y en avait plein, pour elle les plus belles choses sur terre étaient inexplicables, l'amour, le destin, l'univers... Et les plus mauvaises aussi... S'il y avait bien une personne à New York qui pensait que tout ne s'expliquait pas c'était bien elle, pourtant de là à croire en son histoire... Elle s'efforça de rester prudente redoutant d'avoir affaire à un de ces fans extrémistes qui confondent fiction et réalité.
— Je ne comprends rien. C'est peut-être un rêve ou plutôt un cauchemar, comme dans un de ces films au scénario stupide où un type se retrouve dans la peau d'un autre... Je me réveille au milieu de Manhattan, personne ne me connaît et le groupe existe sans moi... Je suis en train de rêver n'est-ce pas ?
Cette idée apaisa Hayden, rationaliser les choses le rassurait. Il rêvait voilà tout, c'était plausible et il n'avait pas d'autres hypothèses en tête de tout de façon.
— As-tu des papiers sur toi ? Cela pourrait t'aider à savoir qui tu es.
— Mon permis, vingt dollars... et pas grand-chose d'autre, admit-il amèrement en fouillant ses poches et en posant tout ce qu'elles contenaient sur le comptoir.
— En réalité tu t'appelles Hadrien, c'est noter là-dessus remarque-t-elle en inspectant son permis de conduire.
Il lui avait menti sur son prénom néanmoins le permis qu'il lui tendait était bien californien, mais dans ce cas que faisait-il à New York ?
— Oui, mais tout le monde m'appelle Hayden depuis toujours, même avant que je ne devienne célèbre.
— Bon, donc un permis et 20 dollars... Tu n'iras pas très loin.
Cela n'ayant pas aidé Hayden, Cassie usa d'une seconde méthode pour lui remettre les idées au clair. Une astuce dont elle seule avait le secret après ces mois passés à bosser ici : lui faire un café. Elle ralluma la machine et en prépara un pour lui et un pour elle, même si toute cette histoire lui avait retourné l'estomac et qu'un café ne lui faisait nullement envie. Elle batailla à les préparer, cette nouvelle machine étant un bijou de technologie ne marchant qu'une fois sur deux. Elle tapa sur celle-ci avec énervement :
— Tu ne sais pas faire marcher cette machine ? Tu es vraiment serveuse ?
— Et toi, est-ce que tu sais au moins chanter ?
Il se tue en admettant qu'il l'avait bien cherché. La repartie et l'humour de la jeune femme lui remontèrent le moral d'autant plus qu'Hayden était un boute-en-train, s'apitoyer sur son sort n'était pas dans sa nature.
Alors qu'elle avait finalement réussi à dompter la machine, Cassie passa en revue toutes les hypothèses possibles le concernant. Il ne semblait pas avoir bu ni s'être drogué et à part cette histoire loufoque, son look improbable et ses cheveux bien trop longs, il paraissait tout à fait normal.
— Ce n'est qu'un rêve et lorsque je me réveillerai tout sera redevenu comme avant, murmura-t-il en avalant une gorgée de café.
Un rêve ou un cauchemar, notifia-t-il dans ses pensées. De son côté, Cassie tenta d'imaginer Hayden en chanteur des Sound Evidences. Lui, sur scène, jouant de la guitare ou même du piano menant une vie dissolue de Rockstar... Ridicule. Il n'avait pas l'air d'un musicien ni d'un chanteur, il lui fallait bien plus pour le considérer comme tel :
— Chante-moi quelques choses.
Il refusa catégoriquement.
— Si tu me prouves que tu sais chanter, je te prendrais un peu moins pour un psychopathe. Et peut-être que je pourrais te proposer une solution pour cette nuit, insista-t-elle.
Jusque-là Hayden ne s'était pas posé la question d'où dormir. Ça n'avait pas été sa priorité, mais à présent qu'il était convaincu de rêver, dormir lui paraissait le meilleur moyen pour lui de retourner à sa réalité, néanmoins, il n'était pas prêt pour autant à chanter pour elle.
— Combien de gars chantent bien sans pour autant être ne connus ? Cela ne te prouvera rien. En plus, à cause de cette pluie j'ai la gorge nouée. Ça ne donnera rien.
Elle approuva son raisonnement et n'écoutant que son instinct, lui confia :
— Si tu te tiens à carreau, tu peux dormir chez moi après une nuit de sommeil, tu y verras surement plus clair. Mais si tu es un psychopathe ait la gentillesse de déguerpir, je t'ai écouté offert un café, je t'ai écouté et même prêté mon téléphone, bref je mérite mieux que de finir dépecée au fond une ruelle glauque. Donc, si c'est ton but aie la décence de choisir une autre victime, Ok ?
Hayden ne put s'empêcher de lui adresser un sourire amusé en entendant cela. Il la remercia et accepta sa proposition, en lui précisant avec humour que les ruelles glauques n'étaient pas vraiment son truc.
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