Plus jamais de champagne
Hawaï J-14 :
Il y a dix ans...
- C'est une mauvaise idée...
J'enjambe des branchages avec crainte tout en observant la forêt autour de moi.
- En plus nos parents vont s'inquièter, poursuit Lola.
Alison marche en tête de notre petit groupe de fugueuse et agite ses bras dans tous les sens :
- Justement, c'est le but ! Déclare-t-elle très sûre d'elle. Ça leur apprendra à vouloir nous séparer ! Comme si leurs maudites histoires d'adultes capricieux nous concernait ! C'est vrai quoi... entre le père de Lysandre qui veut partir au Tennessee, le tien qui veut partir à New York et mes parents qui veulent divorcer et partir tous les deux à l'autre bout de l'Amérique, personne ne nous demande jamais nos avis ! Pourtant ça nous concerne autant qu'eux merde ! Ils risquent de gâcher nos vies et nous n'avons pas notre mot à dire ? Puisque c'est comme ça je ne vois pas pourquoi on devrait demander le leur pour partir dormir en forêt !
Lola se fraie elle aussi un chemin avec difficulté et perds presque l'équilibre.
- Peut-être parce qu'on...
Un rugissement interrompt Lola qui se retourne vers moi avec lenteur.
Ça sent le roussi.
Aujourd'hui, Honolulu, 10h30 :
Ma tête pèse une tonne et j'ai l'impression qu'elle va exploser.
Je me lève en sursaut mais retombe dans le sable avant d'avoir pu faire un pas.
Je gémis face contre terre et me relève plus doucement. En plus d'avoir une haltère à la place de la tête j'ai l'impression d'avoir attrapé un énorme coup de soleil sur la joue pendant que je dormais. Je regarde autour de moi et remarque que la plage est bondée de monde, que je n'ai plus mon sac et encore moins mon téléphone.
Super.
La soirée d'hier s'est complétement effacée de ma tête et a été remplacé par un énorme trou noir qui a tout englouti sur son passage. La seule chose dont je me rappelle c'est l'avant catastrophe. Et avant la catastrophe, j'étais avec Alison.
Or, Alison n'est plus là.
Il faut que je retrouve Alison.
Je m'assieds sur le sable avec difficulté et place ma main devant mes yeux pour les protéger du soleil. Ma gorge est aussi sèche que du papier de verre et je tuerai pour un peu d'eau.
Je me lève sur des jambes tremblantes et peu assurées et me lance maladroitement à la poursuite d'un taxi ou d'une bonne âme qui voudra bien m'emmener jusqu'à l'hôtel.
L'hôtel...
C'est quoi déjà son nom à l'hôtel ?
Me voilà bien partie.
***
J'ai trouvé l'hôtel !
Je ne sais pas vraiment comment je m'y suis prise mais en gambadant assez longtemps et tout droit j'ai réussi à trouver l'immense bâtiment où je loge.
J'entre dans le hall bien décoré et récolte de nombreux regards dégoûtés, gênés et mêmes sévères de la part des clients et du personnel de l'hôtel.
J'observe un instant ma tenue et hausse les épaules.
Oui c'est vrai, ce n'est toujours pas une tenue correcte.
Et alors ?
Si j'ai envie de me promener dans une robe rêche, déchirée et aspergée de champagne, de vodka et de Get, n'est-ce pas mon droit ?
Bien sûr que si.
Je fais donc comme si je n'avais rien vu et avance pieds nus dans le hall de l'hôtel, la tête haute.
Oui mes chaussures aussi ont disparu dans la bataille.
C'est donc aussi dignement que possible que je me dirige vers l'ascenseur dans lequel je m'empresse de m'enfermer laissant le pauvre monsieur qui courait vers moi dehors.
Il n'avait qu'à être plus rapide après tout.
Je tourne la tête et observe une femme d'environ quarante ans qui ressemble curieusement à mon père. Des cernes engloutissent la moitié de son visage, sa bouche est gercée, ses yeux rouges semblent prêts à exploser, ses cheveux sont un véritable nid d'oiseau plein de sable, son teint est cadavérique et un énorme coup de soleil s'étale sur sa joue.
