Tout va bien

Musique proposée : The Way - Zack Hemsey. (Instrumental). (En média).


Mon cœur se serre, il bat la chamade, il souffre, il menace d'exploser. Non. Non. C'est impossible. Ça ne peut pas être vrai, je refuse que ça le soit. Rien de tout ça n'est en train de se passer. Je vais sans doute me redresser dans un sursaut de terreur, la sueur dégoulinant le long de ma peau et le visage larmoyant, dans un lit trempé. Il faut que j'ouvre les yeux et que je sente mon oreiller contre ma nuque. Il faut que la nuit soit là et qu'elle se moque de moi.

Mes prunelles me brûlent alors que je les rouvre encore une fois et que je vois les nuages défiler devant le hublot de l'avion qui m'emmène à l'autre bout de la France. Le soleil illumine le ciel bleu et les tâches de coton blanches alors que je sens une boule de feu remonter le long de ma trachée. Ce n'est pas un cauchemar, je ne dors pas, je ne vais pas sortir de ma chambre pour m'allumer une cigarette et lever les yeux vers les astres qui me diraient de respirer. Je ne vais pas me réveiller et ça me terrorise.

Plus la réalité m'éclate à la figure et plus je sens mon corps se mettre à trembler. Mes mains sont moites et s'accrochent durement au téléphone que je n'ai pas lâché depuis que j'ai reçu ce maudit message. Je l'allume une énième fois et relis encore les mots qui m'ont déchiré de l'intérieur, comme pour être sûr qu'ils sont bien là, que je ne les ai pas inventés et que toute cette mascarade n'est pas qu'une vulgaire hallucination tragique.

« Elle est morte. »

Une phrase, une seule et mon monde tout entier s'est effondré. L'univers s'est arrêté. Les galaxies ont implosé. Comment était-ce possible ? Comment la terre pouvait-elle devenir si terne en une fraction de seconde ? La seule chose dont je me souviens est d'avoir senti mes genoux s'écraser sur le carrelage blanc et froid de mon appartement. Tout semblait figé et silencieux, jusqu'à ce que mon hurlement fusille le calme que le bâtiment renfermait. La suite a défilé devant mes yeux comme un film qu'on ignore un peu, je voyais tout, mais je ne comprenais rien. Tout semblait s'agiter autour de moi, mais je ne ressentais rien. Je n'étais qu'un automate balancé au milieu de la foule, j'avançais tout en étant tétanisé, je vivais tout en me sentant agoniser.

Mais maintenant que l'avion a décollé, maintenant que je vois la piste d'atterrissage se rapprocher, maintenant que je sais que je n'ai pas rêvé, mes sentiments se réveillent et la douleur gronde. Elle m'oppresse et m'arrache les entrailles. Un voile se dépose devant mes pupilles lorsque je me lève, des dizaines de perles salées s'écroulent sur mes joues quand mes pieds touchent le sol et des sanglots s'étouffent dans ma gorge au moment où je me mets à courir pour sortir de l'aéroport.

Six mois que je ne lui avais pas parlé. Six mois que je lui avais promis qu'on se reverrait. Six mois que la vie nous avait séparés. Elle ne pouvait pas être partie, la mort ne pouvait pas l'avoir appelée, elle n'avait pas le droit de s'être envolée. Pas avant que je la regarde dans les yeux pour lui dire que je l'aimais, pas avant que je puisse la serrer contre moi pour sentir son cœur cogner contre nos poitrines, pas avant que mes lèvres ne goûtent à la douceur des siennes.

Mes poumons s'emballent, l'air me manque et je ne sais pas où je vais. Je ne peux pas aller dans un cimetière. Pas pour elle. Pas comme ça. Pas aujourd'hui. J'erre dans les quartiers, ma douleur déferle sur les toits, mes pleurs se heurtent à chaque coin de rue et je ne sais plus ce que je fais là. Je demande trois fois mon chemin sans jamais être capable d'écouter correctement les phrases que les gens prononcent, je ne vois que leurs gestes vains pour tenter de me faire comprendre de quel côté je dois aller pour sentir mon âme se déchiqueter.

Je suis les trottoirs à toute vitesse en maudissant les cieux de ne pas pleurer avec moi, en haïssant la vie de s'arrêter là. Au bout d'un temps qui m'a paru durer une éternité, mon regard percute une grande grille noire et tout mon corps fait halte. Je suis incapable de bouger, incapable d'entrer, je suis complètement paralysé. Je reste là, devant les portes de fer du cimetière à fixer chaque dalle glaciale qui semble sortir de terre. Elles m'observent, elles me narguent, elles me méprisent. Une silhouette masculine s'allume devant moi et les spasmes ravagent de nouveau mes membres, un par un. Il est là, je le reconnais.

Ses cheveux bruns coupés courts me saluent de loin tandis qu'une colère sourde électrise chacun de mes muscles qui se remettent à bouger. J'avance vers l'homme qui a tapé les mots qui m'ont terrassé à grands pas, quand le cercueil apparaît devant moi. Il est en bois vernis et entre lentement dans le trou sombre que l'on a creusé pour lui. Mon estomac se noue et un haut-le-cœur me secoue entièrement. Mes membres inférieurs flanchent et je me rattrape au tronc d'arbre que je n'avais pas vu en arrivant. Des dizaines de visages tristes et désespérés se tournent vers moi avec un air de pitié que je me mets à haïr avec force.

