• Pas comme les autres •
Il pleut.
Madeline sort son parapluie et se dirige machinalement vers l'aubette de bus. Toute sourire. Madeline pense. Madeline a toujours beaucoup pensé. Ses songes prenaient souvent vies dans son esprit. Des rêves qu'elle ne partageait jamais. Madeline ne partageait pas grand-chose de toute façon. Les mots qui sortaient de temps en temps de sa bouche étaient doux mais si faibles que beaucoup ne les entendaient pas. Madeline restait seule dans ses pensées à elle. Loin des autres, loin du monde. Madeline était bien seule, dans son petit appartement qu'elle partageait avec son chat Oscar son univers était maître. D'apparence il était tout à fait ordinaire, des tonnes de livres et de plantes vertes décoraient les étagères et les couleurs et le mobilier neutre de l'appartement n'attiraient que très peu l'attention mais en inspectant mieux, vous trouveriez des chaussettes rangées dans le tiroir à couverts, des serviettes dans le meuble télé et des assiettes dans celui de la salle de bain. Sa mère s'exaspérait à chaque fois qu'elle passait la voir et tombait sur des crayons dans le frigo. Mais Madeline était comme ça. Dans son monde à elle. Des couvertures en tricots patchworks recouvraient canapé et fauteuils et son lit, caché du salon par une porte coulissante, accueillait la plus vaste collection de coussins que personne n'ait jamais vu. Madeline était simple et discrète. Madeline ne parlait pas beaucoup, on l'entendait si peu que même certaines personnes qui la côtoyaient depuis des années ne connaissaient pas le son de sa voix. Pourquoi s'embêter à parler lorsqu'on peut écrire ?
Madeline déambule tranquillement entre les gouttelettes vers l'arrêt de bus, protégée par son parapluie. Une flaque d'eau s'éclabousse sur ses collants en laine. Madeline sourit. Madeline a toujours beaucoup souri. Même neutre son visage souriait pour elle. A peine à l'abri sous l'aubette, le bus pointe le bout son nez. Le conducteur du bus connaît bien Madeline. Il sait qu'elle n'est pas comme tout le monde. Quand les autres râles d'avoir encore loupé leur arrêt, Madeline, elle, attend simplement le prochain. Toute sourire. Quand les autres rouspètes d'être serrés comme des sardines aux heures de pointes, Madeline, elle, pour faire de la place se presse un peu plus contre la vitre. Toute sourire. Beaucoup de personnes qui croisent Madeline la prenne souvent pour quelqu'un de peu développée, mais Madeline s'en fiche et sourit. Pourquoi se préoccuper de l'avis des autres qui ne la comprennent pas ? Madeline est intelligente et comprend plus qu'elle ne le laisse paraître. Par exemple elle sait très bien que l'autre employée de la petite librairie, dans laquelle elle est archiviste, se moque d'elle et que l'indigestion de sa tortue est une excuse bidon pour esquiver la fermeture sans que la patronne n'en sache rien. Madeline n'est pas débile. Mais elle s'en fiche. Madeline aime bien fermer la librairie et rentrer sous les étoiles. Lorsque les portes du bus s'ouvrent, Madeline s'y engouffre et se dirige vers sa place après avoir salué Al' d'un petit geste de la main, comme d'habitude. Deuxième siège près de la vitre en partant du fond. Installée dans son fauteuil de fortune, son regard, d'ordinaire perdu dans les vagues paysages qui défilent derrière la vitre humide, se pose sur un homme. Un homme qui, de sa place à lui, la regarde. Grand, brun, yeux bleus et costume trois pièce. Madeline cherche durant tout le long de son trajet pourquoi cet homme ne l'a pas lâché du regard mais même arrivée devant son immeuble, elle ne trouve toujours pas. Madeline n'a pas besoin d'ouvrir la porte de son petit repère pour savoir que sa mère est là. On est Mardi et la cage d'escalier est emplie d'une odeur de légumes de saison. En plus d'avoir le double des clés de l'appartement de Madeline, sa mère avait pour rituel de venir dîner avec sa fille chaque semaine.
« J'ai rencontré quelqu'un aujourd'hui. Un homme. » dit Madeline entre deux cuillerées de soupe.
« Oh c'est vrai mais c'est géniale ma chérie ! Comment s'appelle-t-il ? Quel âge a-t-il ? Que fait-il dans la vie ? Comment est cet homme ? Est-il séduisant ? » s'enthousiasme sa mère, euphorique à l'idée que sa fille si différente ait enfin une opportunité de connaître les joies de l'amour.