Dis donc, elle pourrait faire un effort tout de même.
J'ignore mon reflet et teste mon haleine.
Un poney.
Parfait !
L'ascenseur s'arrête à mon étage et je traverse le long couloir. N'étant plus vraiment sûre du numéro de la chambre, je reste un long moment plantée au milieu.
C'est entre le numéro 200 et 250. J'en suis sûre.
Il me reste donc cinquante chambres à tester.
Parfait !
Je traverse le couloir pour atteindre la chambre 200 et bifurque à droite. Quelle n'est pas ma surprise lorsque je vois Mike en pleine conversation avec Lola en plein milieu de l'allée.
Mike.
Mais qu'est-ce qu'il fait là ?
S'il est ici, c'est qu'il s'est passé quelque chose de grave. S'il s'est passé quelque chose de grave, c'est sûrement ma faute. Si c'est ma faute, Lola est sûrement furieuse. Si Lola est furieuse, alors je n'ai plus qu'à espérer que ma mort soit rapide.
Bon, faisons le point.
J'étais ici pour Alison, Alison n'est visiblement pas ici.
Je peux donc partir la chercher ailleurs !
Je me détourne de cette vision de l'enfer et repars de là où je suis venue prestement.
- Lysandre !
La voix de Lola m'apostrophe et je m'immobilise, tétanisée.
Je suis fichue.
Trois options se présentent à moi.
Option n°1 : je fais comme si je n'étais pas Lysandre. Je ne connais pas de Lysandre, je ne sais même pas d'où vient cet étrange prénom que je trouve immonde par ailleurs.
Option n°2 : je cours en espérant qu'elle ne me rattrapera pas.
Option n°3 : je fais profil bas et accepte mon triste sort.
Étant donné que Lola a déjà l'air bien remontée, je vais éviter d'aggraver mon cas et me laisser gentiment disputer en espérant m'en sortir.
Je me retourne lentement, les dents serrées tout en sentant le regard perturbant de Mike sur moi. Je me retrouve nez à nez avec Lola en un rien de temps et est dans ses bras la seconde d'après.
- J'ai eu la peur de ma vie, me glisse-t-elle à l'oreille.
Surprise, je n'ose pas lui rendre son étreinte de peur de la faire changer d'avis dans sa décision de ne pas me tuer. Lola se détache de moi et me jette un regard à faire pâlir un mort.
- Mais maintenant que tu es là, tu vas pouvoir m'expliquer où tu étais, où est Alison et ce que tu as dis à Mike pour lui faire aussi peur !
Toujours immobile, je fixe Lola avec des yeux grands ouverts.
Ce que j'ai dis à Mike ?
Si seulement je le savais...
Je plisse les yeux et lui souris en pensant naïvement qu'elle passera l'éponge. Ce qu'elle ne sait pas encore c'est que je n'ai aucune idée de la façon dont s'est terminée la soirée.
- Ah, dis-je d'une petite voix, donc Alison n'est pas ici...
Les yeux de Lola grossissent d'un coup et elle me dévisage bouche bée.
- Comment ça ? Vous vous êtes séparées ?
Je lève un doigt et ouvre la bouche mais ne sais quoi dire.
- Nous... je n'en sais rien.
Toute la fureur que je peux lire dans les yeux de Lola à ce moment précis me laisse penser qu'elle va probablement me foudroyer sur place. Au lieu de ça elle me fixe un moment et se détourne rageusement, lançant au passage à mon ex quelque chose que je ne parviens pas à entendre.
Bon.
Apparemment j'ai dis une connerie.
Je plisse les lèvres pendant que Mike s'approche de moi. Ses cheveux blonds sont emmêlés et sa chemise est à moitié boutonnée. Il n'a pas de bagage et de longues cernes s'étalent sous ses yeux gris. Je reste un instant ébahie en le regardant s'approcher.
Il est là.
Cela fait bien longtemps que je ne l'ai pas vu, dorénavant nous communiquons surtout par téléphone, évitant de se voir le plus possible. Et encore, dernièrement même nos conversations téléphoniques s'espaçaient. Il a refait sa vie en Californie et surfe maintenant avec les dauphins, d'après ce que j'ai compris. Dernièrement il essayait de mettre de la distance entre nous parce qu'il avait rencontré quelqu'un.
