Tombent, les masques, tombent
Aucune importance. Les plans aussi parfaits ne fonctionnent jamais comme ils le devraient.
- Arrête de me prendre pour une conne tu veux ? Ça changera de d'habitude.
Lola soupire et se laisse tomber sur un fauteuil à fleurs. La nuit tombe sur Rome alors que la vérité semble sur le point d'éclater.
- J'aimerais déjà que tu te calmes, que vous vous calmiez toutes les deux.
Je jette un regard à Alison qui a déjà les larmes aux yeux. Je la comprends. Je ne sais même pas pourquoi je la comprends.
- Que je me calme ? Lola tu nous dois des explications et maintenant.
- Je vais tout vous raconter.
Deux heures plus tôt...
- ... de Manhattan. J'aimerais vous parler au sujet de votre amie, Mlle Leroy. Étant sous secret médical, j'ai pour obligation de ne pas vous révéler d'informations sur l'état de votre amie mais... je peux tout de même vous conseiller de lui parler.
Doucement, je relève les yeux et les plonge dans ceux de Lola. J'y vois autant d'incompréhension que d'inquiétude et pour une fois, aucune n'est compliquée à déceler. Sans même y réfléchir à deux fois, je raccroche au nez de ce pauvre docteur et pose mon portable sur la table.
- C'était ton médecin.
Mon amie blanchit si vite qu'elle semble perdre deux teintes en une seconde. Ses yeux s'écarquillent et je comprends alors mon erreur.
Toutes ces fois où elle avait mal à la tête.
Toutes ces fois où elle a brusquement changé d'humeur.
Et si...
Je n'ose même pas y penser. De toute façon, toutes les hypothèses que je pourrais faire seront pires que la vérité. Puisqu'il ne peut pas en être autrement, n'est-ce pas ?
- On rentre.
Personne n'ose me contredire. Alison règle la note d'une main tremblante et je commence déjà à enfiler ma veste. C'est fou, comment un ciel aussi beau peut-il se voiler d'un coup ? À moins que l'ombre planait déjà depuis un moment et que je ne l'ai pas vue.
Notre petit groupe adopte une marche rapide et silencieuse jusqu'à l'arrêt de métro le plus proche. Nous devons encore traverser tout Rome pour atteindre l'hôtel et ma cage thoracique est horriblement opressée. C'est ce silence qui est opressant. On dirait que l'on veille un mort.
Et il se poursuit à l'intérieur du souterrain, alors que nous attendons le métro. Tout est si bruyant autour de nous, autant de bruit qui me semble incorrect, presque humiliant. Pourquoi les gens continuent-ils de vivre alors que nos mondes s'écroulent ? Ne ressentent-ils pas cette angoisse ? Pourquoi semblent-ils aller bien alors que rien ne va plus ?
Et qu'est-ce que j'en sais moi d'abord que plus rien ne va plus. Je ne comprends rien. J'ai l'impression que tout risque de s'écrouler à tout moment. Cette journée était si parfaite... si paisible... pourquoi ce genre d'explosion se produit-elle quand tout va bien ?
Enfin, quelle importance, notre carrosse vient d'arriver.
Nous empruntons le métro toujours dans un silence de plomb et nous plaçons tant bien que mal dans le wagon. Sans le vouloir, je croise les yeux de Lola qui me fixent. Elle est visiblement inquiète.
Pour moi.
Mais pourquoi s'inquiéterait-elle pour moi ?
Je me souviens encore de cette journée. Elle paraît si loin maintenant.
Le soleil.
Le soleil filtré par les feuilles d'un arbre alors que les cheveux de Lola me caressent la joue. Les rires de mes amies et la balançoire poussée par le vent qui passe au dessus de nos corps. J'ai l'impression que toutes les journées inoubliables se déroulent autour d'une balançoire.
- Je suis incapable de te cacher quelque chose !
On avait quoi ? Douze ans ? Est-ce que ça a changé aujourd'hui ? Ou est-ce qu'elle mentait déjà à l'époque ?
Le nom de notre arrêt résonne dans tout le wagon et nous descendons toujours aussi machinalement. Oui voilà, comme des machines. Nous sortons du métro, traversons la route et rejoignons notre hôtel bien plus vite que je ne l'aurais cru. Le chemin est pourtant plutot long mais nous sommes tellement perdues dans nos pensées que je n'y ai pas fait attention. Je me sens anesthésiée, j'ai l'impression que rien ne pourrait m'arriver de pire qu'être ici, à marcher sur cette route, en me demandant si oui ou non je dois pleurer.