« Je ne sais pas, nous étions dans le même bus. »
« Et ? » la presse sa mère.
« Et nous nous sommes regardés. »
« C'est tout ? » s'exclame sa mère complément déçue.
« Oui. »
« Mais n'était-il pas bel homme au moins ? »
Pour seule réponse Madeline hausse les épaules et se reconcentre sur sa soupe. Très bonne soupe. Oscar, assit près de la carafe d'eau, sait déjà qu'il pourra léchouiller le fond de l'assiette creuse. Lorsque c'était bon, Madeline partageait toujours avec Oscar.
« Quand sortiras-tu de ton monde Madeline ? » désespère sa mère.
« Je suis heureuse. » répond-t-elle simplement.
Son regard plongé dans sa soupe, sa mère sait qu'elle est repartie dans les fins fonds de son esprit. Toute sourire.
Sa mère l'aide à finir la vaisselle en silence. Du haut de son frigo, une vieille petite radio vintage diffuse quelques notes de musique pour égailler la soirée. Madeline fredonne. Madeline aime fredonner les quelques notes de ses chansons préférées. Sa mère l'observe ranger les verres étonnement dans un placard au-dessus de l'évier mais elle désenchante vite lorsque sa fille se dirige vers la salle de bain avec les assiettes en mains. Toute sourire. Parfois sa mère se demande pourquoi Madeline est ainsi, mais depuis toute petite déjà Madeline s'était évadée vers un monde bien à elle où personne ne pouvait la suivre correctement. Sa mère l'embrasse sur le front, l'inonde de conseils et de recommandations avant de s'éclipser pour rentrer chez elle. Madeline se glisse sous la couette et reprend sa lecture où elle s'était arrêtée la veille.
Une fois ses six chapitres engloutis, Madeline se relève et rejoint Oscar au pied de son lit. Un oreiller pour lui, un oreiller pour elle. Les pieds à sa table de chevet, Madeline remonte la couette sous son menton et dégage ses longs cheveux roux pour qu'ils tombent sur le plancher au pied du lit et ne viennent pas lui chatouiller le nez toute la nuit. Oscar se colle à Madeline et Madeline s'endort. Toute sourire.
Madeline se réveille grâce à la douce lumière du jour qui berce sa chambre. Oscar s'étire et attend tranquillement que sa maîtresse se lève pour lui servir du lait dans son petit bol en verre. Ce que Madeline ne tarde pas à faire. Al' ne pourrait pas se permettre de l'attendre si elle n'était pas à l'arrêt avant que le bus n'arrive. Madeline suit comme chaque jour sa routine. Petit déjeuné en tête à tête avec Oscar, douche, brossage de dents, coiffage et habillage en six chansons de la petite radio vintage au-dessus frigo. Ses portes clés de toutes les couleurs claquent sur la porte en même temps que son verrou et Madeline rejoint l'aubette de bus en temps et en heure. Elle salue Al' et s'installe à sa place habituelle. Deuxième siège près de la vitre en partant du fond. Et là, comme la veille, ses prunelles caramel rencontre celles saphirs d'un homme. Grand, brun, yeux bleus et costume trois pièces. Elle l'observe à son tour. Toute sourire. Le trajet se déroule ainsi. Les deux jeunes gens ne se quittent pas des yeux et, ignorant le paysage derrière la vitre qu'elle connait par cur depuis 3 ans maintenant, Madeline en oublie même de s'arrêter au bon arrêt. Pas grave elle descendra au prochain. Ses questionnements sur l'homme la suivent jusqu'à la salle d'archive. Qui était-il ? Pourquoi la regardait-il ? Quel âge avait-il ? Sur ce point-là Madeline se positionne sur 32. A peine dix de plus qu'elle. Il ne pouvait pas avoir plus. Madeline travaille en laissant ses pensées l'absorber comme toujours. Mais cette fois dans ses rêveries apparaît un homme. Grand, brun, yeux bleus et costume trois pièces. Les questions que Madeline se posait sur lui n'étaient plus que des réminiscences, des souvenirs. A quoi bon s'interroger ? Madeline se surprend à attendre avec un peu d'impatience la fin de la journée.