Ça n'a pas très bien marché d'après ce que je peux voir.
- Lys... déclare t-il d'une voix épuisée.
Qu'est-ce que je lui ai dis ?
- Mike... repondis-je peu sûre de moi.
Qu'est-ce que j'ai bien pu lui dire ?
- Je...
Oh non.
Tout me revient en saccade, les shots, Alison sur le bar, la fraîcheur de la mer sur mon corps bouillant, mes appels à mon éditeur et Mike.
Mike.
Je m'approche de lui et saisit son visage pour forcer ses yeux à croiser les miens exorbités.
- Mon Dieu... je suis tellement désolée. Il faut que tu me croies.
Le blondinet californien détourne les yeux et soupire.
- Je te crois... j'ai simplement eu peur je pense.
Peur ?
Peur de quoi ?
Ah oui peut-être de mon comportement tout à fait suicidaire au téléphone hier soir.
Mon éditeur.
Je lâche son visage comme si son contact me brûlait soudain et me précipite dans la chambre à la suite de Lola.
Mon portable.
Je m'écroule sur le lit et laisse ma tête tomber entre mes mains.
Alison.
- Tu as intérêt de te rappeler où se trouve Alison et ce immédiatement, dit Lola les mains sur les hanches.
Problème n°1 : Mon ex et accessoirement amour de ma vie est ici.
Problème n°2 : J'ai harcelé mon éditeur au téléphone.
Problème n°3 : Je l'ai traité de con-Soleil au téléphone.
Problème n°4 : J'ai perdu mon téléphone.
Problème n°5 : J'ai perdu Alison.
Problème n°6 : Le premier est sûrement volé et je n'ai aucune idée d'où se trouve le deuxième.
Sinon tout va bien.
- Je vais m'en occuper d'accord ? Je vais la retrouver...
Encore faudrait-il avoir l'ombre d'une piste.
***
Nous sommes retournés sur les lieux de la débauche.
Oui nous.
Mike, Lola et moi.
Équipe de choc.
Nous avons parcouru la plage de long en large pour retrouver mes affaires, en vain.
Nous avons interrogé les passants concernant une brune aux yeux sombres et a l'air un peu débile, en vain.
Nous avons tenté de retrouver mes compagnons de débauche.
En vain.
C'est donc désespérés que nous avons marché jusqu'au Sunshine, ouvert le matin pour servir des cookies aux whisky en guise de petit déjeuner, le midi pour servir des omelettes aux Malibu en guise de repas, l'après-midi pour servir des cocktails en guise de goûter.
En conclusion, ce club ne ferme jamais et ses habitués sont des alcooliques.
Lola fixe le lieu de la débauche avec un air courroucé agrémenté d'un peu de dégoût refoulé tant bien que mal. Mike quant à lui semble profondément perdu et se demande sûrement ce qu'il a bien pu faire de sa vie pour se retrouver avec nous devant un club d'alcooliques à Hawaï.
Notre petit groupe de bras cassés entre dans le club comme un seul homme sous les regards amusés des clubbers installés confortablement sur les banquettes en terrasse, leurs cocktails d'alcoolique en main et leurs insupportables lunettes de soleil XXL.
Pourquoi amusés ? Peut-être parce que Lola ressemble à une avocate prête à faire un procès au gérant, peut-être parce que Mike a l'air d'être notre otage et peut-être parce que je suis actuellement le sosie de Michael Jackson vers la fin de sa vie.
Peut-être.
D'un pas déterminé, Lola se dirige droit vers le bar, ne semblant pas se rendre compte ou se fichant des regards qui nous sont adressés. Je décide de l'imiter et la suit à petits pas pressés.
Non je n'essaie pas du tout de fuir Mike.
Pas du tout.
Lola s'accoude au bras et apostrophe le barman pendant que je profite de son inattention pour observer la salle. Outre le fait que cette pièce me rappelle des souvenirs douloureux, elle me paraît désormais très grande sans tout ce monde pour l'encombrer.
Je remarque alors une grande brune sous un chapeau, installée sur une des banquettes et dans les bras d'un beau brun. Elle rit aux éclats et prend une gorgée de sa boisson.