Et pourtant...
Tout s'enchaîne alors très vite. Trop vite avant que je réalise que nous sommes arrivées devant la porte de ma chambre et que mes amies attendent que je l'ouvre. Mes amies... puis-je seulement les considérer comme mes amies ? Nous faisons comme si rien ne s'était passé, comme si dix ans ne s'étaient pas écoulés. Nous faisons comme si rien n'avait changé et n'avons pas pris une seule seconde pour parler de ce qu'il s'était passé lorsque nous étions séparées.
Et si nous avions commis une erreur ? Et si les petites filles joueuses étaient bel et bien mortes et enterrées ?
Je ne peux le concevoir.
Alors j'ouvre cette porte. J'ai l'impression que lorsque nous l'aurons passé, plus rien ne sera jamais comme avant. Nous traversons le couloir en file indienne et on se regarde. On ne sait pas quoi faire. Par où commencer. Alors c'est moi qui prend la parole, parce que c'est moi que ce foutu docteur à appeler, parce que c'est forcément moi qui ai le plus de secrets.
- Qu'est-ce qui se passe ?
Ma voix que je voulais forte se fait chevrotante. Tremble un peu. Ce n'est qu'une simple question, mais elle abat un terrible voile sur le visage de Lola.
- Rien du tout... ce n'est rien qu'un stupide médecin qui...
- Arrête de me prendre pour une conne tu veux ? Ça changera de d'habitude.
Lola soupire et se laisse tomber sur un fauteuil à fleurs. La nuit tombe sur Rome alors que la vérité semble sur le point d'éclater.
- J'aimerais déjà que tu te calmes, que vous vous calmiez toutes les deux.
Je jette un regard à Alison qui a déjà les larmes aux yeux. Je la comprends. Je ne sais même pas pourquoi je la comprends.
- Que je me calme ? Lola tu nous dois des explications et maintenant.
- Je vais tout vous raconter.
Cette fois c'est moi qui soupire. De soulagement ? Je n'en sais rien. Je ne peux pas être soulagée tant que je ne sais pas ce qu'il se passe. Alison et moi nous rapprochons l'une de l'autre pour finir en face de Lola, je ne sais même pas pourquoi.
Peut-être parce qu'il est temps de faire face, et qu'il est plus simple de le faire à deux.
- Je...
Notre amie secoue la tête, ferme les yeux, se passe une main dans les cheveux et finit par ouvrir ses paupières. Un bleu humide, un océan tourmenté.
- J'ai une tumeur au cerveau.
Un rire.
Rien qu'un rire qui résonne dans une salle de classe, alors que personne n'ose plus rien dire.
- Je ne cesserai jamais de me battre, Mme Pierce. Jamais.
Je tourne la tête vers Lola et hausse un sourcil. Elle va se faire virer si elle continue ainsi à protester avec de belles phrases de révolutionnaire à chaque fois qu'elle a une mauvaise note.
- Jamais.
Je rouvre les yeux, ne me rappelant même pas les avoir fermer.
- Tu vas guérir.
C'est un simple fait que j'énonce. Je n'ai même pas pris le temps d'y réfléchir, puisqu'il n'y a rien à réfléchir. Elle va guérir. Alison qui paraît tout aussi anesthésiée que moi, secoue la tête nerveusement. Elle darde des yeux pleins de larmes sur moi alors que je reporte les miens sur Lola.
Elle semble... épuisée. Une main sur la tête, l'autre sur l'accoudoir comme pour se.. soutenir.
- Non Lysandre... je ne vais pas guérir.
Elle aussi énonce ça comme un simple fait. Elle semble sûre d'elle, mais je le suis bien plus.
- Bien sûr que si !
- Non !
Cette fois c'est elle qui l'emporte. Elle a relevé la tête, braque son regard dans le mien.
- J'ai été voir les plus grands spécialistes, les cancérologues les plus réputés, j'ai payé des fortunes en examens, en consultations et tout ça pourquoi ? Le même résultat, Lys. Ils ne peuvent pas me la retirer sans me tuer. La chimio aiderait sûrement mais l'opération me rendrait aveugle, ou sourde, ou débile, ou me tuerait tout simplement. Cette tumeur est inopérable.