Les jours laissèrent place aux semaines puis aux mois et l'homme était toujours là. Grand, brun, yeux bleus et costume trois pièces
Ainsi chaque matin lorsqu'elle allait travailler ou simplement s'égarer entre les rayonnages qu'elle côtoyait à longueur de journée, l'homme regardait Madeline de sa place attitrée dans le bus et il en était de même pour le soir lorsqu'elle s'apprêtait à retrouver Oscar. L'homme la regardait. Grand, brun, yeux bleus et costume trois pièces. Madeline prit de plus en plus l'habitude de parler avec lui d'un simple regard. Un coup d'il. Un échange silencieux. Madeline ne connaît rien de cet homme, et cet homme ne connait probablement rien d'elle non plus. Mais ils entretenaient une sorte de relation, muette, et Madeline en était heureuse. Alors elle laissait filer les jours. Toute sourire.
Puis un soir comme les autres le téléphone de Madeline sonne.
« Coucou ma chérie comment vas-tu ? » s'exclame sa mère au bout du fil.
« Bien et toi ? »
« Ça va, ça va... Enfin non, Marie-Anne arrive de Venise demain, je ne pourrais pas venir cette semaine du coup. Je sais que tu n'aimes pas trop ses petites manières. »
« C'est n'est pas grave maman, elle peut venir manger avec nous si elle veut. »
« Grand Dieu non ! Déjà qu'elle s'exaspère à chaque fois que tu parles à ton Oscar, si elle voyait que ton bocal à coquillettes te sers de cale livre dans ta chambre elle en ferait une syncope ! Enfin bref... Et sinon as-tu des nouvelles de cet inconnu du bus qui te regardait ? »
« Qui ça ? » lui demande la voix fluette de Madeline.
« Mais tu sais bien tu m'en as reparlé il y a de ça quelques jours à peine ! Bon on se rappelle plus tard le facteur attend que je signe pour le colis. J'ai commandé de nouveaux draps de lit en prévision de l'arrivée de Marie-Anne, tu connais sont point de vue sur la literie... Ah ma belle-soeur va finir par me rendre folle ! Bisous ma chérie. »
« Bisous maman, passe le bonjour à Tante Marie quand tu la verras. »
« Oui je n'y manquerais pas. Je t'aime ma puce. »
« Je t'aime aussi maman. »
Puis le silence. L'appel est terminé. Madeline repose son téléphone et replonge dans sa lecture comme si rien ne l'avait interrompu. Ce soir-là Madeline se couche près d'Oscar, la tête au pied du lit et les orteils à la place que devrait occuper ses oreillers, sans penser une seule fois à l'homme du bus. Grand, brun, yeux bleus et costume trois pièces.
La chaleur est arrivée plus tôt cette année, de ce fait, les températures un peu plus élevées obligent Madeline à quitter ses agréables pulls en laines. Mais Madeline apprécie tout autant ses petites robes fleuries. Son bonnet troqué contre un gros chouchou jaune, Madeline profite de la douce brise qui fait virevolter ses cheveux avant que le bus n'arrive. Al' lui ouvre les portes et Madeline s'assoit. Toute sourire. Elle admire chaque arbre qui défilent sous ses yeux en faisant pianoter ses doigts sur le tissu fluide de sa robe. Toute sourire. Madeline tourne la tête pour observer la place de l'homme. Grand, brun, yeux bleus et costume trois pièces. Elle est vide. Il n'y a personne.
Il n'y a jamais eu personne.
Madeline descend du bus.
Toute sourire.
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☼
Hey !
Déjà comment allez-vous ?
Alors oui je sais, j'avais promis à une certaine personne que ma prochaine histoire aurait une happy-end MAIS est-ce qu'on ne peut pas considérer cette fin comme mignonne quand même ?
Cette nouvelle est ma première et, j'espère, pas la dernière mais pour m'améliorer j'ai besoin de vous ! Donnez moi votre avis dans les commentaires, comment avez vous trouver le personnage de Madeline ? Que pensez vous de l'intrigue en générale ? Et de la fin ? Avez vous des petites théories ?
N'hésitez pas non plus à partager si ça vous a plu, ça fait toujours plaisir et encore plus d'avis !
Les idées fusent dans mon esprit, j'essaye tant bien que mal de me concentrer sur une chose à la fois mais souvent mon cerveau n'en fait qu'à sa tête ("Toute sourire" en est le parfait exemple puisqu'elle est née d'une magnifique insomnie) Enfin bref, je suis en train d'écrire cette fois ci une "vraie" histoire, avec plusieurs chapitres et tout et tout mais je ne sais pas quand elle sortira car je préfère tout écrire avant de publier pour être sûr de ne pas m'arrêter en cours. Donc...
Ne désespérez pas, je jure solennellement que la happy-end arrive... peut-être.
Merci d'avoir lu jusqu'au bout !
Gros cur sur vous !
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