Elle est resplendissante.
Et c'est Alison.
- Vous êtes au courant que je pourrais vous attaquer en justice pour ce que vous venez de dire ?
Je reste un instant bouche bée à regarder Alison et son nouvel ami puis tapote distraitement le bras de mon amie.
- Lola... dis-je d'une voix blanche.
- Et le GHB c'est une légende urbaine ça aussi ?
- Lola...
- Je vous jure que vous allez entendre parler de moi si...
- Lo...
- Quoi à la fin ? Merde alors j'essaie de réparer tes conneries actuellement !
Je pointe du doigt notre amie commune et en un instant, l'assurance et l'aplomb avec lesquels Lola a agressé ce pauvre serveur retombe aussi vite qu'ils sont apparus. Mike a trouvé refuge au comptoir et ne semble plus vraiment attacher d'importance au potentiel kidnapping d'Alison. Nous nous dirigeons lentement vers le carré où se trouve notre amie et nous consultons un moment du regard avant de nous poster face à eux.
C'est bien elle.
Il n'y a absolument aucun doute.
Sous des lunettes semblables à celles que je critiquais quelques minutes plus tôt et un immense chapeau digne des plus grandes garden-party, Alison nous sert un éclatant sourire en guise d'explication. À ses côtés sont installés non pas un mais deux beaux bruns en tout point identiques et en face de ces trois là, deux jolies blondes aux yeux bleus ricanent à chaque réplique des nouveaux amis d'Alison. Cette dernière ôte ses lunettes de soleil parfaitement inutiles en intérieur et se lève en ouvrant les bras.
- Lysandre et Lola ! Vous tombez à pic ! Lys tu te souviens de Jordan ? Parce que lui ne t'as pas oublié ! Lola je te présente Jordan, Jonathan, Emy et Amy !
De furtives images de ma jumelle maléfique en train de se frotter contre le dénommé Jordan m'apparaissent soudain et au regard que ce dernier me jette je ne suis pas la seule à m'en souvenir.
- Tu vas bien Lysandre ? Tu sembles pâle...
Je me retiens de lui hurler que c'est naturel pour quelqu'un d'humain d'avoir ma tête après une nuit comme celle que l'on a passée mais je me contente d'un sourire :
- J'ai une petite migraine. Le décalage horaire sûrement.
Lola pouffe un peu avant de se reprendre bien vite :
- Sûrement oui... je peux savoir où tu es passée ? Demande-t-elle à Alison. Nous t'avons cherché pendant des heures avec Lys et Mike.
- Mike ? Ton Mike ? Il est ici ?
Je désigne le blondinet d'un geste las et Alison le salue avec enthousiasme pendant que Lola fait claquer ses doigts devant le visage de notre amie.
- Alison ici la Terre j'aimerais des réponses !
Alison réatterie parmi nous et frappe dans ses mains.
- Oui bien sûr ! J'ai tellement de choses à vous raconter !
***
Au final, Alison va bien.
Très bien même. Beaucoup mieux que moi qui ai récupéré mon portable.
Oui, mon portable.
Je me suis endormie et j'ai laissé mon smartphone sur la plage. Quand Alison l'a vu elle s'est dit que ça pourrait être une bonne idée de le prendre sans m'en informer. En revanche me réveiller pour que j'évite de passer une nuit horrible sur une plage déserte où je risquais le viol, la mort et les coups de soleil ça bien sûr, c'était inutile.
Après m'avoir lamentablement abandonné, Alison et ses nouveaux amis sont partis poursuivre la fête dans la villa de Jordan ou de Jonathan. Ou plutôt dans la villa des parents de Jordan ou de Jonathan.
Oui, je n'arrive toujours pas à les différencier.
C'est encore pire pour Amy et Emy.
Après nous avoir mutuellement raconté nos péripéties, Jordan ou Jonathan a proposé que l'on se retrouve tous chez lui pour festoyer de nouveau. Lola a bien évidemment refusé mais elle n'a pu résister longtemps face aux supplications de toute la bande.