Non.
Non.
Par pitié non.
Ne me faites pas ça.
Je ne peux pas la perdre seigneur.
Je ne peux pas la perdre aussi.
- Mais... on vient juste de se retrouver. On... on a encore rien fait ! Il nous reste tant de choses à faire, à nous dire ! Tu ne peux pas simplement te résigner comme ça tu...
Des bras m'entourent. Je les identifie peu à peu comme étant ceux d'Alison. Elle me caresse lentement le dos, dans un mouvement apaisant alors que je sanglote bruyamment. Je sanglote. Par cette belle journée. C'est impossible.
C'est un cauchemar.
- J'ai encore du temps. On peut encore... faire toutes ces choses.
- Tu mens !
Je me sépare d'Alison sans la moindre délicatesse. Mes larmes me brûlent les joues, ou peut-être que ce sont mes joues qui brûlent mes larmes. J'ai l'impression, que tout mon corps s'est subitement mis à bouillonner. Je ne comprends plus rien.
- Tu mens encore ! Tout ce que tu nous racontes depuis le début c'était... des mensonges ! Tu nous as menti depuis le début ! Tu comptais faire quoi exactement ? Passer de gentilles petites vacances avec nous et puis aller crever dans ton coin sans rien nous dire ? On aurait reçu un pauvre appel comme quoi notre meilleure amie est morte alors qu'on a passé deux mois à vivre avec elle ? Tu te rends compte de ce que tu as failli nous faire Lola ?
Elle se lève, me fusillant du regard et se rapproche de quelques pas.
- Et tu voulais que je vous dise quoi ? "Elles sont pas mal ces pâtes non ? Ah au fait, je vais mourir ! Tu peux me passer le sel ?" On a toutes nos secrets Lysandre. Toi y compris. Tu ne fais que t'apitoyer sur ton sort et nous dire que Mike et toi c'est compliqué mais au fond, c'est quoi le vrai problème ? Puisqu'il y en a bien un !
- Je suis stérile ! Contente ?
Et je redeviens eau. Je me souviens quand on nous expliquait les changements d'états au collège, ça ne m'intéressait pas le moins du monde. Je me demandais bien à quoi cela me servirait de savoir que quand le gaz devenait eau, on appelait ça la liquéfaction.
Et bien ça m'est utile aujourd'hui.
Fusion.
Ébullition.
Liquéfaction.
Le cycle de mes émotions.
- En fait... c'est pas vraiment le cas. J'ai juste perdu un bébé... notre bébé... et j'ai pas refait d'examens depuis...
C'est la première fois que j'ose le dire à voix haute. C'est Mike qui a tout expliqué à mon père, à ses parents, à nos amis. Moi j'étais trop occupée à pleurer. Puis à foutre ma vie en l'air.
- Je suis lesbienne.
Nous nous tournons d'un coup vers Alison, qui nous observe avec de grandes tâches de mascara sur les joues. Ses yeux sont encore mouillés alors qu'elle hausse les épaules.
- Je l'ai toujours su, mais j'ai jamais réussi à vous le dire.
J'écarquille les yeux en regardant Lola et finit par mordre ma lèvre inférieure. Curieusement la blonde n'a pas du tout l'air choquée. Elle finit même par sourire légèrement.
- Tu sais au fond... je le savais.
Comment ça elle le savait ? Il n'y avait aucun signe ! En même temps... quels sont vraiment les signes ? Il n'y a pas de... signes. Ou de symptômes. Ce n'est pas une maladie.
N'empêche que je n'ai vraiment rien vu venir.
- C'est pour ça qu'on s'est séparés avec Mark. Parce que je l'avais trompé. Avec une fille. Mon manager a jamais voulu que je fasse mon coming out et... je suis pas prête à le faire de toute façon.
J'en reste bouche bée.
Et finis par éclater de rire.
Qu'est-ce que je disais déjà ? Ah oui, le rire dans la tempête.
L'espoir.
Tant qu'il y en a, nous serons sauvées.
Les masques se brisent, tombent à terre, se désintègrent.
La vie continue.
Puisqu'il y en a toujours, de l'espoir.
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