Ma respiration s'accélère, mon rythme cardiaque s'affole et je m'écarte du saule pleureur à toute vitesse. Non. Je ne veux pas voir ça. Non. Je ne peux pas vivre ça. Non. Elle n'a pas le droit d'être là. Elle doit respirer. Elle doit sourire. Elle doit rire. Elle doit parler. Elle doit vivre. Il le faut. Je me mets à accélérer. Je cours. Je m'en vais. Je fuis. Je quitte cet endroit et je cavale jusqu'à ce que mon corps s'épuise. Jusqu'à ce que le manque d'oxygène m'oblige à interrompre ma course folle contre la réalité.

Un pont s'anime devant moi et je m'agrippe à la rambarde. Elle était dans cette boîte en bois. Ils sont en train de l'enfermer sous terre. Elle ne ressortira plus. Elle ne parlera plus. Elle ne sourira plus. Elle ne respirera plus. Elle est morte. C'est terminé. Tout est terminé. Je ne pourrais pas lui dire que j'ai tenu ma promesse. Je ne pourrais pas la serrer fort contre moi. Je ne pourrais pas lui prouver qu'elle valait le coup de se battre. Mes doigts se resserrent autour de la tige en fer et mes phalanges deviennent blanches. C'est trop douloureux, que quelqu'un m'aide, par pitié que quelque chose me fasse sortir de ce satané lit.

J'ai l'impression que la souffrance coule dans mes veines et qu'elle consume chaque parcelle de mon être. C'est insupportable, ce n'est pas vivable. Je ne peux pas respirer sans elle, je ne peux pas. Je ne veux pas. Un frisson me parcourt et j'ouvre les vannes. Je n'arrive plus à me contenir. Je crie. Je hurle ma douleur. Je m'égosille pour atteindre les étoiles, pour qu'elles m'entendent et qu'elles réagissent. Je m'époumone jusqu'à ce que ma voix aussi m'abandonne, jusqu'à ce que ma gorge ne se dessèche, jusqu'à ce que mes bronches me brûlent. Mon âme toute entière me supplie de faire fuir la blessure et mon manteau de chair se retrouve bien vite de l'autre côté de la barre en ferraille, à défier les vagues en contrebas avec arrogance.

Je n'aurais pas dû attendre, j'aurais dû me battre avec plus de férocité. J'aurais dû aller la chercher, quoi qu'il aurait bien pu nous en coûter. Parce que l'amour devrait être plus fort que tout, même s'il parait bien trop fou. Petit à petit, je sens mes paumes se relâcher et tout mon corps se détendre à l'idée de la rencontrer dans un monde que je n'ai encore jamais visité. Mais alors que je me sentais déjà plonger dans les bras de la faucheuse, une voix zèbre l'atmosphère pour se frayer un chemin jusqu'à moi.

- Ne fais pas ça ! Ne le fais pas ! Putain, t'as pas le droit !

Est-ce un cri ? Une rage épaisse ? Une peur puissante ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais ça m'a pétrifié. Comme si j'espérais encore que le destin pouvait changer, comme si j'attendais de voir ce que la vie pouvait encore inventer comme excuse pour s'en aller si vite. Deux bras un peu frêles m'encerclent soudain pour me serrer avec force. Je sens le menton de quelqu'un se déposer sur mon épaule tandis que quelques mèches de cheveux semblent chatouiller ma nuque. Un parfum que je reconnaîtrais entre mille s'amuse avec mon odorat et j'ai un instant l'impression de flotter.

- C'est moi, c'est ton étoile. Je ne suis pas morte. Je suis là, je suis là. Ne saute pas.

Mes paupières se soulèvent brutalement tandis que je me retourne vivement. Ses prunelles marron s'ancrent dans les miennes et l'univers disparaît. La rambarde s'évapore et je m'approche pour la prendre dans mes bras et l'emprisonner contre moi. C'est elle, c'est bien elle. Mes biceps se resserrent autour de son corps alors que de nouvelles larmes s'emparent de ma peau fragile.

- Mais comment...

Mon souffle est court, les sanglots le saccadent et le malmènent. Mais qu'importe, elle est là, contre moi. Elle n'est pas dans cette boîte en bois vernis, elle n'est pas en-dessous de l'une des pierres tombales, elle n'est pas en train de descendre sous terre, elle ne m'a pas dit adieu. Elle est bien là. Elle parle, elle tremble, elle respire.

- Je croyais t'avoir perdue...

Le ton de ma voix s'érafle et son étreinte se renforce pour m'apaiser. Pour m'assurer que je n'invente rien. Pour m'empêcher de sauter.

- Il était jaloux, il voulait te faire souffrir. Mais tout va bien, tout va bien.

J'inspire, elle expire, on respire. L'amour a triomphé. La vie l'a emportée.

Elle n'est pas morte et je n'ai pas sauté.

Tout va bien. 

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