Et c'est donc ainsi que je me retrouve à trois heures du matin, dans une maison immense avec une piscine immense, un jardin immense, deux énormes voitures immenses, une plage privée immense et pas de réseau.
Donc, impossible de lire mes messages.
Donc, je ne sais toujours pas si mon éditeur m'a viré ou non.
Donc, je meurs intérieurement.
Sauf que ça Alison ne le voit apparement pas. Elle est beaucoup trop occupée à chahuter avec cette bande d'inconnus pour se proccuper des états d'âme de sa vieille copine d'enfance qui a tout abandonné pour venir la secourir.
D'ailleurs je ne les aime pas. J'ai décidé à l'instant que je ne les aimais pas. Ils sont flippants. On dirait de ces horribles clones que l'on voit dans les films. Ils sont constamment en train de brailler pour rien et ne semblent pas connaître les mêmes problèmes que nous, pauvres petits humains non clonés.
Cela fait bientôt dix minutes que j'ai abandonné Lola avec eux pour partir à la recherche du réseau, sans succès.
Perchée sur une chaise dans le grand salon vitré de Jordan ou Jonathan, je lève mon potable vers le plafond comme si cela pouvait changer quelque chose.
Cette villa est équipée de toutes les dernières technologies, mais avoir du réseau ça non ce n'était pas possible.
Évidemment.
Je hais ma vie.
Lola entre en trombe les yeux écarquillés et m'attrape les épaules pendant que je descends de mon perchoir :
- Reviens ! Je t'en supplie reviens ! Je n'ai plus personne à qui jetter des regards désespérés et je crois que je vais finir par me soûler pour supporter leur conversation !
Je pose moi aussi mes mains sur ses épaules et plonge mes yeux dans les siens.
- Je le sais bien ! Ils sont complétement cons ! Je te rappelle que j'ai survécu comme ça la dernière fois que tu nous as abandonné ! Alors maintenant je vais devoir te rendre la pareille. Je dois savoir si je ne publierai plus jamais rien et si je dois commencer dès maintenant ma formation de caissière ou de clown. De plus je dois retrouver Mike...
Ça, c'est mon deuxième problème.
Les yeux de Lola s'écarquillent encore plus ce que je ne croyais pas physiquement possible et ses doigts s'enfoncent peu à peu dans mes épaules.
- Tu ne peux pas me faire ça...
- Si je le peux.
- Pas à moi...
- J'ai cru apercevoir une bouteille de whisky dans la cuisine. Sers toi.
- Lysandre pourquoi tu me fais ça ? S'il te plaît ne pars pas !
Mais je suis déjà loin.
***
Je cours comme une dératée jusqu'au Sunshine où j'espère retrouver Mike. Une fois arrivée devant la façade de ce bâtiment maudit, je m'y accoude et allume mon portable.
Bingo.
Je m'empresse de consulter mon répondeur et l'annonce d'accueil me semble durer une éternité. J'insulte d'ailleurs copieusement la petite voix robotique à plusieurs reprises tant cette attente est insupportable. Au bout d'un siècle, la gentille dame robot m'annonce que j'ai trois messages et cinq appels manqués du même expéditeur.
"Clark, je crois que vous me devez des explications et vos chapitres, appelez moi au plus vite."
"J'avais pourtant dit au plus vite. J'attends toujours Clark, mais pas éternellement."
"Vous avez une heure, pas une minutes de plus."
Le dernier message a été laissé il y a cinq minutes.
Je compose en triple vitesse le numéro de mon éditeur quand mon portable s'éteint dans mes mains tremblantes. Je tente de le rallumer, m'acharnant sur le bouton marche/arrêt quand le petit pictogramme avec une batterie cramée apparaît sur mon écran.
Non.
Non, non, non.
Non !
Je fixe un moment mon portable sans réaction, ne pouvant réaliser ce qu'il vient d'arriver.
Je suis définitivement la personne la plus malchanceuse au monde.
Ne trouvant même pas la force de devenir folle, j'entre dans le club beaucoup moins bondé qu'hier soir d'un pas lent. Les yeux dans le vide, je me fraie un passage à travers la foule pour rejoindre le bar et m'asseoir à côté d'un Mike aussi déprimé que moi.
- Tu es toujours là.
Il porte son verre à ses lèvres sans me jeter un regard pendant que je commande ce qu'il a de plus fort au barmaid.
- Toujours là. Et toi tu es revenue.
- En effet.
Je trempe mes lèvres dans le liquide puis le descends d'un coup. Cette fois Mike me regarde faire, un sourcil levé.
- Eh bien, tu avais soif.
Je lui adresse un petit sourire triste et laisse ma tête tomber sur son épaule.
- Je viens de perdre mon job. Mon éditeur veut que je l'appelle dans une heure mais ma batterie vient de cramer. Avant c'était le réseau qui me faisait défaut. Je crois que le sort s'acharne sur moi.
Le blondinet secoue la tête en faisant tourner le liquide dans son verre.
- Ce n'est pas très important, dit-il en haussant les épaules. T'as du talent, t'en as toujours eu. Tu réussiras. Mais si tu tiens vraiment à rappeler ce connard qui t'exploite...
Il glisse la main dans la poche de sa veste et en sort son téléphone qu'il pose sur le comptoir avec lenteur.
- Appelle le.
Je regarde un moment son smartphone avec espoir.
- Simplement, je pense que si tu as autant de mal à le joindre, c'est peut-être pour une bonne raison.
Je lève la tête vers lui et pour la première fois depuis son arrivée, le regarde vraiment. Ses yeux gris aux nuances bleutés semblent me sonder en profondeur sans pour autant être intrusifs. Des cernes s'étalent sur ses joues et des rides commencent à poindrent aux coins de ses yeux, le temps l'a marqué. Il est et sera toujours mon Mike, mais ce qui a été dit et fait ne pourra jamais être retiré. L'insouciance de notre jeunesse qui semble à la fois si près et si loin ne sera jamais retrouvée. Là où les autres voient un homme fatigué, je vois un homme marqué. Par la vie, la tristesse.
Par moi.
- Je suis désolée Mike.
Il soupire et reporte son attention sur son verre.
- Tu l'as déjà dis.
- Pas pour ça.
Il ne dit pas un mot, pourtant une larme roule lentement sur sa joue.
***
- Je suis une calamitée.
Avec lassitude, je m'allonge aux côtés de Lola sur le carrelage froid du salon. Ses cheveux blonds sont étalés au dessus de sa tête comme une tâche de miel et la bouteille repérée plus tot repose à ses côtés.
- Et une lâcheuse.
Je soupire et vole une rasade de whisky à Lola.
- J'ai trouvé Mike, il va rester ici quelques temps. Il a besoin de vacances apparemment.
- Comme nous tous.
J'acquiesce pensivement et me rallonge, reposant la bouteille de whisky. Un silence s'installe petit à petit, de temps en temps interrompu par les rires venant de la terrasse. Un silence confortable où chacune de nous est perdue dans ses songes.
- Il t'aime encore. C'est fou après tout ce temps. Il a traversé un océan pour un simple appel. Tu as de la chance. Personne ne m'aime comme ça.
Je lui frappe mollement le bras.
- Dis pas de bêtise. Et puis c'est pas comme s'il l'avait fait à la nage. Des gens t'aiment. Moi je l'aurais fait pour toi.
Lola tourne la tête vers moi et je suis surprise de voir ses yeux voilés par l'alcool.
- Peut-être. Tu as pu arranger les choses avec ton éditeur ?
Ce changement de sujet soudain me ramène à la réalité.
- Non. J'ai décidé de ne pas le faire. Je ne suis pas heureuse quand j'écris pour lui. Avant j'écrivais parce que ça me plaisait. Maintenant c'est pour plaire. Le pire c'est que ça ne marche pas. Je ne veux pas devenir une machine, je veux que ça change.
Lola acquiesce lentement, le regard dans le vide quand nous entendons les rires des compagnons d'Alison une énième fois.
- Tu sais, des fois je me dis qu'ils ont de la chance de pouvoir être heureux et insouciants sans avoir à boire.
- Tu ne sais pas s'ils le sont.
Lola hausse plus ou moins les épaules et prends ma main.
- Tu as raison. Je ne sais rien.
Je serre sa main pour lui signifier que je suis là.
- Moi non plus.
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